Un livre nous apprend que l’urgence de connaître les arbres - pour mieux tenter de les sauver - nous concerne beaucoup plus qu’on ne l’imagine.
Inconnu il y a encore deux ans, l’Allemand Peter Wohlleben est sorti de sa forêt en -publiant un best-seller (un million d’exemplaires vendus en Allemagne) diffusé aujourd’hui dans plus de trente pays. Un ouvrage imprimé sur papier, soit, mais qui change radicalement la vision que nous avons du monde de la forêt pour, peut-être, nous sauver du risque de suicide collectif auquel notre société s’expose.
Car l’arbre est un exemple pour nous tous. Nous le considérons comme un robot biologique programmé à pousser vers le haut le plus vite possible pour s’exposer au soleil, au détriment de ses congénères. Nous pensons que le monde végétal est régi par la loi du plus fort. C’est tout le contraire. L’arbre, non seulement, reconnaît ses semblables, mais il mène de plus une vie sociale fondée sur la solidarité, l’éducation et la défense collective. Et il a même accès à une forme d’internet.
Les forestiers abattent de jeunes arbres pour laisser toute la place à l’épanouissement de ceux qu’ils élèvent ? Ils ont tout faux.
Ainsi une forêt où les hêtres poussent serrés les uns contre les autres fournira plus de bois. Les plus costauds nourrissent les plus chétifs par leurs racines. Pourquoi ? Parce qu’ensemble, ils sont plus forts contre les tempêtes, le vent glacial de l’hiver dont ils abritent le sous-bois et la chaleur qui l’assèche durant l’été. Ils viennent aussi au secours des malades et s’avertissent mutuellement pour produire les substances toxiques qui éloigneront les prédateurs de leur groupe.
Dans le monde des arbres, de la survie des plus faibles dépend celle des plus forts
Le jeune arbre ne pousse pas en hauteur, jusqu’à ce que son parent meure de vieillesse ou de maladie. Il lui faut alors grandir le plus vite possible pour exposer ses feuilles à la lumière et refermer le toit de la forêt. Malheur aux autres qui ont été distraits (oui un arbre peut l’être) ou ont cru avoir le temps de pousser encore en largeur : ils devront attendre leur tour.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce ne sont donc pas les jeunes arbres qui poussent le plus vite mais les plus âgés. Les couper à l’âge de 80 ou 100 ans, comme nous le faisons depuis longtemps, est donc contre-productif.
Contre-productif et nocif, comme nettoyer le sol des feuilles mortes, branches et autres matières organiques pour « laisser la terre respirer ». Une poignée de cette terre contient plus d’organismes vivants qu’il y a d’êtres humains sur la planète. Et l’arbre a besoin de ces petits êtres pour sa croissance. Pour lui permettre d’enfouir loin dans le sol le CO2 qu’il a ôté de l’atmosphère. Ne croyez jamais les lobbys de l’énergie fossile qui prétendent que l’arbre restitue de toute façon tout le CO2 qu’il a absorbé.
L’internet biologique existe
Depuis des milliers d’années, l’homme s’est associé aux chevaux et aux chiens. Depuis des millions d’années, l’arbre s’est associé aux champignons. Le champignon, c’est le plus grand organisme vivant connu. Un réseau de fins filaments qui courent dans le sol sur plusieurs hectares. Vous pensez avoir ramassé des brassées de champignons de Paris ? Vous vous trompez. Chaque filament le relie au même réseau, à la même matrice : il s’agit bien du même champignon. Quand on sait qu’une cuillère de terre peut contenir un kilomètre de filaments, on ne s’étonnera pas d’apprendre qu’un champignon au grand complet peut peser des centaines de kilos.
Ainsi donc, le champignon se plugge sur des dizaines, parfois des centaines d’arbres et ce, avec leur consentement (un arbre ne laisse pas entrer n’importe qui). Ce champignon leur transmet aussi bien des nutriments que des informations, comme l’arrivée d’insectes nuisibles. En échange, il peut leur demander jusqu’à 30 % de leur consommation d’eau. Mieux encore, le champignon sert de filtre pour l’arbre, le protégeant ainsi des métaux lourds, notamment radioactifs.
Vous croyez qu’un arbre ne peut rien apprendre ?
Erreur. Deux groupe d’arbres vivent dans la même commune mais dans deux types de sol différents : celui où le sol est gorgé d’eau s’habitue à en consommer beaucoup et connaît une croissance rapide. Celui où le sol est aride car exposé aux quatre vents grandit beaucoup moins vide. Mais lorsqu’une sécheresse de longue durée survient, le premier groupe périclite alors que le second n’en souffre pas. Ces derniers ont en effet appris à vivre avec moins d’eau.
Les arbres peuvent garder ces acquis en mémoire ? N’exagérons rien. Où pourraient-ils stocker ces informations ? Dans leur cerveau ? Ils n’ont pas, ça se saurait. Et pourtant...
Une scientifique australienne a pratiqué une expérience sur des Mimosa pudica, ces plantes aujourd’hui à la mode qui, quand on les touche, se referment aussitôt. Le premier test consiste à faire tomber des gouttes sur leurs feuilles qui se referment instantanément. Avec la répétition de l’expérience, l’arbuste se rendant compte qu’il n’y a rien à craindre des gouttes, finit pas laisser ses feuilles ouvertes. Après plusieurs semaines sans aucune sollicitation, la scientifique renouvellera l’expérience pour constater que la Mimosa pudica a bien gardé sa leçon en mémoire et ne refermera pas ses feuilles au contact des gouttes.
La conclusion est encore plus édifiante : les arbres sont en mesure d’influencer notre climat. L’auteur se souvient que sur un sol sec et sablonneux où ne pouvaient pousser que des pins, il avait planté des hêtres pour que leurs feuilles mortes adoucissent l’acidité de leurs aiguilles. Mais c’est bien mal connaître l’ambition de ces arbres dont les feuilles ont formé avec les années un humus qui a retenu l’eau et freiné les courants d’air entre les troncs. Les hêtres ont ainsi avec le temps dépassé les pins en modifiant le sol et en créant un microclimat.
Chez certains arbres, les informations s’échangent à la vitesse de un mètre par minute voire plus, beaucoup plus. Mais ils ont un avantage sur nous : ils vivent de 200 à 500 ans. Si du moins nous leur en laissons la possibilité, ce qui n’est quasiment plus le cas en Belgique où les forêts ne sont plus fossiles mais artificielles.
Les arbres ont beaucoup de choses à nous apprendre. Pensez-y lors de votre prochaine promenade en forêt et surtout ne les blessez pas en coupant dans leur écorce : d’une part, ils en souffrent et d’autre part, ils ne s’en remettent jamais...
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Nicky Depasse