Depuis plus de 30 à Bruxelles, l’avant-garde de la tendance et la réinvention de l'alphabet de la mode jaillissent d'une école publique, active et prodigieuse. Etre touché par la grâce, (minimum), ça coûte 32,50€.
La Cambre Mode[s], elle forme à quoi ?
« A l'excellence », c'est la porte ouvert enfoncée (mais puisqu'il est question de volumes, on peut s'y adonner). Entre l'Avenue Louise et l'Abbaye de La Cambre, une brigade d'enseignants d'art et de terrain fabriquent les créateurs qui animent déjà les studios des plus grandes maisons internationales, françaises notamment. Les élèves mènent des stages dès la première année, et ils sont si bons, si travailleurs, si pointus et si déterminés que souvent, ils se font détourner du chemin de l'école pour commencer à oeuvrer en studio. Ce fut le cas pour Cédric Charlier et Olivier Theyskens. Pas les moindres des talents belges, donc.
La plupart des diplômés entament dès la fin de leur cursus des carrières lumineuses. Marine Serre, sortie en juin 2016, a déjà été sélectionnée au Festival d'Hyères, nommée pour le Prix MVMH, et sera vendue dès la rentrée chez Dover Street Market.
De leur côté, Cédric Charlier (après avoir été DA chez Cacharel), Olivier Theyskens (ex Rochas, Nina Ricci et Theory) mènent leurs maisons éponymes d'une main d'artiste dans un gant de glamour. Anthony Vaccarello dirige Saint-Laurent, Matthieu Blazy seconde Raf Simons chez Calvin Klein, Emilie Duval (ex styliste senior chez Dior) a pris la tête de la toute nouvelle école de mode libanaise de l'ALBA fondée en partenariat avec La Cambre (ces histoires de dynasties accouchent de bien prolixes enfants) tandis que Laurent Edmond et Oriane Leclercq officient à la Pré-Collection chez Acne Studios. Julian Klausner, diplômé lui aussi l'année passée est assistant styliste sur la ligne 1 et 4 chez Maison Margiela sous la direction artistique de John Galliano. Nicolas Di Felice, Womenswear senior designer chez Louis Vuitton ; Anaïs Lalu, styliste maquettiste chez Balenciaga et Isabelle Aout, directrice de studio chez Jean-Paul Gaultier. On vous en passe des dizaines, parce que vous allez finir par avoir mal à l'index à force de scroller. Car avant de présider au futur de la mode internationale, ils ont défilé à La Cambre, avec les moyens du bord et 2 heures de sommeil par nuit (les bonnes semaines).
Pour détecter ceux qui changeront le futur de vos placards, comment se faire inviter au défilé ?
C'est l'astuce : on ne peut pas. C'est un spectacle, mais pas un divertissement.
Monter cet événement coûte 130.000 €, en partie financés par les élèves :
- chacun d'entre eux mettra 500 € de sa poche pour payer la location des Halles de Schaerbeek, la scénographie, la logistique, l'affichage, le catalogue etc...
- la collection qu'ils présenteront et qui leur sert d'examen de fin d'année, ils l'ont financée par leurs propres moyens et quelques partenariats qui leur ont permis de rassembler de meilleures fournitures. Vous, à priori, quand vous avez passé votre bac, il n'y avait pas 3000 spectateurs au balcon, invités sur vos deniers.
- concrètement, presque personne n'est rémunéré pour l'organisation de ces deux soirs de show, principaux happenings mode de l'année à Bruxelles (et globalement en Belgique avec juste l'équivalent à l'Académie d'Anvers). Les 250 mannequins recevront comme rétribution une place pour le défilé, et les photographes, scénographe, attachés de presse, DJ etc. , ils seront tout juste défrayés.
- quand vous achèterez votre billet 32,50€ pour être assis, 17€ pour être debout (www.ticketmaster.be), vous leur permettrez d'amortir une partie de leur investissement - ce qui fait de vous d'authentiques mécènes - mais surtout, vous contribuerez à l'exploration de la mode de demain, donc de votre placard à venir, ce qui est quasiment égoïste, si on y réfléchit.
On verra quoi ?
Un processus de réflexion. De l'exploration expérimentale (quoique dirigée) des premières années, jusqu'aux collections pour ainsi dire commerciales (mais il faut quand même avoir un goût un peu éduqué au culot, ce n'est pas du prêt-à-porter de base, on s'entend). Ce sera époustouflant, émouvant, parfois même marrant, avec une scénographie culottée.
Tony Delcampe, chef de l'atelier stylisme, explique : "Notre école est prospective, comme toutes les écoles d'art. Au-delà de former les gens à un métier, on les forme à l'exploration. On est dans une vision de créateurs au sens large. Nos étudiants peuvent aussi bien créer des vêtements que monter des installations. Ils savent situer leurs créations dans l’espace. » Car La Cambre est l'une des rares écoles de mode qui insiste autant sur le design que sur l'intellect. Former l'esprit de la nouvelle générations de créateurs, c'est aussi sa grâce.
Tony Delcampe insuffle ainsi à ses élèves une rigueur inflexible – et inestimable pour se préparer à la réalité de la vie professionnelle dans un secteur en pleine tempête – à la maîtrise impeccable de chaque métier de la mode : « Les idées c’est bien, mais il faut maîtriser le processus de fabrication et de production. Dans beaucoup d’écoles, on dessine la mode comme un fantasme, sans se soucier si un croquis sera transposable en vêtement ou non ». Les 2 et 3 juin, on y verra en outre de petites oeuvres d'art.
(Photos Ganaëlle Glume)