Pourquoi choisit‑on tel garçon plutôt qu’un autre ? Un chercheur en psycho avance la théorie de l’inconscient en forme de maison. Rencontre.
Avouez-le. De temps en temps, il vous arrive de bloquer sur votre mec – au réveil, après l’amour, en faisant les courses, ou simplement en le regardant passer l’aspi – et de vous demander : « Mais pourquoi lui, après tout ? » À d’autres moments, vous repensez à toutes ces moitiés potentielles que vous avez croisées, mais loupées. Les mauvaises langues rétorqueront que vous vous posez des questions stupides, parce que franchement vous auriez pu y penser avant, quand même… Rassurez-vous, certains experts trouvent au contraire ce réflexe particulièrement salutaire. C’est le cas de Bruno Humbeeck, psychopédagogue, chercheur à l’Université de Mons, auteur du « Bon choix amoureux, la force de l’inconscient » (Odile Jacob).
Pour expliquer ce qui se joue dans nos choix amoureux, notre compatriote défend une thèse originale : nous aurions en réalité quatre inconscients, chacun jouant un rôle clé dans le choix de nos moitiés. Ces quatre univers, il les compare aux différents étages d’une maison. Qu’il faut absolument entretenir, si l’on veut que la relation, comme la maison, tienne.
Pourquoi vous êtes-vous penché sur la question du choix amoureux ?
Aujourd’hui, les gens sont constamment en train de remettre en question leur couple, leur choix amoureux. « Pourquoi lui ? », « Suis-je assez bien pour elle ? », « Comment réussir mon histoire d’amour ? », « Comment éviter les écueils passés ? » On est bien loin de l’époque où l’institution figeait nos histoires d’amour, où l’on se mariait avec le fils du fermier voisin parce que cela agrandissait les terres familiales. L’absence de choix créait de graves névroses. À l’inverse, la multiplication des possibles crée de nouvelles problématiques. Désormais, on doit constamment « mériter » son couple. être à la fois attrayante, sexy, épanouie. être l’amante, la bonne copine, l’épouse, la bonne mère. Même chose côté hommes. Or, si l’on veut être épanoui dans nos relations, il peut être utile de comprendre ce qui se trame.
Nos choix sont donc déterminés par notre inconscient. Ou plutôt, dites-vous, par nos quatre inconscients, que vous comparez aux étages d’une maison.
Oui, je compare l’histoire d’amour à une maison, dans laquelle chaque étage abrite un de nos inconscients. À la cave, on trouve l’inconscient biologique. Au rez-de-chaussée, c’est l’inconscient psychologique. Vient ensuite l’inconscient social au premier étage, pour finir par le toit, où se loge l’inconscient imaginaire. Bien sûr, entre tous ces étages, il existe des escaliers ! On peut aussi entrer dans une histoire d’amour par la cave, le grenier, la fenêtre, la porte d’entrée... Mais on ne peut pas bien vivre dans une maison sans fondations ni sans toit !
Commençons par la cave et l’inconscient biologique... À quoi correspond-t-il ? Au sexe ? Au coup d’un soir ?
À la cave, on trouve l’attirance physique, tous les mécanismes biologiques, les instincts. C’est l’empire des sens, qui fait qu’on sera attiré par une voix grave, par une odeur, un toucher... La cave est une pièce assez fondamentale, car si notre partenaire nous révulse, il va être difficile de poursuivre la relation. Mais il faut faire attention à ne pas habiter uniquement dans une cave, et à construire un escalier vers le rez-de-chaussée. Sinon, dès que l’on croise quelqu’un d’autre d’aussi attrayant biologiquement, on va voir ailleurs. Car l’amour, ce n’est pas aimer, c’est préférer et être préféré !
Pour être préféré, il faut monter au rez-de-chaussée ?
Le rez-de-chaussée, quoique proche de la cave, nous fait monter d’un cran. C’est le règne non plus de l’attrait physique, mais de l’émotion, de l’état amoureux, de l’attachement. Ça peut passer par le coup de foudre, qui suscite une émotion tétanisante et qui anticipe la passion. C’est d’ailleurs de la passion dont on parle quand on dit que l’amour dure trois ans. Et il est capital, si l’on veut passer ce cap des trois ans, de repasser ensuite faire un tour régulièrement au rez-de-chaussée, en se créant des moments privilégiés où l’on remet en scène cet état amoureux. C’est ce qui explique le boom des city-trips, qui sont d’excellents moyens de rejouer l’état amoureux des débuts…
C’est aussi cet inconscient psychologique qui nous fait choisir toujours le même type de personne, quitte à répéter nos erreurs ?
C’est au rez-de-chaussée, dans l’inconscient psychologique, que l’on rejoue tous les scénarios d’attachement liés à notre enfance. Par exemple, les personnes qui se sont construites dans un attachement peu sécurisant auront tendance à être des hyper jaloux, à être convaincus qu’ils seront abandonnés et à anticiper dès le premier jour d’une relation cet abandon qu’ils imaginent. Ils décreteront que tous les hommes ou toutes les femmes sont des salauds ou des salopes. Autre exemple : si vous avez une vision romantique de l’attachement alors que votre partenaire en a une vision ludique, cela peut créer des problèmes dans le couple...
Même si tout se passe bien au rez-de-chaussée, ça peut se compliquer au premier étage...
Au premier, c’est l’inconscient social qui entre en jeu, autrement dit les habitus sociaux, les habitus de classe. Imaginez : vous venez de passer la nuit avec quelqu’un, donc vous êtes à la cave et au rez-de-chaussée. Le lendemain matin, vous voici au petit déjeuner. Vous vous êtes rhabillés, vous devez parler, manger... Vivre en société, en somme. Si votre « moitié » boit son bol avec de grands slurps alors que vous trouvez cela vulgaire, ça n’augure peut-être pas d’une longue histoire d’amour... Et les habitus sociaux sont tellement intégrés qu’il vous semblera naturel d’être répugné par ce comportement, quand l’autre ne verra pas le problème. Les jeux télévisés mettant en scène des amours impossibles, comme « L’amour est dans le pré », jouent d’ailleurs très bien sur cet inconscient social.
« Qui se ressemble s’assemble »...
Absolument. C’est ce que les sociologues appellent l’endogamie. C’est aussi un peu ce qui se passe quand on n’assume pas son mec auprès de ses amis, de ses parents. Tous nos habitus sociaux anticipent le rôle qu’aura notre conjoint dans notre vie sociale. Cela peut déclencher des problèmes lorsqu’on s’installe ensemble ou quand on a un enfant. Il faut aussi garder en tête que ce que l’on fait le plus dans un couple, ce n’est pas l’amour, mais la conversation ! Or, cultiver l’art de la conversation n’est pas toujours si facile et peut mettre en jeu l’inconscient social. Par exemple, partager le même humour, cela permet de discuter et rire ensemble, cela augmente notre capacité de bienveillance par rapport à l’autre, qui est un élément fondamental du couple. La dernière force invisible qui agit sur nos choix amoureux est le toit, étage de l’inconscient imaginaire. En amour, on se trompe sur ce que « s’aimer » veut dire. On croit qu’il s’agit de s’aimer l’un l’autre, mais en réalité, on aime l’image du couple que l’on forme. Il est donc capital de mettre en scène notre amour et de nourrir un imaginaire commun, que ce soit dans les activités qu’on aime faire ensemble, les goûts musicaux, cinématographiques... Le propre de l’homme, ce qui le différencie des animaux, c’est qu’il « sait » qu’il aime. Il a donc besoin de se raconter son histoire et de la mettre en scène pour ses semblables.
Pour vous, l’imaginaire est pourtant l’inconscient le plus en péril de tous...
Aujourd’hui, on néglige l’imaginaire, et surtout les images. Dans un monde désenchanté, on se méfie par-dessus tout des images, car elles sont souvent manipulées, en premier lieu par la publicité. Pourtant, l’homme pense avec des images, il a besoin d’elles pour cultiver son imaginaire. Prenez le cas des pervers manipulateurs. Depuis quelque temps, on en voit partout ! Or, ils sont bien moins nombreux qu’on le croit. Bien souvent, il s’agit de personnes qui cherchent à séduire et à donner la meilleure image possible d’elles-mêmes.
On nous assène de plus en plus d’images figées, qui tuent nos imaginaires...
Prenez la pornographie : elle est très peu stimulante pour un couple car à l’inverse de l’érotisme, qui stimule l’imagination, la pornographie impose des images. Elle empêche le couple de mettre en scène sa propre histoire. C’est pour la même raison que je suis assez corrosif à l’égard de « 50 nuances de Grey ». C’est l’exemple type de l’ouvrage qui impose des images et nous condamne à rester bloqués au fond de la cave !
Une fois qu’on a compris le principe de cette maison des inconscients, comment l’utiliser ?
L’idée n’est pas de questionner ou de regretter son choix, mais plutôt de trouver comment entretenir cette maison et donc améliorer son couple. Si l’on n’arrive plus à entrer par la porte, mais que l’on connaît la maison, on parviendra à y entrer à nouveau, en passant par la fenêtre du premier ou par la porte du rez-de-chaussée. Tout est question d’agencement, de modulation. Si les signes du désamour apparaissent, une chose est sûre : il faut remoduler le scénario en cours.
Chloé Andries