A deux mais pas full fidèles …
« Nous, on admet que chacun puisse avoir envie d’une tierce personne et que, dans une certaine mesure, il vaut mieux que ce désir soit assouvi, pour que notre couple reste en bonne santé. » Sarah est fomogame. Un mot un peu tordu pour désigner un phénomène qui touche de plus en plus de jeunes autour de la vingtaine et de la trentaine. Le nom de cette nouvelle manière d’envisager le couple provient de l’assemblage de l’acronyme « FOMO » et du suffixe « gamie ». FOMO, pour « fear of missing out », c’est-à-dire « la peur de rater quelque chose », est le terme que psys et sociologues ont inventé il y a quelques années pour décrire un syndrome tout à fait sérieux et dont nous souffrons de plus en plus dans nos sociétés hyperconnectée : l’angoisse de rater un événement, une soirée ou quoi que ce soit qui ferait de nous quelqu’un de vraiment cool. C’est pour cela que nous sommes addicts aux réseaux sociaux et aux technologies. En d’autres mots, vous êtes FOMO quand vous vous avez l’impression que votre vie est chiante et banale comparée à celles de vos contacts Facebook. Vous êtes FOMO quand vous culpabilisez d’être restée à la maison un vendredi soir et que vous passez des heures à regarder ce que que vos copines font, ce qui vous rend évidemment encore plus FOMO…
C’est justement un de ces vendredis soir à la maison avec mon chéri, après un dîner en amoureux, qu’une copine a débarqué pour une « affaire urgente » dont elle devait me parler toutes affaires cessantes. Une fois seules toutes les deux dans l’intimité de la salle de bains, elle m’explique qu’elle a une dizaine de minutes pour se doucher et se changer. « Un gars m’attend chez lui, à quelques rues d’ici, et je me suis dit que je pouvais vite passer chez vous pour me rafraîchir parce que, là, je reviens du boulot, pas question d’y aller dans cet état ! » Dix minutes plus tard, pimpante et pimpée, elle consent une explication devant nos regards inquisiteurs et surtout réprobateurs, car nous savons qu’elle est en couple.
« Ce gars, c’est juste pour le sexe. On s’est déjà vu une fois et ça a bien marché. Mais je dois faire vite, mon copain m’attend à une fête plus tard dans la nuit ! » Quelques jours plus tard, quand je la recroise, j’en profite pour lui demander si tout va bien avec son copain. « Oui, tout va bien ! Simplement, nous nous connaissons depuis si longtemps qu’on a envie, tous les deux, d’essayer autre chose, de s’ouvrir à de nouvelles expériences avec d’autres partenaires. Ce serait dommage d’attendre que ce soit trop tard, que notre couple s’essouffle à cause de nos frustrations ou de vieillir en regrettant d’être passé au-dessus de notre sexualité. » Pas la peine d’en faire une affaire d’État…
Maïté et son copain sont eux aussi fomogames. Par peur de brider leur sexualité en limitant leur expérience au lit conjugal, ils ont, de commun accord décidé, d’explorer d’autres horizons en compagnie d’autres personnes.
Etre fomogame, ça revient donc à être à 95 % monogame et à 5 % en relation ouverte… Mais attention, rien à voir avec les mœurs volontairement dissolues des hippies, des polyamoureux ou des swingers. Ici, la relation ouverte ne s’inscrit pas dans un mode de vie alternatif. Il ne s’agit pas de s’affranchir de la société bourgeoise ou de s’envoyer en l’air sous l’effet de drogues ou d’alcool. Il ne s’agit pas non plus d’une peur de l’engagement. Concrètement, les partenaires se mettent d’abord d’accord sur le cadre des aventures. C’est vécu comme un arrangement qui permet au couple de durer, un peu selon le principe du moindre mal. « Quand on y pense, la terre est peuplée de partenaires sexuels potentiels. Pourquoi, dès notre plus jeune âge, nous en tenir à un seul pour le restant de notre vie ? Ce serait du gâchis. » Voilà l’argument de Sarah. Son copain Patrick et elle se sont connus très jeunes, au début de la vingtaine. « Nous nous aimons beaucoup et nous avons envie de construire notre vie ensemble, mais nous ressentons le besoin de nous épanouir sexuellement en ayant d’autres partenaires occasionnels. Mais cela ne veut pas dire que je lui fait un rapport détaillé de mes ébats avec un autre ! » Aux prises avec une baisse de désir sexuel dans son couple, le monogame va être tenté d’évacuer ses frustrations dans une liaison extraconjugale sans toutefois l’avouer à son partenaire, alors que le fomogame ne lui cachera rien.
« Nous sommes très contradictoires vis-à-vis de l’infidélité», estime Esther Perel, thérapeute du couple, gourou du désir et de l’intelligence érotique. « Plus de 95 % d’entre nous trouvent terriblement malvenu que son partenaire mente au sujet d’une aventure, mais le même pourcentage avoue pourtant que c’est exactement ce qu’il ferait s’il était infidèle. » Sarah, en bonne fomogame, ne dissimule jamais ses aventures. «Il arrive que mes amies me rencontrent avec un autre homme que Patrick. Celles qui nous connaissent vraiment savent que Patrick et moi nous respectons et avons suffisamment de confiance mutuelle pour ne pas mettre en péril notre relation. »
« Du nouveau, vraiment ? » sourit Marianne. La soixantaine chic, en jean frangé (commme en mai 68 ), elle évoque Woodstock et le flower power. « Bien sûr qu’on ne passait pas son temps à coucher avec tout le monde. Mais le mariage a pris de solides coups de canif dans le contrat grâce à cette époque. Et d’ailleurs, qui peut affirmer que nous sommes faits pour être monogames ? »
Ce qui est nouveau, c’est que, grâce à Tinder, il n’a jamais été aussi facile de choper. « On n’est plus obligée d’aller dans un bar ou à une fête», explique Maïté.
Tout est-il si rose au pays des fomogames ? Et la jalousie, dans tout ça ? « Si l’on veut que ça marche, il faut apprendre à composer avec elle et à l’assumer », estime Sarah. C’est aussi ce que conseille l’historienne et philosophe Giulia Sissa dans son livre « La Jalousie, une passion inavouable » (Éd. Odile Jacob). Pour l’auteure italienne, la jalousie n’a rien de honteux, de narcissique ou de rédhibitoire. Au contraire, elle devrait être reconnue comme un corollaire indispensable à l’amour, au lieu d’être refoulée ou considérée comme une faiblesse. « C’est un sentiment noble qu’il ne faut pas mépriser. » Giulia Sissa, comme Esther Perel, suggère même que l’adultère (et la jalousie qu’il suscite) peut être bénéfique au couple. En quelque sorte, le choc de la douleur libérerait le désir, réveillerait l’amour. Pour Esther Perel, les problèmes de sexualité que rencontrent une grande part des couples modernes sont la conséquence d’un dilemme existentiel, d’une contradiction inhérente au mariage. « Tous les êtres humains sont mus par deux besoins fondamentaux. D’un côté, le besoin de sécurité, de permanence, de stabilité et, de l’autre, le besoin d’inattendu, de danger, de mystère. Le couple passionnel, le couple érotique, à la sexualité durable, est celui qui parvient à concilier les deux. »
Les fomogames font-ils partie des happy few qu’Esther Perel appelle « couples érotiques » ? En tous cas, ils formulent leur propre réponse à ce que la sexologue nomme « la crise du désir » que les relations amoureuses modernes connaissent. « ça fait plus de dix ans que je rencontre des centaines de couples aux quatre coins du monde et selon ce qu’on entend par infidélité, selon l’étendue de la définition, qui peut aller des messages coquins aux vidéos pornos ou au fait d’être actif sur des applications de rencontre, je dirais que entre 26 % et 75 % de ces couples sont infidèles. La supposition classique est que si on trompe, soit il y a un problème dans la relation, soit il y a un problème de personne. Il est pourtant impossible que des millions de personnes soient pathologiques ! On se demande toujours pourquoi on devrait aller chercher quelque chose ailleurs alors qu’on a tout à la maison. Mais s’il y avait des choses que même une bonne relation ne pouvait pas procurer ? Si même les gens heureux trompent, de quoi s’agit-il ? »
Louise Culot