Égalité, féminité, talons aiguilles. Portraits de six filles engagées.
Laura Hemmati, la networkeuse
C’est elle qui a introduit le discours d’Obama lors de son passage à Bruxelles. Elle avait 26 ans. Deux ans plus tard, Laura Hemmati, rédige ceux du commissaire européen aux Sciences et à l’Innovation, Carlos Moedas. Cette expat écossaise a aussi co-fondé le réseau Leadarise, dont le slogan est: « Building friendship rather than contacts » (« Se faire des amis plutôt que des contacts »).
« Je suis arrivée à Bruxelles en 2010, avec la ferme intention de faire carrière. Or, dans la communauté des expats, le networking est l’une des clés de la réussite. Il faut aller aux soirées, aux événements, se faire remarquer, connaître des gens. Les rencontres ont souvent lieu dans des bars, dans des ambiances feutrées, anonymes, plutôt vieux-jeu. C’est loin d’être un contexte idéal pour une jeune femme. C’est même plutôt angoissant, et fatiguant, de passer deux à trois soirs par semaine dans ces endroits, sans certitude que cela serve à quelque chose. Je trouvais cela frustrant que rien ne soit prévu pour les femmes alors qu’elles représentent la majorité des stagiaires des institutions européennes.
Avec une amie, nous avons créé Leadarise, une organisation dont le but est de donner la possibilité aux femmes de se rencontrer dans une ambiance bienveillante et solidaire, d’échanger des expériences, des conseils, de se former. Il ne s’agit pas de créer une séparation entre les hommes et les femmes, un “eux” et un “nous”, mais de changer la culture qui domine encore le monde des institutions internationales. Un exemple ? Un jour, je devais diriger une réunion. Je suis entrée dans la salle et tout le monde a gardé le regard rivé sur la porte, comme si quelqu’un devait me suivre.
Une jeune femme qui réussit professionnellement ne devrait pas être considérée comme une exception. Je ne pense pas que l’on puisse parler de démocratie sans être féministe. Être féministe, c’est vouloir un monde meilleur, pour tout le monde. Aujourd’hui, je ne ressens plus la féminité comme un frein ou une contradiction à mon évolution professionnelle. Même si au bureau, l’habitude est aux tons austères, je porte les vêtements qui me font plaisir. Ça me donne de la confiance. J’ai l’impression que c’est plutôt notre vision de la féminité qui doit évoluer. Pourquoi une femme, si elle veut être considérée comme féminine, devrait-elle être pimpante même quand elle a bossé jusqu’à 2 h du matin ? C’est tout simplement impossible. »
www.leadarise.com, twitter.com/laurarise
Sabine Panet, l’indignée
Rédactrice en chef du magazine « Axelle », le mensuel édité par l’organisation Vie Féminine, elle est aussi l’auteure de plusieurs romans jeunesse. Le dernier en date : « La tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux », avec Pauline Penot (Editons Thierry Magnier).
« Partout, les femmes sont les premières à souffrir de la précarité, et la Belgique ne déroge pas à la règle. Alors que toutes les politiques adoptées devraient être passées au crible de l’égalité hommes-femmes au nom de la loi sur le gender mainstreaming, les mères de famille monoparentale sont les plus concernées par les mesures socio-économiques des gouvernements actuel et précédent, la réforme des pensions approfondit les écarts de revenus… Ces questions sont traitées par les médias, mais les sujets sont trop rares au regard de la gravité de la situation. Après avoir travaillé pendant cinq ans au sein d’une organisation africaine de lutte contre l’excision et le mariage forcé, il m’était impossible de ne pas poursuivre sur la voie du féminisme en Europe.
Mon approche, c’est de considérer les femmes dans toute leur diversité et de ne pas les voir comme des victimes, mais comme des combattantes. Même si nos quotidiens sont différents, on a beaucoup de choses en commun avec les femmes du monde entier, avec les Argentines qui se liguent contre Monsanto, avec les Ouest-Africaines qui se révoltent contre l’excision, avec les Grecques qui s’organisent contre l’austérité. Ce qui nous unit toutes, c’est le développement de stratégies de défense et de détournement de l’autorité. Quelles que soient nos origines, nous sommes toutes les héritières d’une culture de résistance.
C’est cet héritage qui nous rend fortes et qu’il faut entretenir, les valeurs de sororité (le pendant de fraternité, NDLR), d’entraide, de solidarité. Pour moi, c’est ça la féminité plutôt que des normes irréalistes qui voudraient qu’on soit toutes minces, blanches, jeunes et blondes. Est-ce qu’on est féminine parce qu’on est toujours bien coiffée, polie et discrète comme devaient l’être nos grands-mères ? En réaction à toutes ces injonctions, les féministes provoquent, elles sont subversives, elles jouent avec les codes ou les détournent. Elles incarnent la diversité des femmes contemporaines. »
Assita Kanko, la rebelle
Elle est née au Burkina Fasso et vit aujourd’hui en Belgique. Conseillère communale à Ixelles, elle a raconte son engagement dans deux livres, « L’autre moitié, Plaidoyer pour un nouveau féminisme » (Lannoo) et « Parce que tu es une fille » (Renaissance du Livre).
« Je me suis toujours considérée comme féministe, j’étais même féministe avant de connaître le terme ! Enfant, je me révoltais contre l’ordre établi. Chez moi, au Burkina, les petits garçons avaient des droits que les filles n’avaient pas et, surtout, ils échappaient à la corvée d’eau. Les petites filles et les femmes passaient plusieurs heures de la journée à aller remplir leur seau d’eau au puits. Pendant ce temps-là, les hommes jouaient au foot. On lavait les vêtements pendant qu’ils prenaient leur douche. Retour à la corvée d’eau.
Etait-ce possible de supporter cette injustice pendant toute une vie, comme le faisaient ma mère et mes tantes ? Se rebeller, c’était une question de bon sens ! Ensuite, j’ai vécu l’excision. Je ne comprenais pas pourquoi les personnes devaient être traitées différemment en fonction de leur genre. Quand je suis arrivée en Europe, j’étais très enthousiaste. L’inégalité est beaucoup plus flagrante dans les endroits très pauvres, où les femmes subissent des violences corporelles ou sont privées des droits fondamentaux. Ici, on peut travailler en jeans, marcher la tête haute, être très libre... En apparence, en tout cas. Cela m’a fascinée au début.
Puis, en grattant un peu, je me suis rendu compte que c’était un vernis, que la violence conjugale se déroulait à huis clos, que la majorité des viols n’aboutissaient pas à une condamnation, que la discrimination à l’embauche existait, que beaucoup de femmes occupaient les emplois les plus précaires... Ça a été la déception. D’autant plus qu’une femme qui se dresse contre le sexisme est ici souvent perçue comme une capricieuse. Donc on est dominée dans un tas de domaines, et on n’a pas le droit de le dénoncer ? La double arnaque ! Pour moi, la féminité n’a jamais été incompatible avec une conscience féministe. Après avoir subi l’excision et tout le reste, j’ai décidé que personne ne pourrait plus jamais m’en priver, et encore moins sous prétexte que je sois féministe. »
Safia Kessas, la concrète
Journaliste et productrice, elle dirige le magazine « Tout ça (ne nous rendra pas le Congo) » et les projets « diversité » à la RTBF. Son reportage « Le djihad des mères » a aussi été projeté au Théâtre National.
« Le féminisme, pour moi, c’est plus une pratique au quotidien que de la théorie. C’est le soutien des femmes avec qui je travaille en entreprise, c’est la lutte contre les stéréotypes, la transmission de valeurs d’égalité à mes enfants. Je me suis rendu compte des différentes formes de discrimination envers les femmes quand je suis entrée dans le monde du travail. C’est dans ce cadre que j’ai remarqué combien la différence de traitement hommes-femmes persistait.
Une femme en poste dans une équipe majoritairement masculine est parfois l’objet de réflexions inappropriées. À la TV, elle est parfois réduite à un rôle de faire-valoir ou maintenue dans un rôle maternant. Je crois qu’il est très important de donner de nouveaux exemples, et que cela devienne une habitude et plus une exception. Mon credo, c’est d’essayer que dans des situations discriminantes, la personne en face de moi prenne conscience que son propos n’est pas acceptable, qu’elle se rende compte des mots qu’elle emploie.
Pourquoi une femme qui a de la personnalité, qui dit ce qu’elle pense, est-elle hystérique dans le monde du travail alors qu’un homme a “des couilles” ? Ma conscience féministe, je n’ai pas besoin de la déclarer sur tous les toits. Je m’en fiche qu’on puisse penser que féministe, c’est bien ou pas, démodé ou non. Je ne me musèle pas car ma posture est naturelle. Elle est liée à des valeurs d’égalité et de progrès. Et la vigilance est plus que jamais de mise en ces temps contrariés. »
www.facebook.com/safia.kessas
Sofie Peeters, la justicière
Son film « Femme de la rue » sur la banalisation du harcèlement de rue à Bruxelles a lancé le débat sur le harcèlemebt de rue. Aujourd’hui, Sofie Peeters est journaliste à la VRT.
« Quand je vois qu’un hebdomadaire flamand fait encore sa couverture avec des hommes au milieu de deux paires de seins nus en titrant : “Ce que veulent les hommes”, ça me donne envie de hurler au secours. Et si c’est pour rigoler, je ne trouve pas ça très drôle que des médias perpétuent ce genre d’images où la femme n’est qu’un objet sexuel. Suite à la sortie de mon film “Femme de la rue”, en 2012, on a beaucoup parlé du harcèlement de rue en Belgique. Soudainement, des femmes qui se considéraient victimes de pelotages ou d’insultes étaient prises au sérieux. On ne pouvait plus nous blâmer, nous dire qu’on exagérait, qu’on n’avait pas le sens de l’humour ou qu’on ne comprenait rien aux compliments.
Je suis très heureuse que le débat ait contribué à l’adoption de la loi Milquet contre le sexisme et le harcèlement de rue, mais je pense que celle-ci est plus symbolique qu’effective. Essayez d’aller déposer plainte au commissariat de police parce qu’un homme vous a traité de “salope”... Dernièrement, c’est arrivé à une jeune femme à Anvers. Les policiers lui ont répondu qu’elle n’aurait pas dû se trouver dans ce quartier-là à cette heure-là, et encore moins dans les vêtements qu’elle portait ! Est-ce qu’un homme qui se fait agresser est traité de la même manière ? C’est absurde et inadmissible que les femmes, au quotidien, doivent trouver des stratégies pour passer inaperçues dans les lieux publics.
Le changement viendra de la sensibilisation des enfants à l’école, quand on leur aura expliqué que certains comportements sont inadmissibles, quand les filles auront appris à réagir. Se faire insulter parce qu’on refuse de donner son numéro de téléphone, c’est toujours une forme de souffrance. C’est pour ça que je suis féministe, je défendrais n’importe qui dans la même situation. Je suis féministe, mais je suis aussi environnementaliste, je défends les droits des enfants, ceux des minorités, etc. Je réagis avant tout aux situations d’injustice. »
Myriem Amrani, la vigilante
La lutte contre la radicalisation, elle en parle depuis plus de 10 ans. Dakira, l’association qu’elle a fondée, fait la promo du dialogue interculturel et de l’égalité hommes/femmes. Myriem coordonne aussi les programmes de cohésion sociale à Saint-Gilles.
« Dans le quartier où j’ai grandi, à Bruxelles, la maison de jeunes était un lieu réservé aux garçons. C’était mal vu qu’une fille la fréquente. Cette situation n’était pas seulement préjudiciable pour les filles, les garçons aussi en souffraient. Ils ne savaient pas où rencontrer des copines, ils se plaignaient de ne rien comprendre aux femmes parce qu’à la maison, on n’en parlait pas et qu’à l’école, chacun restait de son côté. Dans ces conditions, j’ai vite développé une conscience féministe !
Être féministe, c’est se battre contre toutes les formes de domination et dans cet esprit, toutes les stratégies sont bonnes. Qu’on décide de tomber le soutien-gorge, comme les Femen, ou de mener son combat en portant le voile, ça n’a pas d’importance, il faut fédérer les énergies. La question du droit des femmes est transculturelle, elle se joue sur des curseurs différents en fonction des pays, des cultures, des traditions familiales. Dans certains pays, les inégalités sont plus flagrantes, des femmes se battent encore pour leur autonomie financière ou leur droit à l’alphabétisation.
Mais ici aussi, j’ai vu des femmes souffrir et je crois que notre société doit faire face à de forts enjeux d’éducation pour expliquer aux jeunes ce que signifie le mot féminisme. Notre projet d’égalité est en recul général. Il suffit de regarder les politiques d’austérité, dont les victimes sont majoritairement des femmes. Qu’il soit devenu politiquement incorrect de ne pas être en faveur de l’égalité des sexes ne signifie pas que les stéréotypes aient disparu. J’ai plutôt l’impression que notre société est schizophrène. Je regrette que la féminité soit souvent réduite à un seul type d’esthétique. Chaque femme exprime sa féminité à sa manière, qu’elle porte des talons hauts ou pas. L’important, c’est de savoir quelle femme on veut être. »