Dans le contexte particulier de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle française, le “Festival International de Mode et de la Photographie d’Hyères” a réaffirmé son attachement aux valeurs de liberté d’expression, de créativité, de paix et d’indépendance.
(Photos ©Emmanuel Laurent)
Découverts, mis en lumière puis soutenus par de prestigieux sponsors, les jeunes designers et talents prometteurs qui participent à ce concours trentenaire n’ont plus qu’à éclore. C’est pour ça qu’on les a cultivés au soleil, du 27 avril au 1er mai.
Le “Festival d’Hyères”, de son petit nom, c’est le rendez-vous de ce qui se fait de plus avant-gardiste, prometteur et culotté. Aspirants bougeurs de lignes et professionnels chevronnés, ils se retrouvent chaque année dans le jardin et les escaliers de béton blanc de la Villa Noailles, au sommet d’une colline entourée d’un jardin qui serpente vers le soleil, quelque part entre Toulon et Saint-Trop’, sous le parrainage de la maison Schiaparelli cette année.
Lors de son rituel discours d’ouverture, Jean-Pierre Blanc, fondateur du Festival, a rappelé que la culture est à la fois garante et dépendante de la liberté. Le mantra 2017 : « tout sauf le repli sur soi. Ce festival est né de l’Europe, il continue de porter cette idée magnifique. Cette année sera celle de la liberté porter le plus loin possible. A travers l’art et la mode, nous montrerons que nous n’avons pas peur. » Tirades engagées et nécessaires, Jean-Pierre continue de porter haut sa mission d’indépendance et de paix. D’une certaine façon, son drapeau Blanc.
« Les autres manifestations prestigieuses de mode disposent de moyens beaucoup plus élevés. Nous, nous restons dans une forme de réalité. Je n’aime pas faire de la communication pour la communication, du spectacle pour du spectacle. On accompagne des jeunes, c’est un engagement sérieux. On les guide, on reste à leur côté. Nous menons une mission d’utilité publique culturelle. Nous ne faisons pas que de l’image. Et si nous étions plus aidés, nous pourrions le faire toute l’année, et pas uniquement sur le temps du festival. Mais ça n’a jamais été possible. Ces choses-là se décident dans des dîners en ville, et nous sommes installés en province. Mais il faut rendre hommage à notre Ministre de la culture actuelle, Audrey Azoulay, qui est exceptionnelle*. Elle mène un travail que personne n’avait fait depuis longtemps, elle est très proche de la mode de la Villa Noailles. Nous avons besoin d’un État qui soit ouvert, et qui défriche la voie. »
« Depuis le premier jury de La Cambre Mode(s), nous sentons une familiarité avec l’esprit belge. Un détachement, une magie et une certaine idée du beau qui m’ont toujours accompagné. Mon premier souvenir de ma liaison avec la Belgique remonte à la Canette d’or. En parallèle de cette initiative de promotion des jeunes talents belges, nous invitions chaque année, hors concours, le lauréat de la Canette d’or. Depuis toujours, entre Hyères et la Belgique, c’est une histoire d’amour et d’intelligence. »
Pour bien comprendre l’ambiance et mettre les enjeux en perspective, il faut se figurer des étudiants ou tous jeunes entrepreneurs de la mode partageant des bières assis dans l’herbe avec des capitaines d’industrie du luxe, des chasseurs de têtes, des journalistes du monde entier, et quelques visiteurs locaux. On parle mode, on respire mode, on écoute des concerts (à la mode).
Ce Festival est aussi un carrefour de rencontres où des marques de luxe ou des enseignes professionnelles (les Galeries Lafayette par exemple) peuvent faire basculer une carrière. Chanel, LVMH, Swarovski, Chloé, la salon d’innovation textile Première Vision, American Vintage, Petit Bateau, Vilebrequin, Kering ou Elie Saab, ils sont tous là pour observer, soutenir… et recruter.
Outre les expositions de collections et de photographie – le Festival est double – le public peut assister tous les jours à des conférences (très haut niveau d’interlocuteurs) portant sur les enjeux de l’industrie de la mode. Cet événement majeur pour le secteur se concentre « à la bonne franquette » dans les jardins de la villa bâtie par Charles et Marie-Laure de Noailles dans les années 20.
Dessinée dans l’optique d’une architecture anticonformiste pour ce début de XXème siècle (un ensemble géométrique de cubes en verre et en béton), la maison invitait à l’épure et à la réflexion. Le couple de Noailles, mécènes et précurseurs de modernité, contribuèrent à la reconnaissance de toute une génération de surréalistes, de dadaïstes et autres rebelles des arts cinématographiques et musicaux : Salvador Dali, Jacques Lipchitz, Alberto Giacometti, Francis Poulenc, Man Ray, Jean Cocteau, Luis Buñuel. Et sans le savoir un siècle plus tard, de jeunes et belles maisons de mode.
Créé par Jean-Pierre Blanc en 1985 et présidé cette année par Pascale Mussard (créatrice du « Petit H », le laboratoire d’expérimentations créatives d’Hermès), cet événement attire des dizaines de jeunes artistes de la mode et de la photo, supervisés et poussés par des acteurs majeurs dans leurs filières respectives. Du côté des professionnels, c’est une vaste foire à l’échange de cartes de visites, cravate dénouée et pieds dans l’herbe.
On est porté par ce générateur de potentiels, on est charmé par le décalage entre le côté bucolique de la Villa perdue en hauteur en pleine nature, l’extrême sophistication des collections présentées, la qualité des happenings, et le casting : rien que dans le jury de cette 32ème édition, on a frayé avec Bertrand Guyon, directeur du style de la Maison Schiaparelli qui a présidé le jury, avec Sophie Fontanel (écrivain et journaliste), avec Pierre Hardy (responsable des collections de chaussures et de Huate Bijouterie pour Hermès et sa propre ligne), avec Murielle Lemoine (directrice de la Maison Lesage). Entre autres.
Cette année, Marine Serre, fraîchement diplômée de La Cambre et étoile montante chez Balenciaga, a représenté la Belgique avec sa collection «Radical call for love », déjà Prix Coup de Coeur ELLE / La Cambre en juin dernier. Une collection pour princesses arabisantes du 19ème siècle qui rencontreraient la culture streetwear. Marine a été sélectionnée parmi des centaines d’aspirants, avec neuf autres jeunes designers, en présentant sa collection de fin d’année : une histoire de mode orientale, développant des tailleurs graphiques, des jupes bouffantes hommages aux silhouettes des cultures arabisantes anciennes, et en accessoires, des gants de motards réinterprétés.
Palmarès :
Grand Prix du jury Première Vision (bourse de création de 15 000 euros et de la visibilité lors des salons de New York et Paris) et Prix du Public de la Ville d’Hyères :
Vanessa Schindler (Suisse)
Avec sa collection innovante fondée sur des volumes twistés par des bordures de silicone et ses silhouettes de « méduses haute couture », Vanessa Schindler a emballé le jury dans son univers naturaliste synthétique de sirène un brin vénéneuse.
Pour Bertrand Guyon, président du jury et directeur artistique de la maison Elsa Schiaparelli, “le choix de Vanessa Schindler s’est imposé presque comme une évidence et le Grand Prix du jury Première Vision lui est attribué à l’unanimité. Une émotion poétique et raffinée. L’utilisation très subtile d’une matière pourtant pauvre associée à la fausse fourrure, au jersey, à séduit le jury. Une alchimie inattendue, semblable à la plus précieuse des broderies qui semble bouger avec le corps. Une beauté sensuelle et délicate, féminine et forte à la fois.”
Prix Chloé (15 000€)
Gesine Försterling (Allemagne)
Avec ses déclinaisons de vêtements de travail réalisés en « matériaux de chantier », cordons et cotons fermes rebrodés.
Mention Spéciale du jury Mode
Maria Korkeila (Finlande)
Grand Prix du jury Accessoires de Mode Swarovski (pour la première fois, le Festival a ouvert une section « Accessoires de mode », présidé par Pierre Hardy et soutenu par Atelier Swarovski. A la clef : 15 000€)
Marina Chedel (Suisse)
Avec une collection de chaussures de bois architecturales, objets de déco et de séduction massives.
Pierre Hardy explique : “Marina Chedel a remporté les suffrages du jury par sa capacité à élaborer une thématique originale et personnelle. Elle propose une collection d’accessoires cohérente et créative. Par ailleurs, le modèle créé pour Swarovski nous confirme sa maturité de designer. Son énergie, son enthousiasme et son sens du dialogue nous ont convaincu de lui attribuer ce premier prix”.
Grand Prix du jury Photographie
Daragh Soden (Irlande)
Le jury photo, présidé par l’immense photographe Tim Walker, a célébré l’univers sexy et désabusé des ados de Daragh Soden. Ambiance sociale crue, hybride entre Ken Loach et Larry Clark, avec plus d’humour en filigranes, et une touche de militantisme gay friendly qu’on salue :
“Le jury photos estime que ce jeune photographe possède le potentiel de produire une nouvelle œuvre qui éclaire l’esprit, autant que l’oeil. Nous saluons son courage, son honnêteté, et attendons de futures surprises à travers son imagerie visuelle provocante. »
Prix de la Photographie American Vintage
Luis Alberto Rodriguez (Etats-Unis – Suède)
Pour les candidats comme pour les observateurs, les fans et les curieux, Hyères, c’est l’avenir.
* En mars dernier, le Président François Hollande et la Ministre de la Culture Audrey Azoulay ont annoncé la labellisation de la Villa Noailles en Centre d’art d’intérêt national.