Brume, huile, concrète… Les nouveaux gestes du parfum ont tout bon.
Par Valentine Pétry & Marie-Noëlle Vekemans.
Beyoncé et Sarah Jessica Parker ne sont pas seulement des icônes de la pop culture américaine, ce sont aussi deux papesses des parfums. Outre-Atlantique, les fragrances de célébrités – plutôt snobées chez nous – sont un marché très lucratif. Ces femmes d’affaires avisées ont un autre point commun : elles ont lancé l’été dernier deux concrètes (du parfum solide) ultra kitsch. Heat, de Beyoncé, est nichée au sein d’une bague, tandis que NYC, de Sarah Jessica Parker, est posée sur un bracelet. Ces créations sont représentatives d’une tendance de fond : l’envie de porter son parfum autrement. Chez nous aussi, les huiles ou les beurres pour le corps, les brumes pour les cheveux, les concrètes, les crèmes de douche et autres déclinaisons odorantes inondent le marché.
Trois bonnes raisons d’adopter ces nouveaux gestes parfumés
Une sensualité à fleur de peau
Ces huiles, crèmes et concrètes « renouent avec une tradition très ancienne », confirme l’historienne Élisabeth de Feydeau. « À l’échelle de l’histoire de la parfumerie, soit environ trois mille ans, le spray est récent. Le vaporisateur a été mis au point en 1870 par Eugène Rimmel. » Avant l’utilisation du procédé de distillation, on se servait de cires et d’huiles dans lesquelles macéraient des fleurs. L’invention du vaporisateur a mis le corps à distance. « Le parfum devient alors une protection antimaladie, à la fois médicament et talisman, continue-t-elle. On parfume beaucoup les objets chez soi, mais le corps avec pudibonderie. » Au XIXe siècle, on déconseille même aux femmes de mettre du parfum sur leur peau par crainte d’un excès de nervosité, voire de « débordements sensuels ». Bref, « la brume alcoolisée est la manière la plus victorienne de se parfumer, la plus pudique, la moins sensuelle », renchérit Calice Becker, parfumeur chez Givaudan. « Appliquer un baume, une crème ou une huile, c’est un geste de bienveillance vis- à-vis de soi-même, comme un appel à aimer son corps. »
Un effet soin en prime
Portés par la vague des huiles nourrissantes et satinantes, les élixirs parfumés sont de plus en plus sophistiqués. Ils ne sont plus simplement des supports à odeur (l’huile « fixe » en effet efficacement les essences), mais aussi des cosmétiques qui rendent la peau plus belle. Mais les huiles ne sont pas les seules à faire leur révolution. Le parfumeur grassois Mane a créé un gel légèrement hydratant et non parfumé pour sublimer les fragrances. « Lorsqu’on l’applique, il fond, un peu comme de la soie, et possède une très grande rémanence, précise Véronique Nyberg, vice-présidente de la création parfumerie fine du fabricant. Au fil des heures, il ne s’évapore pas de la même façon qu’une eau de toilette. » Si ces textures ne diffusent pas les parfums de la même manière que la version alcoolisée, c’est-à-dire qu’elles ne créent pas un « nuage » odorant autour de nous, elles sentent encore et encore, pendant très longtemps. « C’est un point crucial : les parfums tiennent bien mieux et plus longtemps sur une peau hydratée, ajoute la parfumeuse Domitille Bertier. Si vous n’avez pas opté pour une huile ou un lait déjà parfumés, choisissez une crème pour le corps à l’odeur neutre et hydratez-vous généreusement. » Sur le décolleté, le cou, la base des cheveux, le creux des genoux : déposez votre parfum sur les points de pulsation, là où la peau est chaude. La même règle s’applique pour les cheveux, qui sont d’excellents supports pour les fragrances. Ils possèdent une très grande surface, ils bougent, ils volent, bref, ils permettent de transporter la senteur vers les autres.
Des options full plaisir
Certaines maisons créent une « garde-robe olfactive », dans laquelle on pioche en fonction de l’occasion. On portera une eau de parfum pendant la journée puis, en soirée, on intensifiera l’un de ses accents avec une huile. Ne croyez pas que les marques se bornent à transférer la même formule dans chaque texture. « L’huile convient très bien au capiteux Portrait of a Lady, explique Frédéric Malle, créateur des Éditions de parfums Frédéric Malle, mais pas à la très fraîche Cologne Bigarade. Pour elle, nous avons privilégié un gel lavant. » En clair, chaque produit apporte une expérience particulière. « Toutes les galéniques expriment une émotion différente, tout en gardant la même signature olfactive », résume Véronique Nyberg. Ces superpositions fonctionnent bien, à condition de ne pas frôler l’overdose. Mais peut-on s’aventurer à faire du « layering » avec plusieurs fragrances de marques différentes ? Les nez interrogés sont plutôt réticents : en France, on considère un parfum comme une œuvre d’art, et en porter deux est un peu comme peindre sur une toile de maître : certains craignent une cacophonie. Pourtant, le monde entier n’est pas aussi frileux et au Moyen-Orient, il est très
courant d’associer jusqu’à une dizaine de parfums sur soi. Le plus simple, pour que ces mariages fonctionnent, est de renforcer la note de fond avec un soliflore. C’est le meilleur moyen de rester soi-même tout en étant un peu différente – bref, de tromper l’ennui. Ainsi, on prend de l’ampleur, on complexifie son aura. En ajoutant de la vanille ou des fruits, on devient appétissante. Avec du musc ou de l’ambre, on plonge du côté ténébreux. Parfumez aussi des points stratégiques, comme des gants en peau, un foulard, l’intérieur d’une veste, et les poignets, les os iliaques, la pointe des pieds ou des seins… Bref, suivez le précieux conseil de Coco Chanel : « N’oubliez pas de vous parfumer partout où vous souhaitez être embrassée. »
Les astuces très perso des parfumeurs
Calice Becker
Des gouttes précieuses
« L’huile de bain est une bonne option. Ne pensez pas qu’elle est inutile car elle reste à la surface de l’eau : elle forme comme un glaçage sur la peau lorsqu’on se décide à sortir de la baignoire. Je me souviens d’avoir croisé une hôtesse de l’air au sillage infiniment puissant : il s’agissait simplement de quelques gouttes de jasmin sambac rapporté d’Inde. Il faut avoir une grande confiance en soi pour choisir une simple note, mais c’est très efficace ! »
Frédéric Malle
A chaque moment son odeur
« J’aime ritualiser ma journée en fonction des parfums. J’opte pour une odeur fraîche dans ma douche, mais j’ai aussi parfumé mon placard à vêtements avec une fragrance totalement différente… et ma voiture a également son jus bien précis. J’aime tous ces parfums, mais je détesterais commencer ma journée en sentant l’odeur de ma voiture ! Chaque lieu et chaque moment possèdent leur propre identité olfactive. »
Véronique Nyberg
L’art de la retouche
« Les petites cires sont créées pour se reparfumer. Ce sont des objets nomades qui permettent de s’offrir un shoot d’odeur dans la journée sans asperger son voisin. J’aime poser un peu de cire au creux des poignets, où la peau est chaude : il n’y a que moi qui sens mon parfum quand je bouge les mains. »
Dans le tambour
« C’est un truc d’accro : je glisse parfois quelques gouttes de parfum au fond de la machine à laver. Divin ! »
Domitille Bertier
Dans les tiroirs
« Je parfume un papier buvard et je le glisse dans mon tiroir à sous-vêtements. C’est économique et très efficace, à condition de ne pas utiliser d’adoucissant lors du lavage. »