Une impératrice à Dour ?? Derrière ce titre de noblesse se cache en fait un groupe français aux multiples visages, qui suscite autant de fantasmes que d'interrogations. Space disco seventies ? French Touch nineties ? Variété chic ? Réponse sur scène, où cette gente dame a l'habitude de prendre ses aises.
Bonjour L’Impératrice ! On fait les présentations ?
Charles de Boisseguin : On est un groupe de six musiciens et on joue essentiellement de la musique pop qui est très orientée vers le disco, le funk, un petit peu de jazz et surtout de la musique de films… Enfin bref, c’est un peu indéfinissable ! On essaie en tout cas de faire de la musique dansante, lumineuse, parfois mélancolique, parfois joyeuse - et assez planante. On aime beaucoup les synthés et les basses qui groovent.
Vous vous êtes rencontrés comment ?
En fait j’ai commencé ce projet tout seul en 2012, mais j’ai vite été rejoint par Hagni (Gwon) qui joue du synthé avec moi puis par Tom (Daveau) à la batterie, qui m’a présenté David (Gaugué)… Achille (Trocellier) nous a rejoint plus tard, et Flore (Benguigui) je l’ai rencontrée à la sortie d’un concert.
Donc L’Impératrice c’était un projet solo à la base ?
Exactement, mais je me suis très vite rendu compte qu’il fallait que ça claque en live. Et pour ça il faut un groupe… J’avais pas envie de jouer une musique d’ordinateur !
Avant d’être musicien tu étais critique musical pour diverses publications… Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?
Par curiosité ! À la base je ne savais pas jouer de la musique, mais j’en écoutais beaucoup… Je pianotais un peu, mais sans me considérer comme musicien ! Depuis je me suis perfectionné. (rires) Parce que bon : parler de la musique des autres sans avoir une foutue idée de ce qu’est la composition, je ne trouve pas ça très légitime… C’est facile de critiquer et de donner son avis sur tout et n’importe quoi - surtout à l’heure de Facebook et d’Instagram – d’ailleurs j’adore les carottes rapées) ! (rire général) Plus sérieusement, le fait d’être entouré de gens qui font de la musique m’a donné envie d’essayer, et une fois que tu commences… Puis le label Cracki m’a proposé de faire un EP, et voilà ! J’ai progressivement arrêté le journalisme pour m’y consacrer à temps plein, avec mes 5 copains.
Vous déclarez dans votre bio que cet album, « c’est peut-être un peu l’artisanat perdu dans les internets »… C’est-à-dire ?
C’est-à-dire qu’on l’a vraiment enregistré de façon traditionnelle, en analogique. On a tout joué live, dans la tradition des musiciens de studio de la grande époque.
Quoi, les années 60-70 ?
Oui, voilà ! Tous les albums de jazz funk de ces années-là ont été enregistrés comme ça : sur des magnétos six pistes… Tu vois ? Un peu comme les Beatles : la batterie à gauche, la basse à droite et le reste au milieu. Et tout le monde joue ensemble. C’est dans ce sens-là que c’est artisanal : il n’y a pas de « tricherie », pas d’effets de production à l’hollywoodienne, pas de trucs qui passent dans un ordi – c’est vraiment fait maison, quoi, à l’ancienne ! Ça peut paraître désuet mais je pense que notre musique s’y prête… Et elle y gagne en chaleur !
Vous avez fait appel au grand arrangeur Eumir Deodato pour le morceau-titre. Comment l’avez-vous rencontré ?
Via notre producteur Renaud Letang (« C’est déjà ça » d’Alain Souchon, « Clandestino » de Manu Chao ou encore « Let It Die » de Feist, c’est lui, ndlr), qui le connaît bien. C’est un grand compositeur, et on adore ses disques ! Dans le genre B.O. jazz funk disco, c’est même l’une de nos plus grandes influences… C’est lui qui a fait tous les arrangements de Kool and the Gang par exemple !
En parlant de B.O., quelle est votre préférée ?
Y en a des tonnes ! « Histoire d’O » de Pierre Bachelet, celles composées par François de Roubaix (samplé notamment par Robbie Williams, ndlr), Vladimir Cosma, Bill Conti,…
« Histoire d’O » !! Y a justement un petit côté « disco porn » dans votre musique. Ça vous chaufferait pas de composer une musique de film ?
De film porno ? (rires) Ben écoute Marc Dorcel nous a appelé tout à l’heure ! (re-rires) Mais à vrai dire non, c’est devenu tellement triste le porno d’aujourd’hui… Cela dit Pornhub avait lancé un label de musique il y a 3-4 ans (en 2014, ndlr) et j’avais failli participer à leur concours (« The Pornhub Song Search Contest », ndlr)… J’ai renoncé après avoir entendu les premières démos, c’était affreux !
Et qui dit « Histoire d’O » dit Just Jaeckin (son réalisateur) dit « Emmanuelle » (son premier film) dit Sylvia Kristel (son actrice) dit… dit… « Mata Hari » ! Elle a joué le personnage (olé olé) de Mata Hari dans un film américain en 1985. Tout est lié !!
Aha ! En fait cette référence à Mata Hari c’est pour le côté mystérieux et brouilleur de pistes – un peu comme L’Impératrice en somme : on ne sait pas qui elle est, si elle existe vraiment, y a tout ce truc multi-facettes qui traverse les âges tout en laissant le mystère intact.
Oui parlons-en de votre blaze…
Disons que L’Impératrice on la matérialise avant tout par une émotion, ou un condensé d’émotions : c’est l’idée qu’on se fait de l’élégance et de la féminité… J’ai l’impression que notre musique s’avère spontanément plus féminine que masculine.
Et le côté rétro-futuriste voire nostalgique de votre musique ?
J’aime pas trop le mot « nostalgie » ça me fait penser à ABBA je sais pas pourquoi ! Disons qu’il y a une volonté de nourrir et de perpétuer un héritage… Faut dire que la majorité d’entre nous vient du conservatoire, du classique, avec tout ce que ça implique de rigoureux… Et forcément tu écoutes ce qui s’est fait dans le passé, pour mieux le réexplorer.
Ça aide le conservatoire quand tu fais de la pop ?
Achille : Ah oui musicalement c’est un bagage qui me servira toute ma vie ! C’est sûr qu’à 14 ans quand tu découvres Nirvana tu râles un peu mais maintenant je suis content de l’avoir fait ! Quand t’écoutes ce que font Justice ou SebastiAn tu te rends compte qu’ils utilisent beaucoup de cheminements baroques en fait (c'est flagrant ici, ndlr)… Bref c’est une formation qui nous est très utile !
Ah oui et la French Touch alors ? On pense parfois à Air, à Mellow, à Télépopmuzik quand on vous écoute…
Charles : C’était vraiment notre adolescence. Je me souviens de « Sexy Boy » qui passait à la radio, du premier Daft Punk,… J’avais jamais entendu des trucs pareils ! Et même si j’étais pas vraiment en âge de comprendre et d’apprécier, ça m’a marqué en termes de composition… C’était vraiment une période fleurie musicalement ! Heureusement qu’il y a eu cette période, sinon on ne serait peut-être pas là aujourd’hui.
Et si L’Impératrice devait exister, ce serait qui ?
Ce serait Claudia Cardinale ! Quand j’ai regardé « Il était une fois dans l’Ouest » pour la première fois, il y a ce truc génial imaginé par Ennio Morricone : développer des thèmes pour chaque personnage du film… Et celui de Claudia Cardinale m’a vraiment fait ressentir quelque chose de l’ordre de l’émoi adolescent - cette espèce de sentiment amoureux complètement indomptable qui te rend complètement fiévreux quand t’as 13 ans, tu vois ? Quand tu sais pas trop ce qui t’arrive… Un peu comme les premières érections, c’est toujours un peu bizarre ! (rires) Et j’ai ressenti la même chose quand j’ai commencé à composer pour L’Impératrice.
Et sinon, quid de la mode ? Vous êtes hyper-fringués sur certaines de vos photos de groupe…
Laure : Ce sont des marques qui sont venues vers nous parce qu’elles aimaient notre musique ! Il y a Fête Impériale (ça ne s’invente pas !), la styliste Victoria Rastello et Atelier Beaurepaire qui nous ont dessiné des tenues en wax très pop… Mais bon on n’est pas non plus dans une dynamique très sophistiquée hein ! On a beau s’appeler L’Impératrice on n’arrive pas sur scène avec des corsets et des perruques Louis XVI ! On reste quand même assez sobres, même si le visuel reste très important.
Un disque : "Matahari" (Microqlima)
En concert ce 14 juillet au festival de Dour et le 28 octobre au Reflektor