Dans la pub comme dans la pop culture, le féminisme est devenu un argument marketing. Phénomène trendy ou petite révolution ?
« Je ne suis pas du genre à opposer les filles aux garçons. Je ne l’ai jamais fait. Grâce à l’éducation que m’ont donnée mes parents, j’estime que si vous travaillez aussi dur qu’un homme, vous pouvez aller loin dans la vie », expliquait Taylor Swift en 2012. À l’époque, un journaliste du Daily Beast lui demande si elle est féministe et la star préfère rester évasive. Quelques années plus tard, dans le magazine Maxim, la chanteuse n’hésite plus à répondre par l’affirmative : « Le féminisme est probablement le mouvement le plus important dans lequel vous pouvez vous engager. Il s’agit simplement d’un autre mot pour parler d’égalité. »
Le féminisme serait-il devenu sexy ? « Il y a une adhésion des célébrités, de la culture de masse et des consommateurs à cette notion. Aujourd’hui, c’est une identité cool, fun et accessible que n’importe qui peut adopter », déclare la journaliste Andi Zeisler dans son livre « We Were Feminists Once ». Pourtant, le sexisme reste ancré dans notre société. Et le terme « féministe » est toujours un gros mot pour certains. Les femmes engagées sont, hélas, encore perçues comme des lesbiennes hystériques, hurlant « Vade retro Satanas » à leur rasoir. Mais il n’empêche que depuis quelques années, le mouvement investit la pub et la pop culture. Taylor Swift n’est pas la seule à se revendiquer féministe. Pensez à Lena Dunham, Amy Schumer, Emma Watson mais aussi à Nicki Minaj, Miley Cyrus ou encore Emily Ratajkowski.
Les marques typiquement féminines comme Dove et Always ont elles aussi joué sur ce tableau avec leurs campagnes « Real Beauty » et « #LikeAGirl ». Même Dior s’y est mis lors de la Fashion Week printemps-été 2017 à Paris. Sur le catwalk, un top portait un t-shirt où on pouvait lire « We Should All Be Feminists ». Le prix de la pièce ? Environ 650 euros... « Il y a un double constat à faire, analyse Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des Femmes. Il est regrettable que le féminisme soit utilisé comme argument marketing alors qu’il s’agit justement d’un mouvement social qui prône une société moins mercantile et plus solidaire. Mais, d’un autre côté, cela signifie aussi que le tabou se lève. Le mot “féminisme” est de moins en moins stigmatisé, même s’il n’est pas toujours compris. C’est déjà une victoire. »
Le femvertising, contraction de « feminism » et « advertising », est donc devenu trendy. Et les marques auraient tort de s’en priver. Promouvoir l’égalité des sexes serait plutôt rentable... D’après l’Advertising Benchmark Index (une société américaine qui mesure l’efficacité des publicités, NDLR), les campagnes du style #LikeAGirl ont un impact important sur les consommateurs, dont la majorité a tendance à évaluer positivement une marque après avoir vu son spot antisexisme. Mission accomplie ! Aux States, il existe même une remise de prix pour ce genre de pubs, les Femvertising Awards. Exit les standards de beauté irréalistes et les stéréotypes de genre.
Mais pour Alexandra Adriaenssens, directrice de l’Égalité des chances à la Fédération Wallonie-Bruxelles, le combat est loin d’être terminé : « J’ai l’impression que ce phénomène reste très minoritaire. On ne voit pas souvent des affiches féministes placardées sur des panneaux géants, entourés de spots lumineux. Ce sont plutôt les personnes qui s’intéressent déjà à cette problématique qui vont se partager ces pubs sur les réseaux sociaux, souligne-t-elle. En matière d’égalité, la société n’évolue pas tellement, on régresse même dans beaucoup de domaines. Pour de nombreuses personnes, les féministes restent les emmerdeuses de service. Et il y a toujours énormément de campagnes sexistes. Ce qui est rassurant, c’est que les gens y réagissent de plus en plus. Nous avons reçu beaucoup de plaintes suite à la publicité du Forem (à côté d’une petite fille, on pouvait y lire “Osez réaliser vos rêves... Devenez auxiliaire de ménage”, NDLR). »
Si le femvertising a, depuis une petite dizaine d’années, la cote en Belgique, le phénomène n’est pas nouveau. Dans les sixties, la marque américaine Virginia Slims utilisait déjà des images de femmes libérées pour vendre des cigarettes. Le slogan ? « You’ve come a long way, baby » (Tu en as fait du chemin, chérie). Vraiment ? « Les publicitaires peuvent vendre tout et n’importe quoi, même le féminisme. Certains le font de façon plus authentique que d’autres, mais le but est évidemment de faire de l’argent. Dans un monde idéal, les spots sexistes n’existeraient plus. Mais en attendant, je soutiens les campagnes féministes, même si elles sont guidées par le profit. Des études ont montré qu’elles ont un vrai impact sur les consommateurs. Présenter une image positive des femmes peut faire la différence », explique Corine Van Hellemont.
Cette chercheuse à l’Université de Gand finalise une thèse sur le sujet. « Dans la même logique, j’applaudis les stars comme Beyoncé. Que son engagement soit sincère ou non, elle touche de nombreuses personnes. C’est important d’avoir des people ultraconnus qui répandent l’idée d’un féminisme cool. » La prochaine étape, c’est de comprendre le mouvement et de ne pas se limiter à un féminisme « cupcake » : tout mignon, tout rose, et surtout vidé de toute substance politique. Forcément, porter du rouge à lèvres pour protester contre l’écart salarial ou multiplier les hashtags #empowerment sur Twitter, c’est plus glamour (et moins fatigant) que d’aller manifester.
Les marques en jouent et sont d’ailleurs régulièrement accusées de pink- washing. Traduisez : utiliser des arguments féministes dans la pub sans se soucier réellement de la cause. Lorsqu’on se vante de soutenir l’égalité des sexes, mieux vaut être irréprochable sur tous les plans. Dove le sait mieux que personne. Après une campagne estampillée « girl power », la marque a vite perdu en crédibilité. La raison ? Axe, qui comme Dove appartient au groupe Unilever, multiplie les spots sexistes.
« Lorsque vous voulez conquérir une cible, il faut définir une stratégie et s’y tenir. La cohérence est primordiale. Si vous misez sur des slogans féministes, il est important de mettre en place des politiques d’égalité en interne, de confier des postes de pouvoir aux femmes, par exemple, précise Martine Clerckx, fondatrice de l’agence de conseils en stratégie Wide. Le problème, c’est que tout dépend de ce que représente votre marque. Si elle joue sur le côté rebelle, un spot misogyne qui crée le buzz, même négatif, peut lui être profitable. »
Martine Clerckx explique aussi que des études de marché sont souvent réalisées en amont, pour s’assurer qu’une campagne cartonne. Même si elles restent assez exceptionnelles, les pubs antisexisme se multiplient ces dernières années. Elles sont la preuve qu’une partie de la population y est réceptive et qu’une évolution est en marche. On le sait, toutes les causes sont récupérées par le marketing et la pop culture. Mais si cela permet de rendre le féminisme mainstream, d’éveiller un intérêt et de donner envie de s’y investir, why not ? « C’est vrai que la pub ou les people peuvent être une porte d’entrée vers le mouvement, c’est intéressant, poursuit Valérie Lootvoet. La petite graine est plantée, il faut maintenant un peu plus d’engrais pour qu’elle germe... »