Ou pour être précis, “des placards sans sexe”. C’est le phénomène mode majeur de ces dernières saisons : les frontières entre modes féminines et masculines se gomment, les silhouettes s’harmonisent, les collections fusionnent.
Un duo belgo-néerlandais vient de lancer gardrobestore.com, la première boutique en ligne sans distinction de genre. Idéal… pour se donner un genre.
Hans Tollet et Fleur Verdijk ont sélectionné un mix pertinent de marques et de labels hauts de gamme atypiques, du segment moyen supérieur au style décontracté et intemporel. Gardrobestore.com est la toute première boutique en ligne multi-marques à lancer la catégorie sans distinction de genre ‘Neutral’. Dans un esprit flirtant avec la frontière entre homme et femme, la boutique en ligne prolonge l’initiative du shop physique déjà inauguré dans le quartier industriel Strijp-S à proximité des emblématiques usines Philips.
” Neutral” propose une alternative ambigüe à tous ceux et celles qui souhaitent s’habiller de manière anticonformiste par rapport à leur sexe, ou qui visent la simplicité d’un look androgyne, élégant et spontané. Plus de ditinction de genre, et plus de saisons non-plus. Les marques représentées ? Des classiques du genre, si on peut dire : Henrik Vibskov, Stutterheim, HOPE, Wood Wood, The Last Conspiracy et Won Hundred, mêlé avec les labels high-fashion internationaux Black Crane, Priory et Universal Works, introuvables ou presque en Europe. La boutique en ligne est en outre la seule boutique multi-marques à proposer l’intégralité de la collection Stutterheim.
Car certes, les garçonnes, ce n’est pas neuf. Dans les années 30, Greta Garbo et Marlène Dietrich puisaient la puissance de leur féminité dans le vestiaire masculin. Aujourd’hui, la fluidité des genre s’inscrit dans une (r)évolution sociétale.
Ce n’est pas « une tendance de l’automne », c’est un mouvement historique, fait pour durer. Chez Alexander Wang, on a vu défiler des elfes androgynes en sweats à capuches, visages poupons et mains dans les poches. Filles, garçons ? Peu importait. Même désinvolture dans le tailoring revu par la rue par Koche, et dans les vestes en jeans et bombers transformés en robes-manteaux de Lutz Huelle. C’est pour lui, et c’est pour elle. Cet hiver, Dries Van Noten a rhabillé les femmes en costards souples esprit « Luisa Casati » pour garçonnes années folles dans leur version « revival 2020 », avec cravates ou vestes à blason, et pour le soir, déclinaison en total look doré. Chez A.F. Vandevorst, les garçons manqués, en chemisettes et vestes oversizes, donnaient des filles plutôt réussies.
Ainsi, ce ne sont plus les femmes qui s’affirment en costard ou les hommes qui revendiquent le droit à la souplesse, mais des collections transversales, dès la table à dessins. Le calendrier de la mode, en pleine mutation pour des raisons économiques – le rythme de la production et de la distribution doivent d’adapter aux nouvelles exigences du marché – en profitent pour assimiler les lignes Hommes et Femmes sous une même bannière. C’est Christopher Bailey, alors PDG et directeur de la création chez Burberry, qui a initié le mouvement en 2015, immédiatement suivi par Tom Ford et VETEMENTS, qui a conçu pour le printemps/été 2017 des cuissardes pour homme, et des tenues de para pour femmes. Peu avant, Alessandro Michele pour Gucci présentait lors de son premier défilé les deux collections mélangées, et ambiguës. Désormais, ils le font quasiment tous. La transversalité des genres tient donc, en matière de mode autant de la rationalisation financière (un seul show), que philosophique (les limites entre les sexes s’assouplissent). Même raisonnement chez les fabricants de parfums : à la rentrée dernière, Prada lançait l’Homme et la Femme, jus interchangeables doux et épicés, à porter selon sa sensibilité, et pas son sexe tandis que chez Chanel, le nouveau Boy séduit les femmes.
Dans les années 40, Coco Chanel a libéré les femmes de leurs corsets pour leur permettre d’accéder au tailleur, version féminine du costume, puis Yves Saint Laurent leur a offert le smoking et la combinaison (dérivée du vestiaire des ouvriers et des militaires). Courant sixties, le raz-de-marée du jean, plus qu’un pantalon, un langage universel, achève de dédramatiser les segmentations rigides. Dans les années 70, Giorgio Armani avait déjà intégré cette souplesse dans ses collections. Diane Keaton en costume d’homme retaillé lors de la promotion de Annie Hall reste une référence : « Ca s’est fait de manière naturelle et spontanée », raconte le créateur/capitaine d’industrie. « J’ai été le premier à proposer ce type de fluidité en matière de vêtements, quand j’ai adapté la veste d’homme à la morphologie féminine, et utilsé des tissus plus doux pour les costumes d’hommes. D’une certaine manière, c’était logique : les barrières n’existaient plus. »
En 1984, Jean-Paul Gaultier fait défiler une jupe pour homme (mais il n’a pas inventé le kilt!), et Hedi Slimane, dès 2002 à son arrivée chez Dior Homme taille ses collections pour des garçons délicats et filiformes, puis chez Saint Laurent, habille les femmes en garçons manqués très réussis. Sur le catwalk, les mannequins affichent un sexe indéfini, et dans l’intimité de leurs dressings, les filles ne jurent plus que par les denims boyfriends. Dans la foulée des maisons de couture, le mass market a récemment emboîté le pas à cette transversalité des genres. Zara a lancé l’année passée sa collection “Ungendered”, seize pièces unisexes. Place à la neutralité ? Quand elle est rentable. Ce phénomène marginal se répand, de Hood by Air à Yang Li, qui commercialisent des collections mixtes. Selfridges, le department store de luxe londonien a ouvert un corner « Agender », qui cartonne.
L’époque est au mélange des sexes ? On en salive.