Les influenceurs sont les nouveaux kings du marketing. Un business en pleine expansion dont il faut connaître les clés pour ne pas être largué.e.

17 millions de dollars. A quelques billets près, c’est ce qu’empoche tous les ans Chiara Ferragni, la fondatrice du blog «The blonde salade». Et si son histoire est systématiquement mentionnée, c’est parce qu’elle fait rêver. Née à Crémone en Italie, elle n’était pas forcément destinée à partager sa vie entre hôtels de luxe et jets privés: son père est dentiste et sa mamma, auteure de romans de gare. En 2009, elle arrête ses études de droit pour lancer son blog. A l’époque, Instagram et Snapchat n’existent pas, et personne ne parle d’influenceurs. Mais très vite, Chiara apprend à se mettre en scène, elle devient cette poupée blonde avec laquelle toutes les grandes filles, et les marques, ont envie de jouer. Aujourd’hui, elle a 10 millions de followers sur Insta, possède sa propre collection de chaussures et joue les égéries pour Guess, Dior ou Chanel. La vita è bella.

Whipped cream 💘

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La force de Chiara Ferragni, c’est d’avoir créé un véritable modèle économique. Des chercheurs d’Harvard se sont d’ailleurs penchés sur son cas en 2015… Mais l’Italienne n’est évidemment pas la seule à en profiter, le business des influenceurs explose. «C’est incroyable de voir à quel point cette industrie s’est développée ces dernières années. D’après Google Trends, les recherches contenant les mots «marketing d’influence» ont augmenté de 325% en un an», explique Werner Geyser. L’homme a fondé «Influencer Marketing Hub» à Londres, une plateforme qui connecte les marques et les influenceurs. «Utiliser des personnes crédibles pour promouvoir certains produits, ce n’est pas nouveau: il suffit de penser à James Bond qui conduit une Aston Martin. Mais grâce aux smartphones, aux réseaux sociaux et à leurs nouvelles ‘stars’, cette méthode est accessible à plus de marques, à plus grande échelle.»

D’après «Influenceur Markting Hub», le marché des Instagrameurs représente un milliard de dollars. Et ce chiffre devrait pratiquement doubler en 2018. Mais les influenceuses ne sont pas simplement payées pour présenter un rouge à lèvres ou un #ootd stylé à leur communauté. Les partenariats avec les marques se multiplient: «Ca peut consister en un post sponsorisé mais aussi en un placement de pièces prêtées ou offertes. Il m’arrive de recevoir des produits que je mets en scène à travers mes photos ou d’être invitée dans certains restos. En général, les opportunités se débloquent par palier, en fonction de l’augmentation de sa communauté», raconte Julie Zwingelstein. Cette avocate française reconvertie en blogueuse et journaliste free-lance ajoute systématiquement le hashtag #sponsored pour éviter la publicité déguisée mais tout le monde ne le fait pas. Certains influenceurs lancent aussi leur propre marque ou se font rémunérés pour apparaître à des events et dans des campagnes. En Chine, les stars des réseaux sociaux reçoivent même des cadeaux virtuels de leurs fans… convertibles en cash!

Si les marques sont prêtes à payer autant, c’est évidemment parce qu’elles ont compris le pouvoir de ces nouvelles stars. «En 2016, Youtube a réalisé une grande enquête auprès des millenials. Ce qui est frappant, c’est que six participants sur dix seraient prêts à acheter les produits recommandés par leur créateur de contenu préféré», raconte Werner Geyser. Les influenceurs sont devenues les nouveaux snipers des marques: ils visent juste et touchent rapidement une cible précise. Dolce & Gabbana a d’ailleurs décidé de les utiliser pour faire le buzz en janvier dernier. La maison italienne avait invité 51 stars du web à arpenter son catwalk lors du défilé homme automne-hiver. L’assurance d’une bonne publicité gratuite sur les réseaux… Mais aujourd’hui, les Instagrameurs ne nous dictent plus seulement quoi acheter, ils nous disent aussi où aller. Et que ce soit aux States ou chez nous, les restos commencent à en prendre conscience.

Ce n’est pas un hasard si certaines adresses sont devenues the place to be et si leurs assiettes sont de véritables machines à likes. Une déco originale, une jolie lumière et des plats instagramables, c’est le trio gagnant pour être propulsé sur le devant de la scène 2.0. «Les réseaux sont devenus un levier déterminant pour bâtir la réputation d’un restaurant. C’est rare mais ça m’est déjà arrivé de ne pas poster une photo d’un plat que j’appréciais parce que l’image était trop sombre», confie Julie Zwingelstein. D’après la journaliste, ce que les influenceurs apportent en plus des médias tradis, c’est surtout une certaine image et de la visibilité: «Les marques s’associent à un univers fort, connu et apprécié, qui paraît plus proche et personnifié qu’un média classique. Et puis derrière ces blogueuses, Youtubeuses et Instragameuses, il y a des communautés particulièrement engagées». Des filles qui s’identifient à ces «girls next door» devenues stars du web, et qui les suivent parfois depuis plusieurs années.

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Les influenceurs sont pourtant de plus en plus nombreux à se professionnaliser. On est loin de la bonne copine qui partage ses produits de beauté préférés pour le fun. Aujourd’hui, on ne publie plus rapidement sur Insta, avec un filtre tout fait, et basta! Poster peut vous prendre la soirée. Certaines filles paient même un photographe pro et un make-up artist pour se consolider une réserve de clichés et updater régulièrement leur compte. Se transformer en insta-icône, c’est du boulot. Certes, agréable, mais du boulot quand même: « Prendre des photos, les trier, les éditer, les poster sur différentes plateformes, ajouter du texte, réfléchir à l’ordre d’apparition des images, animer une communauté, répondre aux commentaires, aux mails… On est loin de la pénibilité du travail à l’usine, mais on ne peut pas nier que cela demande du temps», explique Julie Zwingelstein.

Brooke Erin Duffy, chercheuse et prof à l’université de Cornell, vient d’ailleurs d’écrire un livre sur le sujet: «(Not) Getting Paid to Do What You Love». A l’intérieur, elle démonte ce mythe selon lequel tout le monde peut se transformer en millionnaire sans rien faire. On ne devient pas Insta famous instantanément. L’enseignante compare le phénomène des aspirants influenceurs à celui des stagiaires non-rémunérés dans les industries «glamour» (la mode, le cinéma, les médias…). Des milliers de jeunes, qui peuvent se permettre de travailler gratuitement, investissent du temps et de l’argent en espérant décrocher leur dream job. Mais dans la vraie vie, la plupart se font vite éjecter, ceux qui réussissent représentent une minorité.

Brooke Erin Duffy dénonce un système injuste, en particulier pour les femmes. «Dans les secteurs qui cartonnent sur les réseaux, comme la mode et la beauté, la proportion de filles est évidemment très importante», explique-t-elle. «Le problème, c’est que dès qu’un job est considéré comme ‘un travail de femmes’, il est dévalorisé, tant socialement qu’économiquement. C’est vu comme une activité facile, que tout le monde pourrait faire et c’est moins bien payé (ou pas du tout). C’est ce qu’il se passe avec les influenceuses: leur boulot apparaît comme un loisir, qui ne doit pas être récompensé financièrement.» Devenir une insta-icône continue pourtant à faire rêver et certains sont prêts à tout pour y arriver. Conscientes du business que ça représente, de plus en plus de sociétés proposent des formations en ligne pour accéder à la célébrité 2.0. Depuis l’automne passé, l’Académie royale des Beaux-Arts de Gand propose même un post-graduat en anglais baptisé «Digital Storytelling». Après avoir payé 2500 euros, quelques happy few y apprennent à devenir des pros des réseaux sociaux. Au programme: cours de communication digitale, montage vidéo, création de vlogs, gestion de l’image publique…

Aux States, on va encore plus loin en proposant une colonie de vacances aux teenagers à partir de 15 ans. Objectif? Leur montrer comment rendre leur contenu viral et monétiser leur blog, compte Youtube ou Instagram. Le «Social Star Creator Camp» existe depuis juillet 2017 à Los Angeles, Melbourne et Londres. Ici, on apprend à se vendre auprès des marques mais aussi à gérer des contrats, protéger sa vie privée et faire face au cyber-harcèlement. «Les gens ne se rendent pas compte de la dose de créativité et d’abnégation qu’il faut pour percer dans cette industrie. C’est important de supporter et d’entraîner les adolescents qui souhaitent devenir influenceurs. On pourrait comparer cet endroit aux camps qui forment les jeunes athlètes à devenir des pros», indique Nichelle Rodriguez, la fondatrice. Mais l’idée est loin de plaire à tout le monde. Des associations américaines l’accusent de nourrir des rêves irréalistes, d’encourager les enfants à ne valoriser que l’argent et les selfies… Et le prix refroidit aussi. Pour dix jours de stage, il faudra aligner 2400 dollars.

Plutôt tentant dans ce cas de payer quelques euros pour gonfler instantanément sa «fan base». Le problème des faux followers fait rage sur Instagram et les marques se laissent encore avoir. Il y a quelques mois, l’agence californienne de «marketing d’influence» Mediakix a réalisé une petite expérience pour le prouver. «On a créé deux faux comptes Instagram: les likes et les followers ont été achetés. Pour le premier, on a réalisé un shooting d’une journée avec un mannequin, pour l’autre, on a utilisé uniquement des photos provenant d’une base d’images gratuites. En quelques mois, on a réussi à décrocher des contrats. On a récolté 500 dollars et de nombreux cadeaux de plusieurs marques différentes», explique le CEO de Mediakix, Evan Asano. «On voulait mettre en lumière un problème récurrent. Instagram a déjà essayé de mettre un terme à cette pratique en 2014 mais même avec toutes leurs ressources, ils n’y sont pas complètement arrivés.» Il faudra encore un peu de temps avant que le marché noir des réseaux s’effondre mais une chose est sûre, le marketing d’influence, lui, n’est pas prêt de disparaître. #ToBeContinued.