Un patrimoine architectural exceptionnel
Ce qui impressionne d’emblée en franchissant les immenses portes de garage qui donnent sur le canal, c’est l’espace : 35 000 m² d’anciens ateliers, bureaux et showrooms conservés à l’état brut, formant un véritable dédale de salles réparties sur cinq étages. À l’entrée se situent les guichets, le KANAL Store (un magasin pop-up dédié aux créations “made in Belgium”) et le KANAL Street Food Market, toisées par l’installation “L’Enfer, un petit début” (1984-1991) de Jean Tinguely, qui accueille le visiteur dans un capharnaüm d’objets et de sculptures en mouvement, girouette satanique qui ne donne pas le ton mais semble prévenir le chaland : attention, ce KANAL va vous estomaquer, enfoncez-vous dans ses entrailles et laissez-vous surprendre, après tout il n’y a pas que “comprendre”… Juste à ressentir, admirer, s’interloquer et se laisser conter : c’est ça aussi l’idée, l’humeur et la croyance, de l’art contemporain.
À la base de ce projet hors-normes qui devrait durablement changer le paysage artistique bruxellois, il y a bien sûr la Région, la Fondation Kanal créée pour l’occasion, et le Centre Pompidou. Si ces derniers mois beaucoup de voix se sont élevées parmi la concurrence (les MRBAB, e.a.) pour dénoncer la “privatisation” de l’art, le montant exorbitant alloué à la conception du lieu (175 millions d’euros) ou encore la mainmise du politique sur la culture, il faut bien avouer que le pari est réussi. Pour son week-end d’ouverture, 21000 curieux se sont pressés dans les allées de ce nouveau musée, qui 13 mois durant restera ouvert sur un “mode expérimental” (KANAL (BRUT)) – avant le début des vrais travaux. Ceux-ci s’échelonneront en étapes successives jusqu’à l’ouverture officielle du site fin 2022. C’est sûr que d’ici là, y a du boulot.
Une année de “préfiguration”
Jusqu’au 10 juin 2019, le KANAL se présentera donc comme une “plateforme ouverte à une réflexion sur les enjeux du musée de demain“. Une dénomination un peu ronflante qu’on peut finalement résumer en une année de tâtonnement, à tester sa configuration, sa programmation, son rayonnement, son accessibilité, son intégration au quartier et au tissu urbain, sa collaboration avec les acteurs culturels d’ici et d’ailleurs, bref sa future position de centre “incontournable” de la création contemporaine bruxelloise du 21e siècle et “des siècles à venir” (dixit le Ministre-Président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale Rudi Vervoort…). Au menu donc de cette première année de jachère : des expos mêlant arts visuels, design et architecture, des grandes installations, des créations d’artistes installés à Bruxelles, des spectacles vivants, des concerts, du clubbing,… Autrement dit du pluridisciplinaire, en partenariat avec, entre autres, le KFDA, BOZAR, Flagey, le voisin Kaaitheater ou encore la Raffinerie (Charleroi Danse).
De l’art à tous les étages
Et autant dire qu’un tel espace permet une authentique folie des grandeurs. D’où la présence de pièces artistiques de grandes dimensions comme la “Maison tropicale” de Jean Prouvé, “PAO II” de Toyo Ito ou encore le Pavillon Lasvit LiquidKristal de Ross Lovegrove – des prêts majeurs du Centre Pompidou exposés pour la première fois sur notre territoire… À gauche de l’entrée principale, on vous conseille la visite de “L’Usine de Films Amateurs” de Michel Gondry, maître ès bricolo et réalisateur du rigolo “Be Kind Rewind”, dont s’inspire ouvertement cette petite entreprise. Le concept est simple (et foufou) : inviter tout un chacun à réaliser son propre film en 3h top chrono ! Ailleurs, dans les compartiments de l’ancien atelier de carrosserie, sont exposées des sculptures (forcément) métalliques signées Julio González ou Antoine Pevsner, de grands précurseurs en la matière. Au fond du rez-de-chaussée, dans les bureaux, une sélection d’oeuvres signées Fischli & Weiss, Jenny Holzer ou Marcel Broodthaers rappellent la dynamique kafkaïenne de notre société administrative…
Chaque recoin de l’ancien garage Citröen est ainsi détourné avec humour et à-propos de sa fonction originelle, comme une mise en abîme de son histoire sociale. Même topo dans les anciens vestiaires (où sont projetés les huit épisodes du film d’Armand Gatti “le Lion, sa cage et ses ailes”, une réflexion sur le monde ouvrier) ou dans l’ex-aire de livraison des véhicules neufs (là c’est du design)… Et c’est comme ça partout, à tous les étages de ce paquebot réinventé : l’art y côtoie l’histoire, d’un lieu chargé de mémoire dont l’architecture ne cesse d’impressionner… En 2022, c’est sûr, ce KANAL sera colossal !