Et si on se glissait dans les coulisses d'un cabinet de sexologie? La journaliste Elsa Fayner a passé une année entière avec une sexologue avant de tirer un livre de son expérience. Dans « Sexothérapies », elle raconte sans jugement le parcours de huit patients. Interview.
Les débuts de votre livre?
Il y a quelques années, j’ai rencontré un médecin- sexologue, que l’on nommera Romy Steiner, pour un article sur la prostitution étudiante en période de crise économique. Au cours de l’interview, elle m’explique que les jeunes n’accordent, selon elle, pas assez d’importance à la découverte de leur sexualité. Elle ne les trouve pas très audacieux, ni très curieux d’eux-mêmes, seuls les soixante-huitards trouvent grâce à ses yeux.
Ses propos me sont restés en tête et m’ont fait réfléchir, comme un bon bouquin qui marque les esprits. J’en ai beaucoup parlé autour de moi, j’ai testé l’hypothèse auprès de mes potes et j’ai eu envie d’en savoir plus. Romy Steiner utilise aussi l’hypnose lors de ses séances et ça m’intriguait. C’est une méthode qui n’est pas forcément évidente à expliquer, il faut voir la sexologue en action pour comprendre. C’est comme ça que j’ai eu l’idée de la suivre pendant un an et d’écrire un livre sur mon expérience et la sexologie.
Certains patients ont-ils refusé de témoigner?
Pratiquement aucun, ça m’a vraiment étonnée. Je pense que la plupart d’entre eux n’étaient pas à ça près: ils avaient déjà fait l’effort de téléphoner, de se déplacer dans un cabinet de sexologie, d’accepter de se confier... C’était le médecin qui demandait aux personnes venues consulter si je pouvais les rejoindre et ça a dû aider, c’est une figure d’autorité. Quand Romy Steiner ne le sentait pas, elle ne leur posait même pas la question. En début de séance, je disais bonjour au patient, j’allais m’asseoir derrière lui et j’essayais de me faire la plus petite possible pour qu’il oublie ma présence. Mais parfois, je le recroisais dans la salle d’attente la semaine suivante et ça, c’était plutôt gênant. J’ai suivi une trentaine de patients et j’ai retenu huit histoires pour mon livre.
Une crainte avant de commencer?
Forcément j’avais peur que ma présence affecte les séances de sexologie, mais il y a des questions qu’on préfère ne pas se poser. Certaines personnes n’ont pas osé se confier ou se sont carrément retournées vers moi en me demandant si leurs propos étaient bien confidentiels. La sexologue a pris ma présence comme un élément du cadre et j’ai essayé de faire au mieux. Mais je suis très expressive et c’est parfois difficile de contenir ses réactions. Quand un couple annonce tout naturellement qu’il fait l’amour tous les jours sans exception, on est surpris. Quand un policier demande s’il doit consulter un psy après avoir connu un pédophile dans son enfance, on a envie de crier «oui», mais on retient son souffle. Je n’intervenais évidemment jamais.
Les motifs de consultation les plus fréquents?
D’après ce que j’ai pu observer, les hommes viennent souvent pour des problèmes d’érection, les femmes ont plutôt des difficultés à éprouver du désir ou ont mal pendant la pénétration. Les personnes qui viennent consulter ont souvent besoin d’être rassurées. On est tous pareils, on a tendance à faire une montagne d’un petit problème. Mais est-ce vraiment un problème ? Romy Steiner a un discours déculpabilisant, très libérateur. Vous fantasmez à l’idée que votre mec vous trompe avec d’autres hommes ? Et alors ?
Le déroulé d’une séance de sexologie?
Les patients arrivent souvent avec une théorie bien établie, ils imputent leur manque de désir à un médicament par exemple ou à la ménopause. La sexologue les oblige à remettre en doute leur explication, ce qui ouvre alors un champ des possibles. Elle évite aussi certains termes qui enferment, qui figent. Si un homme n’utilise pas le mot « impuissant » par exemple, elle fera attention à ne pas s’en servir non plus. Après quelques séances, les patients trouvent souvent la solution eux-mêmes, simplement grâce à la parole, et c’est assez incroyable. Ça booste la confiance en soi, on se dit que si on est arrivé à régler son problème tout seul dans une situation, on peut réitérer l’expérience. C’est très beau à voir, même physiquement il y a un changement : les gens se redressent, reprennent des couleurs, ils respirent à nouveau alors qu’ils étaient en apnée depuis le début...
Un fait surprenant?
Ce n’est peut-être pas correct statistiquement mais parmi les personnes que j’ai vues, il y avait beaucoup de jeunes. Ça m’a étonnée, on s’attend généralement à rencontrer des gens plus âgés dans le cabinet de sexologie. J’ai suivi une ingénieure qui se prenait pour un cas désespéré alors qu’elle n’avait que 24 ans (et semblait en avoir 18). Elle vivait avec son mec depuis trois ans et n’éprouvait plus de désir. J’ai ressenti beaucoup d’angoisse chez ces jeunes qui se mettent en couple très tôt. J’ai aussi vu des gens plus vieux, comme un PDG de près de 70 ans avec des problèmes d’érection. Je trouve sa démarche intéressante. Même à son âge, il ne se dit pas que sa vie sexuelle est derrière lui, il vient consulter et chercher une solution.
Des enseignements?
Notre vie sexuelle peut se réinventer, que l’on ait 20 ou 60 ans, que notre couple débute ou dure depuis toujours. Il faut apprendre à accepter les fluctuations et arrêter de vouloir tout maîtriser. Il n’y a pas de normes en matière de sexe, on peut faire l’amour très souvent ou pratiquement pas. Rien n’est grave en soi, sauf si on en souffre. Il faut aussi savoir que les fantasmes sont indispensables. Ils ne sont évidemment pas forcément destinés à être réalisés mais ils participent à notre équilibre et font de nous des femmes en bonne santé sexuelle.
Il faut arrêter de culpabiliser si on a envie d’un autre mec que le sien ! Le désir et les sentiments empruntent des circuits différents dans le cerveau. Ce n’est pas parce qu’on désire quelqu’un qu’on l’aime et inversement, ce n’est pas parce qu’on n’a plus de désir que l’amour a disparu. On a tous nos propres chemins d’excitation : des films, des livres, des situations, des odeurs, des couleurs qui nous font de l’effet. Mieux vaut les connaître, les accepter et ne pas compter sur les autres pour les trouver à notre place.
Un mot sur la sexualité du XXIème siècle?
Je pense qu’elle n’est pas vraiment différente des siècles précédents. On pourrait s’attendre à des histoires de plans à trois, liées à Tinder ou au porno mais je n’ai rien vu de tout ça. Les personnes que j’ai suivies ont des histoires plutôt classiques : elles sont en couple, tiennent à leur partenaire et veulent que leur relation fonctionne. J’ai rencontré beaucoup de gens bienveillants, qui ont tendance à prendre toute la responsabilité de leurs problèmes. J’ai aussi remarqué qu’on est rarement totalement bloqué dans une situation et qu’il y a toujours de l’espoir. Personne n’est obligé de s’intéresser au sexe mais si on est curieux, il faut y consacrer du temps et réaliser ses propres expérimentations.
Crédit photos: Série Masters of Sex