La Cambre a 30 ans : ce qu’il fallait voir

Mis à jour le 23 janvier 2018 par Elisabeth Clauss
La Cambre a 30 ans : ce qu’il fallait voir

Trente ans de création, de formation, d'enchantement... et pour les plus reconnus, de business.

Un jour, demain, les élèves qui ont montré leurs collections lors des deux shows du week-end dernier intègreront de grandes maisons internationales de mode, ou fonderont leur propre marque. Petit digest des passages les plus spectaculaires, des débutants, aux nouveaux diplômés.

Etienne Tordoir / Catwalk Pictures
Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

1ères années :

A priori il y a 9 mois, ces étudiants ne savaient pas "faire de mode". Pourtant.

Leur passage a été un moment de grâce et d'humour, un exercice de masques et de volumes, composé de mantras décalés (comment aurait-il pu en être autrement ?) Un ruban d'inventivité maîtrisée, de couleurs heureuses. Ils débutent à peine, et on se disait qu'on pourrait tout porter. Ces débutants ont compris l'essentiel du vêtement : exprimer, faire rêver, protéger, cacher si on le sent comme ça. Des pièces romancées, dont avait envie de s'approprier les subtilités tissées.

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Les 2èmes années :

Ils ouvraient le show, dans le noir, éclairés seulement de cierges magiques (bien sûr : c'était une sorte de grand' messe de la mode expérimentale).

Leur objet d'étude spécifique, en plus des autres disciplines appliquées ? Le travail de la maille. Qu'ils ont tricotée, drapée, chamarrée. Chaque détail, chaque soulier, le plus petit pli, était réfléchi et mériterait un focus à lui seul. L'ensemble : une poésie technique. Le futur : prometteur, pour ceux qui sauront tirer le fil, sans relâche.

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Etienne Tordoir / Catwalk Pictures
Etienne Tordoir / Catwalk Pictures

Les 3èmes années :

C'est "l'année des hommes". Des collections hommes, s'entend. Autre critère au cahier des charges des élèves pour la présentation de leur travail : leur passage doit se faire sous forme de chorégraphie, en musique et dramaturgie. Un moment jubilatoire et dansant, pour des vêtements masculins qui sortent du cadre hélas si souvent commun qui les attend, pauvres garçons cantonnés à une norme qu'ils peinent à dépasser. Qu'ils jettent un oeil au show de La Cambre, à défaut d'être immédiatement disponible, c'est inspirant.

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Adèle Andréone / Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures La Cambre Mode(s) Halles de Schaerbeek Belgium
Adèle Andréone / Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Les 4èmes années :

Adèle Andréone a réfléchi la féminité dans le vêtement de travail, et y a brodé de l'érotisme dans de la soie. Autre paradoxe : ses tableaux sexuels sont représentés sur des pièces couvrantes. De la collection d'Adèle, on retiendra aussi la délicatesse des superpositions, les boucles de ceintures d'avion (prête au décollage) et les accessoires en forme de mains. Jeux demain, jeux de Cambriens.

Alix Brandenburger s'est consacrée à une collection hommes, transversale cependant : pour elle, les pièces peuvent passer d'un dressing à un autre. Ses codes : le tartan quand il est punk, l'oversized et les applications "tuffeurs" du grunge, qui est né à peu près en même temps qu'elle.

Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Alix Brandenburger Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Antoine Guitou a repensé les classiques en restructurant leurs volumes, et en y ajoutant un twist futuriste.

Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Antoine Guitou Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

L'héroïne de Clovis Nix, c'est la working girl qui décompense. Lui décompose sa collection en partant du tailleur 'à peu près) classique, et glisse vers la party girl. Il a voulu des pièces confortables, portables, qu'on a envie de toucher. En fait, c'est elles qui nous touchent. C'est l'histoire d'un lâcher prise, qui accroche.

Clovis Nix Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Clovis Nix - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Dans sa narration, Grimaud Leclercq renvoie les hommes au foyer, et mixe le sartorialisme aux clichés des codes féminins.

Grimaud Leclercq Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Grimaud Leclercq - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Kevin Prat Irien mélange les univers, joue des asymétries, clashe les matières. Le résultat : une collection toute en délicatesse, légère, alors qu'elle véhicule plusieurs messages. En passant, on adore la robe toute en sequins, princesse sous Prince de Galles (ne nous faites pas dire...)

Kevin Prat Irien Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Kevin Prat Irien - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Pour Gabriel Figueiredo, les hommes ont droit aux atours féminins, adaptés à leur morphologie. Il présentait une collection toute en volumes over-pensés, chemise bouffante et bottes déchirées par une pointure virtuellement mal estimée. Déstructuré, sauf dans la conception.

Miguel Figueiredo Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Miguel Figueiredo - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Ester Manas a fabriqué sa collection "à partir de ce qu'elle a trouvé chez elle". C'est l'up-cycling du dressing, avec des influences margieliennes et des inserts de tissus d'ameublement. C'est l'idée de "la robe de chambre", qu'on a très envie de sortir de son contexte.

Ester Manas -  Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Ester Manas - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

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Marine Serre - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Marine Serre - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Les 5èmes années sont tous sortis diplômés. Prêts à partir à l'assaut du marché de la création, désireux d'intégrer l'une de ces grandes maisons dans lesquelles ils ont fait leurs stages - 5 a priori - ou rêvant de marquer de leur patte singulière l'histoire d'une autre encore, sur un autre continent peut-être. Ils ambitionnent de fonder leur marque, vont tenter des concours internationaux (le Festival d'Hyères, notamment). Tout leur est ouvert, voici ce qu'ils ont imaginé comme carte de visite, à glisser dans l'entrebaillement des portes des studios qui les ont fait rêver jusqu'à les mener au pied du catwalk des Halles de Schaerbeek, sans dormir des nuits entières, à bosser comme des passionnés :

Pour Alexandra Paty, la mode est liée à une forme d'art contemporain. Il a mixé les influences de divers plasticiens, invoqué les codes des années 20 avec franges et paillettes, fourrures et chaos organisé, pour inventer une collection qui rassemble son idée de l'art, quand il devient un cost'art.

Alexandre Paty Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Alexandre Paty - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Anna Tanaka a décliné sa collection masculine sur l'histoire d'un atelier. Les blouses d'artistes sont patchworkées, les vestes barbouillées. C'est l'esprit "work in progress", à suivre (et en passant on pique l'idée des Converses sans languettes).

Anna Tanaka Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Anna Tanaka - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Pour sa collection masculine (que d'hommes, cette année), Benjamin Monein a dépiauté le mythe de la star qui tente de passer incognito tout en se faisant remarquer le plus possible. La chanson qui a accompagné ses mois de réflexion : "le Chanteur", de Balavoine. Des pièces pour le jour et le soir, avec un travail intéressant sur les accessoires (sacs à dos poupées gonflables), et lunettes de soleil entièrement démontables, dans un packaging plat déjà bien élaboré. Sous les capuches, on ne peut pas s'empêcher de penser aux héros de Star Wars, même si on a zappé les 18 derniers épisodes de la saga. Les vestes sont démantibulées, les manteaux asymétriques, les santiags sont customisées en baskets (à moins que ça ne soit le contraire). Avec ses différents niveaux de culture et de lecture, souhaitons-lui que partout dans la rue, on ne parle que de lui.

Benjamin Monein Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Benjamin Monein - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Comme certains font de la musique de chambre, Charlotte Mounzer a fait une collection d'alcôve tout en voiles et transparences, fondée sur la symbolique de la main : celle qui lisse le drap, qui tapote les oreillers, qui caresse, qui...

Charlotte Mounzer Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Charlotte Mounzer - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Julian Klausner a vêtu la showgirl qui retourne dans sa loge. Il y a là un peu de mélancolie, vite balayée par la cascade de sequins. Ses cuissardes - qui tiennent avec des porte-jarretelles - sont proprement hallucinantes. Ses danseuses qui regagnent leur pénates sont déjà en peignoir, et encore en robe de scène. Une collection romantique et burlesque, qu'on portrait tous les jours, avec panache et sans faire de scène.

 

Mariam Mazmishvili a monté toutes ses pièces à la main, a passé les rubans dans les dentelles, pour sa collection fondée sur l'idée d'une "femme vase", avec des lignes de corps primitives. Elle a confronté des pièces à effet minéral (idée de la pierre grise et des teintes froides) avec des découpes et des broderies naïves à grosses fleurs. Ses empiècement racontent la nécessité de réparer ce qui peut l'être, en mettant en valeur le raccord qui redonne une vie. Mention spéciale pour les lunettes de soleil fun et fleuries. Ethique, esthétique.

Mariam Mazmishvili Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Mariam Mazmishvili - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Marine Serre. Le Prix ELLE X La Cambre d'une part, mais surtout, une collection magnifiquement aboutie. Elle raconte l'histoire d'une fille dont les racines sont au Maghreb, et les branches dans une ville, une cité, ou la rue près de chez vous. Elle aime les logos, le sien est un croissant de lune. Son voile, c'est une longue frange de chaînettes. Les jupes bouffantes, les chemises cintrées aux manchettes volantées, sont un hommage aux princesses arabes du 19ème siècle. Ses catsuits, ses tops à basques, ses bijoux de têtes mixés avec du sportswear, sont une oeillade aux petites reines urbaines d'aujourd'hui. Elles ont fière allure, elles s'amusent avec le rebranding, elles sont modernes. Demna Gvsasalia, Directeur Artistique de VETEMENTS et de Balenciaga a dit d'elle lors du jury : "elle est prête". On le pense aussi.

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Final - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures
Final - Photo Etienne Tordoir - Catwalk Pictures

Ce show a aussi été possible grâce à eux, ces sponsors sans qui les étudiants ne pourraient pas montrer le fruit de leur travail acharné (ce n'est pas galvaudé, on peut vous l'assurer, on les surveille toute l'année).

MAC Cosmetics a maquillé, deux soirs de suite, 350 mannequins.

Biguine les a coiffés.

Baume et Mercier a lancé une collaboration avec eux.

Le MAD Brussels, la Fédération Wallonie Bruxelles et Brussels Invest & Export ont financé une partie de l'événement.