La dyspareunie, c’est le terme pointu pour désigner les rapports sexuels douloureux. Focus sur ce problème de santé féminin trop souvent négligé avec la kiné Charlotte Lequeux.
La première fois que Camille a fait l’amour, ça ne s’est pas très bien passé… Elle a trouvé ça logique : on l’avait prévenue que les débuts n’étaient pas spécialement jouissifs et puis son copain manquait d’expérience. Mais ça ne s’est pas amélioré avec le temps. Pourtant, chez elle, tout est « normal ». Son gynécologue l’a rassurée : aucun problème particulier à signaler. La jeune fille prend l’habitude de supporter ces douleurs intenses et enchaîne les infections vaginales. Elle finit par se convaincre que le problème est dans sa tête et qu’au fond, elle ne doit juste pas vraiment aimer le sexe...
Et puis un jour, elle rencontre Pierre. C’est le coup de foudre. Tout est parfait avec lui, sauf au lit. Malgré la douceur et la patience de son amoureux, les rapports sont de plus en plus douloureux. Camille se met à croire qu’elle invente cette souffrance ou qu’elle n’aime peut-être pas vraiment Pierre. Et surtout, elle culpabilise de ne pas prendre son pied, alors que son mec fait tout pour lui donner du plaisir. Elle finit par éviter de l’embrasser et de le caresser pour ne pas le décevoir. Elle ne veut pas le « chauffer » pour ensuite lui dire non. Petit à petit, ils s’éloignent et Camille se sent responsable : c’est son corps qui refuse de s’ouvrir...
« J’ai rencontré beaucoup de filles comme elle dans mon cabinet. Je suis kiné, spécialisée dans la prise en charge du plancher pelvien. Camille n’imagine même pas qu’un mot existe pour décrire sa situation. Cela s’appelle de la dyspareunie d’intromission. Les muscles responsables de la fermeture (et donc de l’ouverture) du vagin sont tellement contractés que rien ne rentre, que ce soit un tampon ou un pénis. Les chiffres varient selon les études mais on estime que cette pathologie touche entre 5 et 15 % des femmes. À chaque fois que je rencontre une fille comme Camille, je suis en colère... », explique Charlotte Lequeux.
« Chaque histoire est différente mais la plupart des femmes ont parlé de leur problème à leur famille ou à leur médecin. On leur a répondu que ce n’était pas très grave, qu’elles étaient frigides ou qu’elles devraient changer de partenaire… La mère d’une patiente lui a même rétorqué : “ Tu fais comme tout le monde, tu regardes le plafond et tu attends que ça passe ! ”. Certaines femmes ont mal depuis toujours, d’autres souffrent après un accouchement, une maladie, une chirurgie ou encore un traumatisme, comme un rapport sexuel brutal. Des dizaines d’années s’écoulent parfois avant qu’elles ne passent la porte de mon cabinet. On leur propose très rarement de se rendre chez un kiné pour traiter la dyspareunie alors que la prise en charge donne souvent de bons résultats. Dans certains cas, le problème est réglé en quelques séances.
Je ne suis pas psy mais je passe beaucoup de temps à écouter mes patientes. Un rapport de confiance s’établit et j’essaie de comprendre leurs motivations. On n’imagine pas le nombre de filles qui se forcent à faire l’amour pour faire plaisir à l’autre et pour espérer s’épanouir sexuellement. Elles sont d’ailleurs soulagées quand j’interdis les rapports sexuels pendant un moment. Les hommes ne sont pas des grosses brutes, la plupart d’entre eux sont très attentifs au bien-être de leur copine. Ils sont compréhensifs et acceptent de réaliser les petits exercices à domicile. Mais ils sous-estiment l’intensité de la souffrance. Le problème avec la dyspareunie, c’est qu’un cercle vicieux se met en place. Les femmes qui ont eu mal vont appréhender les prochains rapports, leurs muscles vont alors se contracter, ce qui entraîne des douleurs.
Et la méconnaissance de l’anatomie féminine n’aide pas. C’est important de savoir comment le vagin est fait, ce qu’est un plancher pelvien. Lors des séances de kiné, je leur explique tout ça et je travaille sur le côté mécanique. En collaboration avec un ostéopathe, je pratique la thérapie manuelle : je vais étendre et étirer les muscles grâce à plusieurs techniques. Les patientes sont également suivies par un psy et un sexologue mais aborder le problème sous l’angle “ physique ” les déculpabilise. Si ça ne se passe pas bien au lit, ce n’est pas parce qu’elles sont frigides ou qu’elles ne désirent pas leur mari !
Ce n’est pas un secret, on vit dans une société hypersexualisée. On parle sans arrêt de sexe dans les médias et on a parfois l’impression que l’orgasme s’obtient uniquement par pénétration, en deux minutes chrono. Dans ce contexte-là, ce n’est pas évident de raconter ses problèmes à un pro. Et ce n’est pas un hasard si les cas de dyspareunie sont sous-estimés. Il faut en parler, un rapport sexuel douleureux n’est pas normal et ce n’est pas une fatalité. Quand le plaisir fait mal, des solutions existent. Mais peu de gynécologues sont au courant et il n’y a pas assez de kinés formés à cette problématique. Cela prend du temps de “ se faire la main ”, il faut une certaine expérience avant de pouvoir reconnaître si les muscles du vagin sont trop tendus ou au contraire pas assez. Mais cela me révolte lorsqu’une patiente me raconte tout le chemin qu’elle a fait avant d’atterrir dans mon cabinet. Je rencontre trop de filles à qui l’on a affirmé que leur situation n’était pas très grave. C’est faux. Toutes les femmes méritent d’avoir une sexualité épanouie. »
Témoignage
Claire, 27 ans : « Aujourd’hui, je prends enfin du plaisir ! »
« Pendant des années, j’ai souffert de douleurs chroniques intenses totalement inexpliquées. J’ai été consulter plusieurs spécialistes mais à chaque fois, les réactions étaient très négatives. On m’a dit que le problème venait de moi, que c’était dans ma tête. Les médecins ont tout essayé, j’ai même eu des infiltrations de cortisone mais ça n’a servi à rien. On a finalement découvert que j’avais une maladie gynécologique, l’endométriose, et que la dyspareunie était une de ses conséquences. Impossible pour moi d’avoir des rapports sexuels ! J’étais en couple depuis treize ans et je complexais énormément. Je me repliais sur moi-même et je n’osais pas me confier à mes proches. Je me sentais anormale, j’avais l’impression que toutes les femmes avaient une vie sexuelle incroyable sauf moi.
Je pense que si je n’avais pas rencontré Charlotte Lequeux, je me serais braquée et ma relation de couple se serait peut-être terminée. J’ai de la chance d’avoir un partenaire très compréhensif mais je culpabilisais de ne pas pouvoir faire l’amour avec lui. En pleurs, je lui disais parfois d’aller voir ailleurs. Ca a pris pratiquement un an pour que les douleurs s’estompent, les séances de kiné m’ont énormément aidée. C’est le jour et la nuit, je prends enfin du plaisir alors que je pensais être condamnée à avoir mal. Et un mois après la fin du travail avec Charlotte, je suis tombée enceinte ! Il est essentiel de parler de ce problème et des solutions qui existent. J’espère que cela évitera aux femmes de souffrir pour rien pendant des années. »