Pour arrondir ses fins de mois, Cécile accepte un job pas comme les autres: celui de coach en séduction!

Un jour, une annonce surprenante attire mon regard sur le Net : « Société recherche coach en séduction. Maîtrise impeccable de l’expression écrite obligatoire. Personnalités schizophrènes bienvenues. Rémunération intéressante. » Je ne suis pas particulièrement dérangée, mais je suis suffisamment curieuse pour répondre à cette candidature atypique. Par ailleurs, comme il faut bien faire bouillir la marmite, me voilà, un entretien d’embauche plus tard, lancée dans une nouvelle carrière pour le moins singulière : celle de la drague pour autrui, de « coach en séduction », un métier en ligne de moins en moins confidentiel. Mon nouvel employeur m’a mise au parfum : plus que de « coacher » les amoureux en devenir, il s’agit en réalité de se mettre dans la peau d’un autre (homme ou femme, c’est selon) et de chasser, sous couvert de pseudonymes, le maximum de proies disponibles dans ce grand supermarché de l’amour que sont les sites de rencontres. L’idée (louable, à la base) est d’aider les discrets, les timides, celles et ceux qui ne savent pas se mettre en valeur
sur le web ou qui ignorent comment entamer une conversation en ligne.

Mon premier « client » s’appelle Matthieu. Il a 54 ans, le cheveu rare, la timidité galopante et le cœur en berne. « Je veux tomber amoureux, exige-t-il tout de go. Le problème, sur les sites de rencontre, c’est que toutes les femmes que je convoite ne me répondent jamais. » Profil de la chérie recherchée : la petite trentaine, habitant dans un rayon de 30 km maximum, blonde, belle, à forte poitrine. Pour l’originalité, on repassera. Matthieu a mis le paquet : il a pris « l’option luxe » auprès de mon employeur. Pour à peu près mille euros, Mathieu va être relooké et photographié, il disposera de profils percutants sur deux sites de rencontre et obtiendra trois rendez-vous – clés en main – avec de pulpeuses trentenaires blondes au bonnet C, voire D, vivant tout près de chez lui, et ce dans un délai de quelques jours. Pendant une semaine, je me ferai passer pour lui sur internet.

A notre première rencontre, je fais le tour de sa garde-robe et de sa personnalité. Niveau dressing, on ne va pas aller bien loin : quelques t-shirts achetés au supermarché, trois jeans qui lui font des fesses comme des montgolfières et une parka qui lui donne un air de zonard dépressif. Comme ses fringues, sa personnalité mériterait un sérieux toilettage : Matthieu est très aimable, mais un peu triste, un peu terne. Il n’a aucune passion. Il ne lit pas, il ne va pas au ciné, il ne fait aucun sport et il n’aime pas la musique. Il ne parle pas beaucoup, non plus. Et son job, très technique, ne fournit aucun sujet de conversation. Ça s’annonce ardu, comme première mission. Malgré tout, une séance de shopping plus tard, le photographe qui travaille avec moi fait des miracles. Les clichés sont splendides. À tel point que j’ai moi-même du mal à reconnaître « mon » Mathieu.

Armée de ces nouvelles images, je m’attaque illico à la rédaction de son profil. Je choisis le pseudo « Antarès ». Comme l’étoile. Ça fait cultivé, ça peut faire rêver les filles et ce n’est pas pire que « BeauGos-54 ». « Antarès » a maintenant un visage. Reste à lui inventer une vie. Sur internet, Mathieu devient charmant. Passionnant. Il a visité le Vietnam, il a été animateur radio et il lui arrive de faire du bénévolat à Madagascar. Question études, il est autodidacte, curieux de tout. Bien sûr, il admire Desproges. Forcément, il est tendre et – non, vraiment – il ne recherche pas « un plan cul ». Les profils sont prêts. J’aiguise mon clavier et me mets à déambuler dans les méandres des photos de profil féminins. Léa ? Trop brune. Charlotte ? Trop vieille. MimiDeNivelles ? Trop vulgaire. Assez vite, je sélectionne une petite dizaine de femmes, et je prends grand soin de vérifier la date d’inscription de la miss sur le site de drague car plus la date d’inscription est ancienne, plus la dame en question a un risque d’être désespérée. Je me sens comme un Machiavel de l’amour, un Cupidon sans scrupules.

En une semaine, il me faut obtenir trois rendez-vous, pour Matthieu. Le timing est serré et je suis novice. Du matin au soir, toutes mes journées sont utilisées en parlottes interminables avec des inconnues. Et avec des inconnus aussi. Oui car, entre-temps, on m’a confié trois autres contrats et je drague, pêle-mêle, pour une Ariane helvète expatriée de 67 ans, pour une Élodie liégeoise ultratimide, et pour un Kevin trentenaire exigeant une « petite femme mignonne et pas trop grande gueule ». Il s’agit de ne pas s’emmêler les pinceaux. De se souvenir de qui aime quoi. De ne pas écrire au féminin quand je drague pour un homme et vice-versa. Dans tout ce mic-mac, je n’ai plus une minute à moi.

Je passe beaucoup de temps à « être Matthieu ». La première candidate que je lui trouve, Mathilde, a 31 ans et est secrétaire médicale. Elle est câline et extrêmement seule. Voilà la faille dans laquelle je m’engouffre, impitoyable. Tous les jours, à 7 h tapantes, je lui envoie un message à l’avenant de sa nature : « Douce journée à toi, j’ai du mal à quitter l’appli, j’ai du mal à te quitter, toi. » À midi, je remets une couche : « Comment va la plus jolie femme de Belgique ? Je pense à toi. » Estocade finale à 23 h : « Je suis au lit. Bien trop seul. J’aimerais t’amener le petit-déj’ demain matin. Tu prends un ou deux sucres dans ton café ? » Bingo : le message que je reçois me confirme que j’ai tapé dans le mille. Mathilde donne rendez-vous à Mathieu, le lendemain matin, pour un café. Avec deux sucres.

Mathilde n’a, bien sûr, aucune idée que le « Matthieu » avec lequel elle a correspondu si intimement et si passionnément, depuis plusieurs jours, est en réalité une femme qui n’a jamais mis les pieds à Madagascar. Elle pense avoir enfin trouvé la perle rare, le « mec sympa qui est à l’écoute ». Hélas, le rendez-vous ne se passe pas bien. Aucun feeling entre eux. La magie des échanges sur le web n’est plus. Assis l’un en face de l’autre, ne restent que deux paumés muets en mal d’amour. Deux paumés déçus.

Comme le stipule mon contrat, il me reste deux rendez-vous à dégoter pour Matthieu. Je continue donc à traquer les blondes sur les sites de rencontres. Anna et Laureline89 sont particulièrement réceptives. Là encore, endéans le délai qui m’est imparti, j’obtiens des deux pulpeuses platine un rendez-vous galant. Mission accomplie. Je touche mon chèque et j’oublie Matthieu. Enfin, j’essaie… Car, au fil du temps, je l’avoue, je me suis attachée à cet homme un peu bourru. Et puis, un jour où je m’évertue à draguer une Sylvie de 22 ans pour un Dylan de 25 ans à grands coups de smileys, de fautes d’orthographe et de LOL, je reçois un coup de fil de « mon » Matthieu ! « Je suis à la gare. J’ai envie de venir te voir. » J’ai souri et je lui ai donné rendez-vous le plus vite possible dans un café, pile à mi-chemin des deux cents bornes qui nous séparent. J’ai galopé vers la gare. Malgré ma trentaine depuis longtemps dépassée, ma crinière rousse et mon petit bonnet  A, il a suffi d’un regard pour que nous tombions dans les bras l’un de l’autre. Merci internet.

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