Notre rédactrice mode, Elisabeth Clauss, le connaît bien et l'a rencontré à plusieurs reprises. Il est celui qui, selon elle : "crée des robes comme autant de petites machines à sublimer les femmes". Elle le raconte, en 12 émotions.
Créateur belge parmi les nouvelles stars de la scène fashion internationale, le Bruxellois de 36 ans fascine autant par la précision de ses coupes à la sensualité assumée, que par sa discrétion. Un trait de caractère commun à nos couturiers ? En tout cas, tandis que Paris bruisse de « mode-à-buzz » en démonstrations de strass, les Belges prouvent, depuis trente ans, que l’intégrité et l’authenticité de leurs collections leur permettent de grandir et de tenir le cap. Valeur sûre d’un système de mode en pleine mutation, Anthony Vaccarello parle comme il dessine : en toute sincérité.
L’envie
Il a tout juste fini ses humanités, et il rêve de mode. Puisqu’il vise La Cambre, il décide de suivre un cursus aux Beaux Arts de Tournai, pour se préparer. « Je voulais absolument intégrer La Cambre. Déjà, parce que je suis fondamentalement Bruxellois. En plus, à la fin des années 90, on parlait beaucoup d’Olivier Theyskens qui en sortait. Il me fascinait, notamment parce qu’il habillait Madonna, dont j’étais fan. En 1999, j’ai assisté au show de l’école, et la collection de Laetitia Crahay m’a rendu dingue par sa justesse. » Il intègre donc La Cambre en 2001.
L’amitié
Laetita Crahay, longtemps directrice artistique de la Maison Michel et responsable des accessoires et bijoux Chanel, devient alors l’une de ses égéries, en compagnie de Lou Doillon, Charlotte Gainsbourg, Anja Rubik et Caroline de Maigret, ambassadrice Chanel (« Je suis décidément très Chanel ».) Des jeunes femmes sophistiquées, qui n’ont pas froid aux yeux, et qui le soutiennent en lui donnant leur avis sur ses collections, comme en portant haut sa couture dans les médias. « Les muses, ça fait partie du jeu. Je ne recherche d’ailleurs pas les célébrités à tout prix. L’essentiel est que je comprenne bien une femme pour l’habiller. »
La clarté
Il sort diplômé de La Cambre en 2006, et présente le festival d’Hyères (concours international de mode et de photo) avec sa collection de fin d’année. Il gagne le premier prix. « Contre toute attente, car Ann Demeulemeester était dans le jury, et je pensais que le lauréat serait celui qui présenterait quelque chose d’épuré à tendance gothique. Or mes pièces étaient taillées dans un cuir très travaillé. » On parle de lui dans la presse, et le président de Fendi le contacte pour lui proposer un poste à Rome, auprès de Karl Lagerfeld. Anthony Vaccarello ne ment pas quand il dit qu’un fil le relie à Chanel. Il accepte, et collabore avec Lagerfeld pendant deux ans. Et il apprend la réalité du business : « c’est là que j’ai réellement pris conscience que la mode, ce n’est pas que des croquis et de la recherche. Les vêtements ça se porte, et ça doit se vendre. J’ai compris les réalités d’un studio de création avec Karl. Lui, il est intelligent et sympa. C’est sa cour qui crée la distance avec lui. »
La frustration
Au cours de ces deux années formatrices, il doit ronger son frein, ne travaillant « que » sur des propositions d’inspirations (« Karl dessine tout lui-même, de A à Z ») en "fur design", recherche de volumes et manipulation de matériaux. « Je voulais aller plus loin dans mes idées, et passer à la réalisation. Alors quand mon contrat est arrivé à échéance, sentant qu’ici je ne pourrai plus évoluer, je suis parti à Paris, où je vivais une histoire d’amour. » Avec cette ville, aussi.
La tempérance
Pendant un an, il recherche la maison de création où il se sentira bien. On lui fait des propositions, mais rien qui mobilise suffisamment son enthousiasme. « Après une année à attendre, j’avais envie de ‘‘faire’’ : des pièces, une collection. J’ai proposé une série de cinq robes chez Maria Luisa, sans trop savoir ce que je pouvais espérer. Elles ont été placées en vitrine en pleine fashion week [2007, NDLR]. J’ai reçu des réactions très positives, notamment de Carine Roitfeld et de Rick Owens. Après tout ce temps de gestation, ça faisait du bien. » Dans la foulée, il lance une ligne de maillots de bain et quelques vestes, vendus chez Joyce en exclusivité : une collection toute noire faite de patchworks, présentée sur Lou Doillon. « Ça a été le point de départ pour la presse et les acheteurs. L’évolution s’est faite progressivement. J’ai toujours construit mon travail point après point. Les bases, c’est tellement important. »
La liberté
Avec Arnaud Michaux, qui gère sa marque avec lui, ils s’autofinancent depuis le début. « Nous avons commencé par produire cinq pièces avec nos propres moyens. Puis sept, puis vingt. Nous évoluons toujours par étape, l’argent qui rentre est réinvesti. » En 2011, il remporte en outre le prestigieux prix de l’ANDAM (Association Nationale pour le Développement des Arts de la Mode), une bourse d’une valeur de 200.000 euros, qui lui permet de fonder sa propre maison. Et de rester maître à bord. Il fabrique toutes ses collections en France, et affiche après seulement cinq saisons 80 points de vente dans le monde, dont trois en Belgique. « Tout arrive au bon moment, quand on a mis les bonnes énergies en place », commente-t-il.
L’ambition
« Il m’est difficile d’envisager de me réinstaller en Belgique. J’aime beaucoup Bruxelles, c’est une ville cool et reposante, du coup je n’y trouve pas la tension dont j’ai besoin pour créer. Je la connais par cœur, alors je me laisse porter, et je m'y ressource. »
L’ouverture
Créateur précis, il travaille en équipe réduite, ce qui lui permet de garder le contrôle sur chaque étape. « Le succès, ce n’est jamais un coup de chance. Moi, j’ai fait les bonnes rencontres. Il faut être ouvert au moindre signe, saisir les opportunités. Rien n’est aléatoire. Il faut en avoir envie, surtout. »
La distanciation
« Ça toujours été branché d’être Belge à Paris : les Français aiment notre côté ‘‘simple et sérieux’’. Une certaine forme d’humilité. On est moins dans les clichés, ça plaît. »
La sensualité
Chacune de ses collections marque une nouvelle étape. Celle de l’automne-hiver 2016 est particulière. Plus accessible, taillée pour la séduction, et pour le quotidien. Transversale, avec des chemises, tops et robes "perforés pixels" : là où passe la lumière, la peau est suggérée, et le message codé. Le créateur invite des fleurs sur ses broderies, insuffle du romantisme à la sexyness. Il les arme en puissance, les aime conquérantes. Par exemple, il trouve ça « sexy, une belle fille dans une belle voiture. La confrontation de la force et de la fragilité. »
L’exigence
Dans le travail et dans l’image. « Dès le départ, nous avons voulu créer un produit exclusif. Une ligne de luxe, aux pièces exceptionnelles, placées dans les bons points de vente, les ‘‘Colette’’ de chaque pays, et portées par les bonnes personnes. Nous exerçons un métier de désir, et le désir est très fragile. Il faut l’attiser, saison après saison. C’est une forme de séduction, la mode. D’où la nécessité de ne pas faire de compromis. Ce postulat m’amène à rester très vigilant sur le contrôle de l’image de ma marque, jusqu’à la radicalité des choix. J’ai appris de mes erreurs, mais aussi de mes évolutions. Je veux toujours faire mieux. C’est un tout : la bonne idée, la bonne fille, la bonne musique. » Et dans son cas, le bon tempo.
La passion
« Pourquoi la mode ? Je n’ai jamais su répondre à cette question. La mode, je la vis depuis que je suis tout petit, sans être particulièrement à la mode moi-même. Je suis fasciné par l’image, les photos. Je suis presque plus intéressé par l’image de la mode que par les vêtements eux-mêmes. Ce métier, c’est tellement de boulot que si tu n’as pas le feu sacré, il faut faire autre chose. J’aime que ce soit dur, ça permet de faire émerger ceux qui ont le plus la niaque. Je pense qu’en toute chose, si tu veux, tu peux. » Il a raison. Le voici aux commandes de la Maison Yves Saint Laurent.