Arrêter d’exhiber une brochette de corps parfaits serait pourtant vendeur. Aerie l’a bien compris. Cela fait déjà plus de deux ans que la marque de lingerie et de maillots de bain a cessé d’utiliser Photoshop. Dans les campagnes de pub, les mannequins affichent un sourire jusqu’aux oreilles mais aussi de la cellulite et des fesses rebondies. Résultat ? Le chiffre d’affaires explose. Les ventes d’Aerie ont bondi de 20 % en 2015 alors que celles d’American Eagle (sa grande sœur) n’ont progressé « que » de 7 %. Mais pourquoi les marques sont-elles si frileuses alors que la stratégie marketing se révèle gagnante ? « Malgré ce qu’on dit souvent, le public n’est pas prêt, affirme Odile Farber, directrice du booking chez Dominique Models, la plus grande agence de mannequins du Benelux.
“Il ne faut pas oublier que le but, c’est de vendre. Les marques et les magazines s’ajustent simplement aux demandes des clients. Opter pour des filles plus size, cela ne fonctionne pas pour tout le monde. Des marques françaises ont d’ailleurs arrêté de faire appel à des tops curvy parce que les vêtements ne s’écoulaient pas. Certaines femmes n’ont pas du tout envie qu’on leur renvoie une image “peu flatteuse”. Elles veulent rêver. Et c’est notamment pour cette raison que des égéries de 16 ans font la promotion d’un parfum destiné aux plus de 60 ans. » « C’est l’excuse typique servie par les agences », rétorque Clémentine Desseaux. Longtemps mal dans sa peau, cette Française de 28 ans s’est expatriée aux USA pour lancer sa carrière de top. Pari réussi : elle a collaboré avec Louboutin, Bloomingdale’s, American Apparel ou Levi’s, pour ne citer qu’eux.
« C’est vrai que les femmes veulent rêver mais ce qu’il faut comprendre, c’est que le rêve a changé, il est devenu multiple. J’ai lancé une campagne baptisée “All Woman Project” à ce sujet. On y retrouve une grande blonde qui fait du 34 mais aussi des filles qui portent du 48, des nanas noires, métisses… Le nouveau rêve, c’est la diversité. » En trente ans de carrière, Odile Farber a observé une évolution croissante dans la demande des mannequins grande taille, mais davantage dans les pays anglo-saxons qu’en Belgique. Elle estime que les réseaux sociaux ont particulièrement aidé à faire évoluer les mentalités. Mais pour elle, mélanger les filles plus size et les autres sur le site de Dominique Models serait « trop compliqué ».
La raison? Lorsqu’un client recherche un top, il a une série de critères très précis en tête, il est donc plus facile de ranger les tops dans des « catégories ». La ségrégation qui est imposée aux mannequins rondes s’explique aussi par le fameux « sample size ». Avant de commercialiser une collection, tous les vêtements sortent dans une taille unique pour être photographiés. On l’aura deviné, on est plus proche du 34 que du 42. « On ne va pas fabriquer les échantillons dans toutes les tailles et ensuite choisir un mannequin, cela coûterait trop cher, précise la directrice du booking. Suivant la même logique, on prend des filles très minces pour les défilés parce que les retouches ne sont pas nécessaires. On dépense ainsi moins d’argent. » Business is business !