On sert systématiquement le burger à votre mec alors que c’est lui qui avait commandé la salade? Ca s’appelle de la nourriture genrée. Fini la culpabilité, il est temps que le sexisme descende de table.

Opulence. Le mot claque, ça tombe bien, c’est le thème de notre numéro de décembre. Mais pourquoi le post Insta d’une fille dévorant un gros morceau de bœuf saignant nous semble-t-il encore décadent ? Alors que pour un homme, c’est normal, voire carrément viril… La question, Nora Bouazzouni se l’est posée dans le livre « Faiminisme – Quand le sexisme passe à table ». La journaliste française s’interroge sur le rapport entre une entrecôte et le patriarcat, se demande où se cachent les cheffes et pourquoi l’agriculture est toujours considérée comme une affaire de mecs. C’est fun et percutant, on aime ses jeux de mots et ses chapitres intitulés « Madame est asservie ! » ou « Patriarchie parmentier ». Un bouquin bien relevé qui laisse en bouche un goût prononcé, de quoi ravir les papilles et l’esprit.

L’ORIGINE DU LIVRE ? 

« Ce n’était pas mon idée. La maison d’édition Nouriturfu m’a contactée pour écrire un essai sur les liens entre nourriture et sexisme. J’ai trouvé ça super intéressant, d’autant plus que je n’avais jamais rien lu là-dessus, mais je me suis demandé si j’avais assez de matière pour un livre. Un soir, j’ai ouvert un fichier Word et j’ai écrit d’une traite trois pages de notes. Je me suis rendu compte que les deux sujets étaient complètement liés, c’est comme une pelote de laine : on tire sur un fil et ça ne s’arrête jamais. Dans “ Faiminisme ”, j’essaie de montrer comment l’alimentation, de la production à la consommation en passant par la transformation, a toujours été utilisé pour asservir les femmes. »

UNE DÉFINITION DU FÉMINISME ? 

« L’égalité entre les femmes et les hommes, tout simplement. C’est un mouvement pluriel mais il y a toujours une vision faussée du féminisme et le mot continue à faire peur. Certains se complaisent dans cette image de la féministe hirsute qui veut couper les testicules de tous les mecs au sécateur. Ce n’est pas parce que les femmes auront plus de droits que les hommes en auront moins. »

DES PLATS CONSIDÉRÉS COMME TYPIQUEMENT FÉMININS ?

« Étant donné que les femmes peuvent tomber enceintes, elles ont toujours été vues comme plus proches de la nature. Et c’est un argument qui a servi à asseoir l’autorité des hommes. Dans l’imaginaire collectif, les filles boivent du thé, mangent des aliments “ naturels ”, des fruits, de la salade, du poisson blanc… En petites quantités évidemment. Elles sont légères et fragiles, et si elles se resservent, on le leur fait remarquer : “ Tu reprends des frites, t’es sûre ? Ton bikini body est prêt ? ” Les femmes doivent être minces en permanence pour ne pas prendre trop de place, manger proprement et avoir un appétit de moineau. Le problème avec la nourriture genrée, c’est que ça culpabilise les deux sexes. Les mecs végétariens sont considérés comme des faibles par exemple, la viande étant associée à la virilité. C’est un symbole masculin guerrier, ça remonte au temps où les hommes chassaient le mammouth. »

DES MARQUES DE « SEXISME CULINAIRE » PARTICULIÈREMENT ÉNERVANTES ?

« Ce sont des micro-humiliations, agressions et culpabilisations au quotidien. Quand un couple hétéro va au resto, on va forcément servir le gros burger de bœuf au mec et la salade à la fille. C’est la même chose pour le vin, ça me rend dingue. Je m’y connais mieux que mon copain donc c’est généralement moi qui choisis la bouteille. Le serveur, qui a vu que je commandais, décide quand même de faire goûter le vin à mon mec… Comme si les hommes étaient nés avec un palais plus fin. »

UN DOUBLE STANDARD ? 

« J’avais à peine 8 ans lorsqu’une boulangère m’a dit : “ Un pain au chocolat, c’est dix secondes dans la bouche,dix ans sur les hanches ! ”C’est d’une violence inouïe. On culpabilise les filles dès leur plus jeune âge et on leur apprend que leur frère doit manger davantage.Toute leur vie, les femmes se retrouveront entre deux chaises. D’un côté, on leur assène que leur corps ne sera jamais assez bien (alors qu’un dadbod chez un mec, c’est sexy). De l’autre, celles qui répondent trop bien aux injonctions de la société sont ridiculisées et humiliées : une nana avec des gros seins en silicone est rangée dans la catégorie “ superficielle ”. Il existe une pression en permanence. Les hommes surveillent les femmes, les femmes se surveillent elles- mêmes et entre elles. Comment être heureuse si on a l’impression qu’on peut basculer dans le groupe des indésirables à tout moment ? »