Parler pour déculpabiliser
Mais le but de Handicap International, c’est aussi de booster l’indépendance.
Plutôt que d’encourager les mères africaines à utiliser des hochets hors de prix made in China, des ateliers de fabrication de jouets locaux sont organisés. Les femmes réalisent alors elles-mêmes des petites voitures ou des animaux en argile, un matériau naturel que l’on trouve partout ici. Une idée canon qui initie aussi un mode de vie plus green, dans un pays où les arbres sont souvent multicolores car… couverts de sacs en plastique. Après avoir confectionné leurs figurines, les artistes nous montrent fièrement leurs réalisations. « C’est amusant à faire, on est ensemble et on apprend des choses. J’ai hâte que mon fils puisse utiliser le jouet que j’ai fait », raconte l’une d’elles. L’atelier permet aux femmes de se retrouver et de passer un moment un peu plus fun au sein de l’hôpital. Pauvreté, soucis de santé, situation familiale compliquée…
Certaines mamans reviennent de loin et les agents du projet le savent bien. Des groupes de parole ont d’ailleurs été spécialement mis en place pour celles identifiées comme déprimées. Toutes les semaines, elles se réunissent à cinq-six pour évoquer leurs problèmes, une sorte de séance collective dans une région où on fronce les sourcils dès qu’on parle de psy. « Les mères n’ont pas vraiment l’habitude d’exprimer leur ressenti. C’est très rare d’avoir un confident ici, les gens ne gardent pas de secret et tout se sait très vite. C’est pour ça qu’on fait exprès de réunir des femmes de différents villages dans un même groupe de parole. Elles peuvent discuter librement sans avoir peur que leurs voisines soient au courant », raconte Halimatou Hassane Bolmey.
Superviseur psychosocial, elle explique aux participantes du jour qu’elles peuvent choisir le thème de la séance et que tout ce qu’elles diront ici restera ici. L’espace est safe et les gossips boycottés. « Les femmes sont timides au début mais elles finissent rapidement par parler de ce qui les tracasse. C’est rassurant pour elles de voir qu’elles ne sont pas toutes seules, que d’autres sont confrontées à la malnutrition. En discutant, elles trouvent elles-mêmes les solutions à leurs problèmes. Elles essayent de les mettre en pratique et elles nous font un feedback la semaine suivante. Au fil des séances, on remarque vraiment une évolution. »
Le projet Esspoir l’a bien compris, la dimension sociale joue un rôle dans le problème global de la malnutrition.
Les mères les plus affectées psychologiquement sont repérées dès leur arrivée au Creni et invitées à participer à une session privée de counselling. « Les séances aident beaucoup les mamans et donc indirectement leurs enfants. J’ai en rencontré une qui avait été répudiée par son mari parce qu’elle ne s’entendait pas avec sa co-épouse. L’homme a préféré garder la plus jeune et la femme s’est retrouvée dans la rue avec son bébé. Elle n’avait pas d’argent pour lui donner à manger, il a très vite souffert de malnutrition. On a beaucoup discuté et des parrains sont intervenus pour essayer de réconcilier le couple. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre et l’enfant va mieux », raconte l’un des psychologues du projet, Garba Ousman. Mais pour que le taux de malnutrition et les rechutes diminuent, Handicap International mise aussi sur la sensibilisation. Dans les villages, des « foyers communautaires » ont été mis en place par exemple. Après un petit speech sur l’importance de l’hygiène ou de l’allaitement exclusif par l’équipe d’Esspoir, les femmes comme les hommes peuvent poser toutes les questions qu’ils veulent.