Pour sa 28ème édition, le jury de l'ANDAM a distingué Glenn Martens pour Y/Project. Un couronnement à propos pour un Maître flamand.
Nathalie Dufour est la fondatrice et la directrice du prix de l'ANDAM, qui soutient financièrement et conseille de jeunes créateurs extrêmement prometteurs. Parmi les lauréats, on compte Iris van Herpen, Anthony Vaccarello ou Gareth Pugh. Le prix soutient des maisons qui développent des petites séries haut de gamme, avec un attachement à la production française. Pour Nathalie Dufour, « c'est culturel, d'accueillir des artistes de toutes origines. En terme de mode, ça a commencé avec les Japonais au début des années 80. C'est très important, de ne pas avoir une vision trop nationaliste de la création. »
Le jury de l’édition 2017 de l’ANDAM, parrainé par Francesca Bellettini, Présidente de la Maison Saint Laurent, entourée de Xavier Romatet, Président de Condé Nast France & Vice-Président de Condé Nast International, François-Henri Pinault, PDG, représentant le groupe Kering, Ruth Chapman, co-Fondatrice et co-Présidente exécutive, représentant MatchesFashion.com, Caroline de Maigret, mannequin et productrice, Guillaume de Seynes, Directeur Général, représentant la maison Hermès, Pascal Morand, Président Exécutif, Fédération française de la Couture, du Prêt à Porter des Couturiers et des Créateurs de Mode, entre autres, a décidé de soutenir cette année Y/Project grâce à une bourse de 250 000 euros et un mentorat pour le développement de la marque.
Glenn Martens, le Brugeois qui dirige la maison parisienne Y/Project secoue les codes de la mode contemporaine, invite la Renaissance dans une innovation Couture, transcende les genres et les époques. Agé de 33 ans, il a grandi au milieu des tours du Moyen Age, là où les néons des baraques à frites flirtent avec les églises gothiques.
Depuis 2014, il dirige donc le studio de création de Y/Project. Des collections pointues et désirables - Rihanna lui commande ses tenues de concert depuis plusieurs saisons, et accumule ses pièces de collection, pour les porter au privé.
Glenn Martens, qui a envisagé un moment de se consacrer à l'égyptologie, a finalement étudié l'architecture d'intérieur à l'école Saint Luc à Gand. A 21 ans, il découvre le département mode de l'Académie d'Anvers : « je me suis inscrit aux examens d'entrée, à tout hasard. Je n'avais qu'un book composé d'images de chaises et de design. A ma grande surprise, j'ai été accepté. » Une surprise, mais pas un hasard : sa perception de l'esthétique et des lignes ont séduit le jury. « Je ne savais pas à quoi m'attendre. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé devant une machine à coudre. Après trois semaines, j'étais complètement accro. »
Les écoles de mode belges focalisent l'attention des Maisons de couture et des chasseurs de têtes. Olivier Theyskens ou Cédric Charlier n'ont pas eu le temps de finir La Cambre, ils avaient été recrutés avant la fin de leur cursus. Glenn Martens était lui-même en quatrième et dernière année, lorsque Samuel Drira, actuel directeur artistique de Nehera (marque émergente en plein boom à Paris) qui était alors membre du jury, a été séduit par son travail. Il l'a orienté vers Jean-Paul Gaultier, pour travailler sur la ligne Hommes. Glenn avait 26 ans, et poussé par la curiosité et une envie dévorante d'apprendre, est devenu l'assistant du designer Yohan Serfaty. Puis il a ensuite lancé les deux première collections de la marque éco-responsable Honest By, aux côtés de Bruno Pieters (qui avait lui-même été directeur artistique de la ligne « Hugo » de Hugo Boss).
Enrichi de ces expériences multiples mais cohérentes – et de quelques cachets mérités – Glenn Martens a fondé en 2012 sa marque éponyme. Il a présenté sa troisième collection à Paris dans le square Louis XVI, au cœur de la chapelle expiatoire de Louis XVI et Marie-Antoinette. « C'est là qu'au moment de la révolution française, on jetait les têtes. Puis le square a été vidé, et une chapelle édifiée en commémoration de l'histoire du couple royal. Cette magnifique bâtisse du début du 19e est en réalité une ode à la vie, qui contrairement aux clichés, porte une philosophie « happy » ». L'Histoire, toujours base de sa réflexion créative. Car si l'on ne sait pas d'où l'on vient, on ne risque pas d'innover. En 2013, Yohan Sarfaty qui avait créé la marque Y/Project avec Gilles Elalouf, est emporté par un cancer. Quel rapport avec le destin de Glenn ? On y arrive, car il n'existe jamais qu'une seule histoire, plusieurs récits doivent se tisser pour rendre la trame solide.
Se retrouvant sans directeur artistique, Gilles appelle alors Glenn, et puisqu'il a été l'assistant de Yohan quelques années auparavant, lui propose de reprendre la maison. «Il y a aussi que j'étais jeune et pas cher », plaisante Glenn. « Mais l'univers de Yohan était très « Rick Owens », très beau, mais stylistiquement opposé au mien. Il travaillait beaucoup sur le cuir, le noir, le long, il avait un univers dark et graphique. Comme ces codes ne correspondaient pas à mon identité créative, j'ai commencé par refuser. » Pugnace et convaincu du potentiel de Glenn Martens, Gilles Elalouf lui offre un vrai studio, des moyens de production, et accepte une transition en douceur vers plus de légèreté stylistique. Glenn est curieux et intuitif. Malgré la difficulté de prendre le relais d'une autre personnalité forte, il décide de tenter l'aventure.
Depuis trois ans, il injecte de la lumière, de la couleur et de l'humour dans les collections Y/Project. La maison mêle décalage sociologiques, critères crypto-médiévaux, streetwear, Couture, tous les univers de la mode. « Nous lions plein d'histoires avec un fil rouge absurdité. » Des vestes à volumes organiques qui semblent pousser autour du corps jusqu'aux corsets Renaissance architecturés, il y a dans ces silhouettes un fabuleux second degré, la force de la distanciation à la belge. Résultat : la presse est hystérique, les clients en nombre exponentiel, et les points de vente aussi.
Y/Project intrigue et attire, mixe les sexes, les époques et les matières, conscient d'une ère où les barrières se floutent. Glenn Martens s'adresse à une génération Y, et gère son studio comme un chef de famille : « j'y passe mes week-ends, parce que c'est plus grand que chez moi. Sans la moindre concertation, mes collaborateurs me rejoignent, ils s'installent à leur table, boivent une bière, regardent un match. Je crois que chez nous, les gens sont heureux. » Les fans de mode décalée et prescriptrice, aussi.
De Bruges à Paris, et retour
Alors que la majorité des marques conçoivent leur campagne de pub en recherche de ce qu'elles perçoivent comme une ultra-modernité, Glenn ancre son imagerie PE17 dans les fondations de la culture du nord. “Il y a une forte opposition entre l’architecture gothique austère et le kitsch vulgaire d’aujourd’hui, mais grandir à Bruges a vraiment influencé mon esthétique. Je pense que c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité y revenir pour le shoot de la nouvelle campagne; afin de réaffirmer mes origines et les codes de Y/PROJECT.”
Sur ces photos, cohérent avec son univers, il a invité des souvenirs de ses grands-parents, filleuls, amis d’enfance, et de Bruno Pieters, son professeur et mentor à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers : « J’aime rester proche des gens que j’aime, des gens avec qui je travaille et des gens avec qui je vis .»
(PHOTOGRAPHY: Arnaud Lajeunie. STYLING: Ursina Gysi)