C’est l’histoire d’une Belgique, terre d’asile (psychiatrique), qui collapse tandis que le roi part en mission diplomatique, l’Atomium sous le bras (bançonne).
Un film surréaliste, hybride d’un Kusturica qui aurait digéré Ken Loach après une virée avec Terry Gilliam.
Jessica Woodworth, la co-réalistarice, scénariste et productrice, est une Américaine de Washington. Elle est plus flamande que vous et moi. Elle travaille toujours en binôme avec son mari, Peter Brosens, Belge rencontré un soir de Noël en Mongolie. Elle vient du documentaire, et monte des films poétiques et engagés. Jessica comprend la Belgique, peut-être mieux que ceux qui y sont nés. Un syndrome d’expatriés.
King of the Belgians est un film d’humour et de décalage, d’une autodérision digne comme seule la Belgique en est capable. Une Belgique incarnée par un roi manipulé et résigné, miraculeusement libéré par l’anonymat. Voici que débarrassé du protocole, il voit la vie clairement, regagne confiance en lui. Retrouve l’usage de ses sens, et retrouve son sens à lui.
Cette idée première du roi coincé à l’étranger sans moyen de rentrer alors que la Wallonie vient de déclarer son indépendance est une inspiration mixée de l’éruption du volcan islandais dont nous n’avons ni le temps ni la place d’écrire le nom, et de la crise politique de 2011. Deux situations ubuesques, transposées au destin d’un homme solitaire et fragile, enkysté dans le protocole à l’autre bout de l’Europe. « Actuellement, nous vivons une période sombre, et j’ai confiance que la « gravité légère « de ce film touchera tout le monde. Ça suffit, le chagrin des Belges ! »
Le film aborde également la question de la fragilité de l’Europe : « on a eu le Brexit, les réfugiés, Trump : quel est le futur de l’Union Européenne ? En tout cas, notre film croit au potentiel de l’harmonie entre les peuples. »
Le film est respectueux envers la famille royale (qui, au moment où nous écrivons ne l’a pas encore visionné). Variety et moi, ce film, on l’a adoré. Le public du festival de Venise, 1400 personnes qui lui ont fait une standing ovation de 20 minutes, aussi. Pourtant, les tribulations de ce Nicolas III de fiction en Europe de l’Est, aucun distributeur belge n’a voulu prendre le risque de les diffuser. Le film a été acheté au Japon, en Italie, en Espagne, en Russie, en Turquie, en République tchèque, en Slovénie, et dans tous les pays baltes. 25 pays en tout ont salué l’intelligence et le rocambolesque d’une fiction portant sur un sujet grave mais qui ne se prend pas au sérieux. Les producteurs-auteurs-réalisateurs ont donc distribué le film eux-mêmes. Mais la Belgique, bernique.
Peter Van Den Begin incarne donc Nicolas III, et joue actuellement Richard III (un autre roi) au théâtre. Il sera aussi bientôt un présidentiable dans le prochain film de Nabil Ben Yadir (Les Barons). Il a l’étoffe de jouer des dirigeants, et déjà 9 ans, il serrait la main à Baudouin, un jour où la petite troupe de théâtre dans laquelle il se produisait avait donné une représentation devant le roi.
« Pour ne pas faire de pastiche de Philippe, j’ai cherché le roi en moi. J’ai passé trois jours seuls à Ostende, à marcher toute la journée, pour creuser la profondeur du personnage. Ce film a un côté documentaire, il fallait être crédible. Surtout que je suis connu en Flandre pour avoir joué dans beaucoup de comédie, et participé à des émissions de télévision habillé en femme ! Ce tournage était une vraie aventure, une succession de fête. En Turquie et en Bulgarie, tout le monde m’appelait « majesté », du personnel des hôtels à l’équipe de tournage. Mais pour Richard III, au moins, je peux porter une couronne. J’ai insisté », plaisante-t-il.
«À Ostende, pendant que je faisais rentrer le protocole dans chacune de mes cellules, je me demandais : « quels sont les rêves d’un enfant qui doit devenir roi, et qui n’a pas d’autre alternative ? »
Aujourd’hui, que reste-t-il du roi en lui ? « De la douceur et de la compassion, le respect d’avoir enfilé le costume d’un autre. »
Ça veut dire quoi être belge ? « J’aime avoir deux cultures, j’aime la différence… J’aime Bruxelles. Il y a de plus en plus de réalisateurs qui travaillent avec des acteurs francophones et néerlandophones. Je pense que ça ne fait que commencer. C’est une richesse pour notre pays, et ça, ça me rend fier ».