« Il y a trois ans, on m’a proposé d’écrire des romans érotiques. Au départ, j’ai pensé que c’était un bon plan, une source de revenus réguliers. Ça faisait marrer mes potes en soirée mais j’étais payée pour écrire et j’aime ça. C’est mon métier, je suis journaliste et je m’intéresse à tout ce qui concerne les sexualités, la culture porn, les questions de genres, le féminisme… Autant dire qu’à cette période, j’effectuais régulièrement le grand écart idéologique. En un an, j’ai sorti douze romans et l’expérience comique est rapidement devenue tragique. Je savais que la littérature érotique n’était pas dénuée de stéréotypes mais je ne me doutais pas du business qui se cachait derrière. J’avais entendu parler du succès de “Fifty Shades of Grey” et, pourtant, je ne m’attendais pas à ce que mes romans soient autant lus. Je me suis vite rendu compte qu’on était face à un phénomène culturel de masse.
C’est une production littéraire qui est censée rimer avec plaisir mais c’est exactement l’inverse qui se passe. Les règles d’écriture sont quasiment staliniennes, on nous demande de produire des livres à la chaîne et de prendre les filles pour des débiles mentales. À la fin, j’arrivais à écrire un roman en cinq jours. Toute référence culturelle ou politique était systématiquement supprimée, comme si les lectrices ne pouvaient pas être curieuses. Les romans érotiques ne sortent pas de nulle part, c’est un mélange de deux genres littéraires. D’un côté, on a les romans de gare, où l’amour triomphe systématiquement. Le prince charmant, fortuné et dominant, sauve la jeune fille en détresse. Et de l’autre, on va reprendre les codes culturels de la « chick lit », des livres tels que « Le diable s’habille en Prada », par exemple. L’histoire ne se passe plus dans un château mais sur un roof- top à New York ou à Los Angeles. L’héroïne poste des photos de cupcakes sur Instagram, brunche avec ses copines le dimanche matin et rêve de porter des Louboutin.