Depuis que Catherine Deneuve, et 99 autres femmes, ont publié une tribune défendant «la liberté d'importuner» des hommes, les réponses des féministes fusent. Retour sur une polémique qui ne fait que commencer.
1. La claque: la tribune publiée dans Le Monde
C'était hier, et le texte a fait l'effet d'une gifle. Le mardi 9 janvier, un collectif de 100 femmes composé d'actrices comme Catherine Deneuve mais aussi de réalisatrices, d'auteures ou de journalistes, a publié une tribune dans le journal Le Monde suite à l'affaire Weinstein. Baptisée «Nous défendons une liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle», elle débute ainsi: «Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n'est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste.» Si le collectif reconnait que la prise de conscience des violences sexuelles est légitime et nécessaire, il dénonce un tas de choses: un certain puritanisme, un statut d'éternelle victime pour les femmes, une justice expéditive ou encore une haine des hommes.
Des mecs qui «n’ont eu pour seul tort que d’avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses intimes lors d’un dîner professionnel ou d’avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance n’est pas réciproque». Le texte poursuit en expliquant qu'une femme «peut veiller à ce que son salaire soit égal à celui d’un homme, mais ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit. Elle peut même l’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle, voire comme un non-événement.» Pardon?
2. La réaction sur les réseaux
Face à ce texte, les réactions se sont évidemment rapidement multipliées. Non, Twitter ne se substitue pas à une Cour de justice et non, les femmes ne doivent pas être réduites au rôle de proies mais le problème, c'est lorsque le geste déplacé est imposé. Que la possibilité de refus n'existe pas, qu'une position de pouvoir empêche la parole de se libérer. Sur les réseaux sociaux, la tribune est assimilée à un «exemple de misogynie intégrée».
Correction : Nous défendons une liberté d’importuner les femmes, indispensable à la domination sexuelle des Hommes"
La prochaine fois qu' on vous demande un exemple de misogynie internalisé/intégré vous pourrez citer cette tribune. pic.twitter.com/MGPM8N573s— Cybèle (@Charybenscylla) 9 janvier 2018
Le texte est aussi accusé d'établir une hiérarchie des violences faite aux femmes, tout comme une opposition entre les féministes. Les castratrices mal baisées qui détestent tous les mecs vs les féministes cool et souriantes. L'ancienne ministre française des Droits des femmes, Laurence Rossignol, retient quant à elle de cette tribune une «étrange angoisse de ne plus exister sans le regard et le désir des hommes».
Cette étrange angoisse de ne plus exister sans le regard et le désir des hommes. Et qui conduit des femmes intelligentes à écrire des énormes âneries pic.twitter.com/3OEB2HNFzR
— laurence rossignol (@laurossignol) 9 janvier 2018
3. La réponse commune: la tribune sur France info
En guise de réponse, une nouvelle tribune a été publiée par les défenseurs du mouvement #MeToo, cette fois-ci sur le site de France info. Elle est écrite par la femme politique française Caroline De Haas et co-signée par une trentaine de militantes féministes. Ici, le texte paru dans Le Monde est comparé au «collègue gênant ou à l’oncle fatigant qui ne comprend pas ce qui est en train de se passer». «Dès que l’égalité avance, même d’un demi-millimètre, de bonnes âmes nous alertent immédiatement sur le fait qu’on risquerait de tomber dans l’excès. L’excès, nous sommes en plein dedans. C’est celui du monde dans lequel nous vivons», peut-on lire sur le site de France info. On le rappelle, 46% des Belges sont, ou seront, victimes de violences sexuelles jugées «graves» au cours de leur vie d'après Amnesty International.
« Beaucoup d’entre elles sont promptes à dénoncer le sexisme quand il émane des hommes des quartiers populaires. Mais la main au cul, quand elle est exercée par des hommes de leur milieu, relève selon elles du "droit d’importuner". » il n’y a pas deux vitesses au féminisme. https://t.co/JWx5vXchNj
— Lauren Bastide (@laurenbastide) 10 janvier 2018
La force du texte de Caroline De Haas, c'est de démonter point par point les arguments de ses adversaires: «On ne peut plus rien dire», «c'est du puritanisme», «on ne peut plus draguer», «c'est la responsabilité des femmes»... Parmi les passages marquants, on retiendra: «Les signataires de la tribune mélangent délibérément un rapport de séduction, basé sur le respect et le plaisir, avec une violence. (...) Au fond, si le harcèlement ou l’agression sont de "la drague lourde", c’est que ce n’est pas si grave. Les signataires se trompent. Ce n’est pas une différence de degré entre la drague et le harcèlement mais une différence de nature» ou encore «Avec ce texte, elles (les signataires de la première tribune) essayent de refermer la chape de plomb que nous avons commencé à soulever. Elles n’y arriveront pas. Nous sommes des victimes de violences. Nous n’avons pas honte. Nous sommes debout. Fortes. Enthousiastes. Déterminées. Nous allons en finir avec les violences sexistes et sexuelles.»