DES EXEMPLES DE SEXISME EN MARKETING CULINAIRE ? 

« Pendant que j’écrivais le livre, je ne suis pas arrivée à m’endormir un soir parce que je venais de me rendre compte d’une chose. Dans la pub, les femmes sont définies avant tout par leur fonction reproductive : Grand-Mère pour le café, Materne pour les compotes, Bonne Maman pour les confitures… Alors que les hommes, eux, ont droit à un nom et à un métier. Jacques Vabre, il n’est pas dans sa cuisine en train de faire du café à ses copines, c’est un explorateur le mec ! On a aussi Captain Iglo (pêcheur), Michel et Augustin (entrepreneurs), Ducros (chef) ou encore Uncle Ben’s (riziculteur mais c’est sa femme qui fait à manger quand les potes sont invités). Quand un homme cuisine, c’est remarquable. Lorsque c’est une femme, c’est normal. Ce n’est pas prestigieux de faire la popote pour sa famille mais être chef dans un resto, c’est s’élever au rang de rock star. C’est comme dans la mode : les grands designers sont souvent des mecs, on ne parle pas beaucoup des petites mains féminines dans les ateliers de couture. »

UNE EXPLICATION AU MANQUE DE CHEFFES?

« Traditionnellement, à la Cour, les hommes faisaient à manger pour les rois et les politiques, les femmes pour les domestiques. C’est resté un univers très masculin et il y a une part d’intimidation énorme, que ce soit voulu ou non. Dans un environnement où il n’y a que des mecs, une fille ne va pas forcément se sentir rassurée. Elle va vite comprendre qu’elle doit se faire oublier, se camoufler :ne pas s’habiller trop sexy et ne pas porter trop de maquillage. C’est vrai qu’avant, c’était peut-être plus difficile pour une femme de soulever des grosses marmites en fonte mais aujourd’hui, on fait des ustensiles de cuisine très légers. Et rester debout pendant douze heures, c’est aussi dur pour un chef que pour une cheffe. »

ET L’ARGUMENT DES ENFANTS?

« C’est aberrant comme argument. Si le fait d’avoir un bébé était un élément bloquant, il n’y aurait pas de femmes dans le monde du travail. Réduire la femme à sa fonction reproductrice, c’est dénigrant et hyper-infantilisant. Il y a plein de cheffes étoilées qui ont des enfants, c’est le cas d’Hélène Darroze ou d’Anne-Sophie Pic par exemple. Ce qui freine la carrière des filles, ce sont plutôt les stéréotypes, la culture machiste et les lois. Il y a plein d’hommes qui voudraient prendre congé pendant six mois pour s’occuper de leur nouveau-né mais la législation ne le permet pas. »

LA FEMME, UNE VIANDE COMME UNE AUTRE ?

« L’entreprise de transformation qui s’applique aux femmes comme aux animaux s’inscrit dans la même logique. Pour plaire, il faut désincarner mais ne surtout pas le montrer. Le corps des filles doit sentir bon, être lisse, ferme, dégraissé pour se fondre dans le moule. La viande, elle, ne doit plus comporter de poils, de plumes, de vaisseaux sanguins pour se conformer à une barquette. Le processus douloureux est invisible, on oublie que la pièce qu’on achète au supermarché provient d’un animal tué. C’est là que l’expression “ Je ne suis pas un morceau de viande ” prend tout son sens. En fait , si, on est à la boucherie. On consomme les femmes comme des animaux, tous les jours elles sont tuées et exploitées sexuellement. »

LE RÔLE DES RÉSEAUX SOCIAUX ? 

« Instagram me détruit moralement, ça me renvoie à mon impuissance de rentrer dans le moule. C’est un réseau social terrible pour l’estime de soi et il peut mener à des troubles du comportement alimentaire. Dans les années 90, les premiers tops comme Cindy Crawford étaient des déesses. Elles faisaient rêver mais c’était un fantasme. Aujourd’hui, avec Insta, on fait croire que le fantasme est accessible à toutes, qu’une meuf lambda peut devenir une icône des réseaux en un claquement de doigts. Il y a de plus en plus de fit girls, des apôtres de la minceur, qui inondent leur compte de selfies en bikini, de photos avant/après et de thé détox. C’est le mensonge au paroxysme, compter les petits pois dans son assiette et faire croire que c’est génial. Leur message, c’est : “ Si j’ai réussi à avoir un corps comme ça, n’importe qui peut le faire. Et si tu n’y arrives pas, c’est que tu n’es pas assez disciplinée. ” Le contrôle de soi est valorisé mais on n’est pas tous égaux en termes de métabolisme. C’est la même chose pour la presse féminine, je n’ai aucun problème à ce que l’on me parle d’hygiène de vie mais arrêtons d’écrire sur la minceur. Même si les réseaux sociaux ont aussi permis aux mannequins plus size d’être entendues, ce sont toujours les filles minces qui restent les plus visibles. »