2

Le challenge petit matin d’Elisabeth Clauss journaliste mode

Certains font le choix de se lever tôt le matin. D’autres sont simplement mis devant le fait accompli dès potron-minet par une grande giclée d’adrénaline quotidienne. J’en suis.

05 h 30. J’ouvre les yeux, sur un réveil qui est réglé pour imiter le chant des oiseaux à 7 h 01 (le son est si insupportable pour une citadine que je soupçonne mon organisme de m’épargner cette épreuve en me réveillant spontanément avant cette machine mythomane).

05 h 31. Je décide, comme chaque matin, que cette fois-ci, je vais me rendormir, parce que rien de ce qui m’attend dans cette nouvelle journée n’est si urgent que ça.

05 h 32. Du coup, je repasse chaque point en revue. Les articles à rendre, les coups de fil à passer, la séance de crossfit programmée avec mon coach à 9 h précises. Je n’ai jamais été là à 9 h précises.

05 h 33. Mes 200 mails en retard. Les gens qui m’ont énervée récemment, et à qui j’ai envie de claquer le beignet, là, tout de suite, du fond de mon lit.

05 h 34. La machine que j’ai lancée hier soir et que je dois mettre au séchoir. Les factures à rédiger.

05 h 35. Les pancakes frais que j’avais prévu de cuire pour le petit déj’ ce matin.

05 h 36. Je suis complètement réveillée, mais je me raconte que je peux encore me rendormir.

05 h 37. J’ai faim.

05 h 38. à partir du moment où j’ai pensé aux pancakes, je savais que c’était foutu. Je me lève.

05 h 40. Je passe dans la salle de bains et je me pèse.

05 h 42. Je passe devant la buanderie et je décide de ne pas lancer le séchoir tout de suite, pour ne pas réveiller toute la maison.

05 h 43. Je lance le mixer avec la farine, les œufs et le beurre fondu pour les pancakes. Ca fait cent fois le boucan du séchoir, mais ici, c’est une situation de première nécessité.

05 h 44. Je lance mon ordi. Silence dans le salon : « Télé Matin » n’a même pas encore commencé. Je bosse plus tôt que William Leymergie.

05 h 50. Je mange une pile de pancakes (avec pépites de chocolat et sirop d’érable) en ouvrant mes mails.

06 h 15. J’ai répondu à mes messages, et englouti de quoi assommer dix Canadiens en hypoglycémie. Pour me déculpabiliser, je retourne me peser.

06 h 16. Je ne me sens pas plus légère, alors pour rééquilibrer mon ratio « coquetterie », je me fais un masque.

06 h 20. J’ai l’impression qu’il est 10 h, alors je lance le séchoir. De toute façon, mes voisins sont ceux du point « 5 h 33 ».

07 h 02. Personne ne m’a interrompue, je n’ai même pas encore checké Facebook, alors j’ai pu écrire l’article que je devais absolument envoyer aujourd’hui. Virtuellement, ma journée de boulot est finie.

07 h 03. Je me connecte donc sur Facebook et j’allume « Télé Matin ». Aujourd’hui, je serai à l’heure au cross fit.

07 h 33. Je perds une demi-heure à faire de délicieuses inutilités. Mais il me reste encore toute une matinée complète, alors je démarre un gros dossier que je ne pensais attaquer que demain.

08 h 30. C’est l’heure de ma plus tardive grasse mat’ depuis 1987. Au lieu de ça, j’ai déjà quasi harcelé quatre attachés de presse pour demander infos, visuels, dates de sortie de produits, tout ça.

08 h 40. J’ai bien fait de m’y mettre à l’avance, mon article est plus fouillé que ce que je pensais faire au départ. Je n’ai pas vu l’heure passer. J’ai envie de me recoucher, du coup.

08 h 41. Je ne me recouche pas. La ville se réveille. Les automobilistes klaxonnent sous mes fenêtres, les chiens urinent sur les réverbères, les cyclistes filent avec des gamins encasqués et des cartables dans le porte-bagages. Tout ceci est rassurant, le monde vibre et je suis encore en pyjama. Ma deuxième journée commence. J’ouvre un nouveau document, j’écris encore.

09 h 02. J’ai déjà reçu une vingtaine de mails frais du jour. Je les trie, je réponds, j’efface sans lire. Je bosse.

09 h 15. Je saute dans ma tenue de sport, un coup de mascara, l’ordi encore ouvert, les « cling cling » des messages qui commencent à pleuvoir, et je claque la porte derrière moi.

09 h 35. J’arrive en retard au crossfit, je bafouille une excuse qui n’en est pas une puisque c’est la vérité : je travaillais.

10 h 30. Je rentre chez moi. Je réalise tout ce que j’ai déjà fait, je mesure ce qui reste à accomplir, mais j’ai gagné une demi-journée de boulot. Alors je prends, enfin, mon bain. Et je coupe mon réveil, qui piaille depuis 7 h 01. L’avenir appartient à ceux qui rêvent tôt.