Young Patterns, c'est une nouvelle plateforme web qui bouscule l'industrie de la mode. Son but : attirer les millenials qui boudent le secteur. Interview avec les parents de ce projet belge innovant.
Young Patterns, c'est quoi?
Xavier Thomas. « Une plateforme en ligne lancée par l’Irec (le Centre de formation pour la mode et la confection) et Creamoda (la Fédération de la mode belge). Je suis le coordinateur de projets de l’Irec avec ma collègue Ann, qui est à l’origine de Young Patterns. Notre but, c’est d’attirer la génération Y dans la fashion industry et de lui montrer qu’elle a souvent une vision déformée du secteur. Pour ça, on a sept jeunes ambassadeurs enthousiastes à l’idée de partager leur expérience. »
Ann Collier. « On s’est rendu compte que l’industrie de la mode et de la confection ne compte que 4 % de salariés de moins de 26 ans... Le secteur n’est pas attractif pour les jeunes et ceux-ci n’imaginent pas toutes les possibilités qui s’offrent à eux. Travailler dans la mode, ce n’est pas juste être designer ou couturière ! Il existe plein de métiers différents : le dessin de patronnage, le management, la logistique, etc. »
Concrètement, vous proposez quoi?
X. T. « Un site web pour faire découvrir les coulisses des différents métiers de la mode, à travers des articles et des photos notamment. C’est un lieu où les travailleurs de la génération Y peuvent se rencontrer et échanger. L’industrie n’est pas toujours facile d’accès et on veut aussi jouer les intermédiaires entre les jeunes, les écoles et les entreprises. »
A.C. « Un autre élément clé de Young Patterns, c’est d’envoyer les étudiants effectuer trois stages d’un mois dans plusieurs boîtes. Le but, c’est qu’ils comprennent mieux la réalité du métier et touchent à tout pour voir ce qu’ils aiment. Il faut évidemment convaincre les entreprises : elles préfèrent prendre un seul jeune pour une période plus longue, mais on fait une sélection de stagiaires en amont et c’est un gain de temps pour elles. »
X.T. « La sélection se fait d’ailleurs des deux côtés pour obtenir le meilleur match possible. Pour qu’une entreprise intègre le projet Young Patterns, il faut qu’elle partage nos valeurs. C’est important qu’elle soit ouverte aux changements et accepte de donner des responsabilités aux stagiaires. »
Et l'implication des jeunes?
A.C. « Notre plateforme a été créée par des jeunes pour des jeunes. On ne veut pas qu’il n’y ait que des personnes plus âgées sur un podium pour parler du projet, on ne prend aucune décision sans nos ambassadeurs. Leur rôle, c’est de présenter leur job dans la mode sur les réseaux sociaux et de faire grandir Young Patterns. On est toujours surpris par les nombreuses idées et solutions qu’ils apportent. »
X.T.« Les jeunes doivent être impliqués si on veut changer les mentalités dans la mode. Et ils le sont à fond ! Au départ, on avait prévu des réunions avec nos ambassadeurs quatre fois par an, ce sont eux qui ont proposé que l’on se voie tous les mois. »
La mode, un secteur vieillissant?
X. T. « En Belgique, c’est le secteur où l’on trouve la moyenne d’âge la plus élevée... Les entreprises manquent de vision stratégique à long terme. L’industrie ne mise pas assez sur la transmission de savoir et d’expérience, elle sera pourtant confrontée à un problème de renouvellement du personnel dans quelques années. Les jeunes représentent le futur et si on ne fait rien pour les attirer, on risque de se retrouver face au mur. »
A.C. « Le secteur de la mode est assez traditionnel, beaucoup d’entreprises sont fières d’avoir des employés fidèles depuis 25, 30 ans. Elles ne font pas d’efforts pour accueillir les jeunes ou affirment qu’elles n’ont pas le temps de prendre des stagiaires. Notre rôle, c’est aussi de les coacher pour qu’elles apprennent à intégrer les codes, la façon de travailler de la génération Y. En Belgique, on est assez réfractaires au changement, on veut d’abord voir les résultats concrets avant de se lancer. Young Patterns compte bien les leur montrer. »
L'apport des millenials?
A.C. « La génération Y est complètement différente des précédentes. Les jeunes ont un sens critique développé et c’est très intéressant de les écouter. Ils apportent plein d’idées originales et ne voient pas les choses de la même manière que des employés qui sont là depuis de nombreuses années. Comme ils sont nouveaux dans l’industrie, ils ont forcément plus de recul et apportent parfois des solutions à des problèmes de longue date. »
X.T. : « Les millenials ont besoin de sens. Ils veulent être reconnus et avoir des responsabilités dans leur job. C’est fini l’époque où les boss gardaient leurs employés avec un bon salaire et une belle voiture, on essaie de leur faire comprendre ça. On parle aussi beaucoup de mode éthique et durable en ce moment mais ce sont les jeunes qui amènent ce débat, ils sont très engagés. Plutôt que de mettre en place une politique de greenwashing, ils montrent aux entreprises comment de petits changements peuvent faire la différence. »
Des conseils pour les jeunes?
A.C. « N’ayez pas peur d’essayer de nouvelles choses. Si vous ne savez pas quoi faire après vos études, multipliez les stages dans la mode et changez régulièrement de département au sein des entreprises. Vous serez peut-être surpris d’aimer un métier auquel vous n’aviez absolument pas pensé. »
X.T.« Soyez curieux, mettez vos préjugés de côté et persévérez même si vous aviez une autre vision du secteur. Essayez aussi de changer le système de l’intérieur. Dénoncer une mode qui n’est pas assez green sur les réseaux sociaux, c’est très bien, mais si vous voulez vraiment faire évoluer l’industrie, il faut y entrer. »
>> Témoignage
Florence Philippron, 25 ans, ambassadrice Young Patterns
« Je m’intéresse à la mode depuis toujours mais je n’étais pas assez créative pour devenir designer et je n’avais pas non plus envie d’étudier le management. Après quelques recherches, je suis tombée sur la formation Technologies de la mode à Gand et j’ai adoré. C’est très technique, on apprend tout ce qui concerne la confection. Pendant mes études, je suis partie trois mois en Tunisie faire un stage chez Demco Knitwear, une entreprise spécialisée dans le tricot. J’y ai même décroché un job à la fin de mon master ! Je conseille à tous les jeunes de partir à l’étranger s’ils en ont l’occasion.
C’est vraiment en Tunisie que j’ai compris comment fonctionnait un atelier. J’ai tout appris là-bas et on m’a confié de grandes responsabilités alors que je n’avais que 22 ans. En Belgique, cela ne se serait jamais passé comme ça ! Grâce à cette expérience, je travaille aujourd’hui pour le groupe Bestseller Wholesale, je vends des collections dans des showrooms pour des multimarques comme Point Carré ou Espace Mode. Je soutiens à fond le projet Young Patterns parce que c’est très difficile pour les jeunes diplômés de trouver un boulot dans la mode.
Les millenials ne connaissent pas toujours la réalité concrète de certains jobs et on manque d’intermédiaires entre les entreprises et les moins de 26 ans. Selon moi, les employeurs du secteur ont tout intérêt à engager des jeunes. Ils sont bien formés, très motivés et ils ont une autre vue de l’industrie. Ils n’hésitent pas à aborder les problèmes sous un autre angle et à réformer l’entreprise pour qu’elle fonctionne mieux. Si je devais leur donner un conseil, ce serait de prendre des risques et de saisir toutes les opportunités qui s’offrent à eux. Je l’ai fait en partant en Tunisie et ça a payé. C’est évidemment en acquérant de l’expérience qu’on multiplie ses chances de trouver un job. »