Pouvez-vous nous présenter « Fish & Chips » en quelques mots ?
C’est un spectacle qu’on a eu envie d’écrire et de jouer à deux, Nathalie Penning et moi. Ce n’est pas la première fois qu’on travaille ensemble au TTO, puisque j’avais mis en scène son « one-woman-show » « Sous la robe » il y a 4 ans, dans lequel elle racontait son métier d’avocate… L’idée de base ici c’était l’émission de cuisine : j’interprète la productrice qui doit remplacer l’une des deux animatrices au pied levé, parce que celle-ci perd les eaux en plein tournage. Sauf que Nathalie, qui joue donc l’autre co-présentatrice, et moi, on se déteste cordialement… Mais au-delà du règlement de comptes, le spectacle évoque aussi la question du vieillissement : au cours du spectacle on apprend que la chaîne veut arrêter le show parce qu’elle nous trouve trop vieilles. Cette pièce c’est aussi l’occasion pour nous d’aborder cette thématique : c’est quoi d’avoir 50 ans aujourd’hui pour une femme ? On a l’impression qu’à partir d’un certain âge on devient transparente, on n’existe plus dans le regard de l’homme… On est morte, sexuellement parlant.
C’est pas très comique tout ça !
C’est sûr que c’est pas un sujet vendeur ni très glamour, mais c’est une réalité ! Contrairement à nos mères, aujourd’hui on peut s’habiller comme nos filles : on reste plus jeune plus longtemps… Mais en même temps, dès qu’on atteint les 50 ans, on vous étiquette comme « senior ». L’autre jour j’entendais le créateur de la marque Chine (Luc Duchene, ndr) déclarer que sa cible c’était les 25-44 ans… Et moi j’en ai plus de 50, donc ça veut dire que je ne suis plus concernée ? Je trouve ça dingue ! Alors que je me sens totalement dans le coup en fait.
C’est quoi la différence avec la crise de la quarantaine ?
Quarante ans pour moi ce qui était terrible c’était cette sensation d’être au milieu, de se dire : « OK maintenant je vais plus vers la mort que vers la vie »… Ce n’était pas le feu au cul ou la crise qu’on nous présente en général, mais plutôt : qu’est-ce qu’il me reste comme temps ? Mais à 40 ans on croit encore que tout est possible, alors qu’à 50 on bascule vers autre chose… En fait c’est une grande tristesse de voir la vieillesse qui se rapplique alors qu’à 50 ans on est toujours au taquet ! Je regarde plein de séries j’aime la mode j’aime tout, et pourtant j’ai 55 ans. C’est comme s’il se passait un truc dans le regard des gens, des hommes, dès que t’atteins les 50 ans. Tu deviens une « vieille personne ». Voilà.
Ça concerne plus les femmes que les hommes ?
Oui c’est peut-être un cliché, mais le mec qui a 60 ans et qui se tape une petite jeune de 35, c’est d’une banalité ! Il n’y a pas autant de femmes de 60 ans qui se tapent des petits jeunes – à part Macron ! Si t’es une femme célibataire de 55 ans tu dois te taper des mecs de 75 ?!? Moi j’ai pas envie !
Revenons au spectacle… Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots votre popote interne ? Comment crée-t-on un spectacle de toutes pièces ?
Dans ce cas-ci on trouve d’abord le contexte : une émission de cuisine aux USA avec deux présentatrices qui se détestent. On construit ensuite l’histoire et les idées viennent au fur et à mesure… Moi je suis plutôt forte dans la construction de l’histoire, et Nathalie dans les dialogues.
Avec l’humour comme clé de voûte.
Ah oui ! On est au TTO, c’est notre marque de fabrique ! C’est le cahier des charges et c’est comme ça depuis 22 ans.
Et vous êtes quasiment les seuls à en faire, finalement.
Il y a d’autres théâtres qui le font mais c’est vrai qu’ils n’ont pas cette identité axée essentiellement autour de ça… Cela dit on a ouvert une autre salle en 2016, le Little TTO, où là on essaie justement de faire des spectacles un peu moins axés sur l’humour. On vient par exemple d’y programmer « King Kong Théorie » de Virginie Despentes, un spectacle plus engagé que drôle…
Peut-on parler de théâtre de boulevard ? Comment décririez-vous votre programmation ?
On fait du divertissement. Pour moi c’est vraiment ça. Alors oui ça m’est arrivé de monter une pièce de boulevard, mais sinon on fait surtout de la création… On essaie d’être dans l’air du temps : les auteurs viennent avec des sujets modernes, pas avec du Molière quoi ! On laisse ça aux autres. Et notre genre d’humour est assez large, même si on aime tout ce qui est décalé.
Et le stand up ?
Je suis pas très fan du stand up, ça m’énerve en fait ! Je trouve qu’ils racontent tous la même chose tout le temps… À part Guillermo Guiz, qui lui est vraiment bon ! Et Laurence Bibot. C’est une vraie pro.
Est-ce que selon vous l’humour et sa représentation ont évolué ces 20 dernières années ?
En fait l’humour aujourd’hui, c’est un peu comme le rock : tout le monde veut en faire. Tout le monde veut être humoriste. L’humour fait partie de notre quotidien. Quand t’écoutes une émission sérieuse à la radio, y a toujours une chronique humoristique. Du coup il finit un peu par se banaliser… Et moi j’essaie de rester attentive à ce qui se fait (à la télé en radio au cinéma dans les séries), tout en restant concentrée sur ce que moi j’aime et sur ce qui me fait encore rire. Heureusement qu’il y a encore des choses qui me font rire ! Sinon je changerais de métier.
Quoi par exemple ?
Récemment je me suis enfin fait l’intégrale de « Friends », et j’ai trouvé ça très très très bien ! Voilà. Sinon dans les nouveaux humoristes j’aime beaucoup Vincent Dedienne. Il me fait vraiment rire.
Et en Belgique ?
Guillermo et Laurence, donc. Alex Vizorek. Sinon il y en a beaucoup qui ne me font pas rire mais je ne vais pas les citer parce que je veux vexer personne !
Qu’est-ce qui vous fait rire en général ?
Le décalage, les gens qui ont de l’humour naturellement, qui ont du second degré, qui savent se moquer d’eux-mêmes.
Vous avez toujours aimé la comédie ?
Quand j’étudiais au Conservatoire (de Bruxelles, ndr), j’avais déjà envie de faire des trucs drôles… Et pas de jouer du Claudel ou du Shakespeare ! Du coup dès que j’ai fini j’ai commencé à produire mes propres spectacles – à l’époque à La Samaritaine, qui aujourd’hui n’existe plus… Et c’était des trucs qui me faisaient marrer.
Et comment on sait qu’un truc qui vous fait marrer va faire marrer le public ?
On ne sait pas. Il faut se faire confiance. Mais à un moment donné on a besoin de le faire et de le dire. C’est une question d’envie, d’instinct… Ça s’est fait petit à petit, d’un spectacle à l’autre, les gens ont commencé à accrocher, puis j’ai rencontré Sylvie Rager (la directrice administrative et financière, ndr) et Albert Maizel (le président, ndr) – mon mari – et deux autres associés (Viviane et Alain Benyacar, ndr), et à cinq on a lancé le TTO. On voulait créer un lieu dédié à l’humour et au divertissement, parce que ça n’existait pas ! Il n’y a pas cette tradition en Belgique, comme c’est le cas en France avec le théâtre de boulevard – bref on a dû l’inventer ! Mais il n’y avait rien de stratégique : c’est vraiment quelque chose qu’on a construit au fur et à mesure… Et puis j’ai rencontré des auteurs comme Marc Moulin, Laurence Bibot ou Sébastien Ministru, qui ont commencé à écrire des pièces pour le TTO… Sans oublier les comédiens : Antoine Guillaume, Julie Duroisin,… Qui sont ici depuis une dizaine d’années et en qui j’ai confiance. Parce qu’ils ont la « vis comica », et ça c’est pas donné à tout le monde.
Bref ça fait 22 ans que vous êtes à la barre, avec le succès que l’on sait. Y a-t-il une recette miracle ?
Au début on faisait un spectacle qui marchait sur la saison, et d’autres qui ne marchaient pas… Puis y en a eu deux qui marchaient, puis trois puis quatre, et maintenant on est plein tout le temps ! C’est comme si aujourd’hui on était « installé » : on est devenu une sorte d’institution. Les gens viennent ici parce qu’ils savent qu’ils vont se marrer. Ils nous font confiance. Ils savent qu’ils vont voir de la qualité, et puis surtout ils prennent – comme nous – des risques… Parce qu’on ne les bassine pas avec du Éric-Emmanuel Schmitt ! On essaie toujours de donner leur chance à de jeunes auteurs qui parfois n’ont jamais écrit pour le théâtre. Et ça marche !