Pourtant, Kangourou fait figure d’exception chez nous.
En Belgique francophone, c’est le seul projet de ce type. « Il faudrait davantage d’initiatives pour les femmes toxicomanes avec enfants mais si on en a besoin, c’est parce que ces mères sont parfois mal reçues par le personnel médical. Dans un monde idéal, les services spécialisés n’existeraient donc pas. Un usager de drogue serait traité de la même manière qu’un diabétique par exemple », explique Sébastien Alexandre, directeur de la Fedito, la Fédération bruxelloise des institutions pour toxicomanes.
« L’interdit pénal amène l’interdit moral et le discrédit auquel font face les personnes dépendantes rend l’accès à la santé plus compliqué. C’est d’autant plus dramatique pour les femmes enceintes qui ont besoin d’un suivi médical.» Depuis une vingtaine d’années, le réseau Alto essaie de dynamiter les clichés en formant les médecins sur ce sujet mais le jugement est encore parfois présent. Et, spoiler alert : il n’aide évidemment pas. Dans certains cas, il amène les mères à s’isoler et à consommer… pour oublier la honte de ne pas avoir réussi à s’arrêter. Le cercle vicieux est en place.
Les femmes toxicomanes n’ont d’ailleurs pas besoin des autres pour éprouver de la culpabilité. Elles le font déjà très bien toutes seules : « Lorsque j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai décidé net d’arrêter la coke. J’ai craqué une fois pendant la grossesse, le jour de mon anniversaire, mais j’ai tenu bon sur la durée. Et lorsque Maxime est né, j’étais déterminée à le faire passer avant tout. Jamais je n’aurais pensé que j’allais replonger mais ça a été le cas. Forcément, j’ai énormément culpabilisé, de partir en pleine nuit, de ne pas toujours être là pour lui. Je sais que c’est difficile à comprendre mais lorsque l’envie de prendre de la cocaïne est là, je deviens une autre personne. La pulsion monte et plus rien ne compte, il faut que j’aille chercher le produit », raconte Sonia.
Psychologue de formation, la jeune femme démonte tous les préjugés qu’on peut avoir sur les toxicos.
Non, ils ne sont pas forcément issus de milieux défavorisés ou peu éduqués. C’est d’ailleurs au cours de neuro-anatomie que Sonia apprend les effets des différentes drogues. À l’époque, la coke lui apparaît comme la moins dangereuse pour les neurones et elle se dit innocemment : « Si un jour je devais essayer une drogue, ce serait celle- là. » À 26 ans, elle tombe amoureuse. Premier vrai mec, première expérience. Curieuse, elle accepte quand il lui propose de fumer de la cocaïne, elle qui n’a jamais touché à un joint de sa vie. Au début, c’est festif et puis, ça devient une habitude. Ancienne anorexique, elle se met à consommer pour combler le vide qu’elle ressent et oublier ses nouveaux problèmes d’argent. Psychologiquement, elle devient accro et finit par se cacher pour fumer en solo. « À ce moment-là, on a honte. On se sent désemparé et terriblement seul », souffle-t-elle. À l’asbl Transit, on bosse beaucoup sur ces sentiments, ultra récurrents chez les mamans.
Dans ce centre d’hébergement de crise, on vient reprendre des forces, faire le point sur sa situation administrative, parler du futur ou simplement apprendre à consommer correc- tement avec des seringues stériles. Ici aussi, zéro jugement. « Les femmes qui arrivent n’ont parfois plus leurs règles depuis deux, trois ans ou leur cycle est perturbé à cause des produits qu’elles prennent. On leur propose de faire un test de grossesse et, s’il est positif, de les accompagner en prenant en considération leur consommation », explique Laetitia Peeters, psychologue chez Transit.