Serifatou Henri Martin, l’une des kinés du projet, en pleine séance. ©Johanna de Tessières

Informer et stimuler

« La malnutrition est vue comme une honte au Niger, c’est un échec pour le père de famille. Les mères évitent donc de venir faire soigner leurs bébés ou attendent qu’il y ait des complications. Ce n’est pas forcément une question d’argent. Même l’enfant d’un milliardaire peut être malnutri s’il fait des gastro-entérites chroniques par exemple », raconte le Dr Noura du Creni de Maradi. « Il y a aussi une grosse pression des maris pour que les femmes rentrent vite à la maison s’occuper de la famille. La prise en charge peut être longue et les pères reprochent à leur épouse d’avoir élu domicile au centre de santé », ajoute Alzouma Abdourahamane, le chef du projet Esspoir. Pour éviter que certaines mères ne signent une décharge et quittent le Creni avant que leur enfant ne soit guéri, le staff d’Esspoir passe dans les centres les sensibiliser.

Ils en profitent aussi pour évoquer la stimulation affective, un autre élément-clé du projet, ultra-innovant au Niger. Le but ? Inciter les mamans à jouer avec leur bébé malnutri. Assises sur des nattes roses, bleues ou jaunes, des femmes aux foulards chamarrés écoutent attentivement l’agent de projet. Elles assistent aujourd’hui à leur première séance de stimulation. Ici, pas de PowerPoint en guise de support mais des dessins explicites : près de 80 % de la population est analphabète. Les mères comprennent vite que les gazouillis et les histoires de princesses avant la venue du marchand de sable ne sont pas une perte de temps.

« C’est très important d’interagir avec les enfants, c’est essentiel pour leur développement psychomoteur et psychoaffectif. Mais lorsqu’une femme remarque que son bébé est malnutri, elle pense qu’il va mourir et il arrive alors qu’elle s’en éloigne, qu’elle l’écarte du reste de la famille », explique le médecin. « Les personnes qui jouent avec leurs enfants sont celles qui ont fait des études. La plupart des femmes présentes au Creni sont des villageoises, elles n’ont pas le temps. Elles se lèvent à 5 h du matin pour piler le mil, préparer à manger, travailler dans les champs… Lorsqu’elles reviennent le soir, elles n’ont plus d’énergie et elles doivent encore s’occuper des autres enfants. Au Niger, les femmes en ont en moyenne huit, c’est mal vu d’avoir une petite famille. »