« Elles savent très bien ce que ça véhicule comme image une femme enceinte toxico. Elles portent elles-mêmes un regard très négatif sur leur situation. Elles se demandent comment s’occuper d’un enfant alors qu’elles n’arrivent déjà pas à prendre soin d’elles. Mais malgré tout, on leur conseille d’en parler. Si le nouveau-né souffre, ça se manifeste par des tremblements, des pleurs. Le gynéco doit savoir pourquoi afin de l’aider. Et si la maman décide d’arrêter de se droguer pendant sa grossesse, c’est très bien mais elle doit le faire en concertation avec un médecin. Elle ne peut pas stopper d’un coup. Tout passe par le placenta, l’enfant va donc se retrouver en manque et, dans le pire des cas, le sevrage peut être mortel. Lorsqu’il y a un souci à la naissance, des problèmes neurologiques ou une insuffisance respiratoire par exemple, les mères doivent aussi apprendre à gérer leur culpabilité. » 

Pour aborder toutes ces questions, la psy a ouvert un « Espace Femmes » dans le centre. Un lieu safe, où les filles se retrouvent entre elles les mercredis après-midi pour parler sexualité, contraception, violences conjugales… Au centre de la pièce trônent des canaps moelleux et une grande table qui accueille des échantillons de make-up et un sèche- cheveux. Au fond du couloir, deux douches attendent les femmes. Elles viennent d’être nettoyées et le produit 2 en 1 corps-cheveux a été troqué contre un shampoing senteur des îles. Et c’est loin d’être futile. « C’est un espace d’accueil où les mères peuvent faire tomber les barrières. Beaucoup vivent dans la rue, un monde d’hommes, et doivent faire face à des agressions sexuelles. Leur estime de soi est au plus bas, on essaie de les aider à poser une autre identité sur elles-mêmes. Elles sont d’abord des femmes avant d’être prostituées, toxicomanes… Ici, elles prennent du temps pour elles. Parfois, je les maquille et je leur fais un brushing avant qu’elles aillent retrouver leurs enfants, c’est toujours un moment très important », explique Laetitia Peeters. 

La psy rappelle aussi que l’addiction est une maladie. 

Et que si on décide en effet de consommer de la drogue, le moment de basculement dans la dépendance, lui, n’est jamais un choix. « Ça n’excuse pas tout mais c’est une réalité. Personne n’a envie d’être accro. Certains me disent qu’ils vont crever s’ils ne décrochent pas mais l’envie est trop forte. » Évidemment, on peut prendre de la MD ou de la coke avec ses potes en soirée sans avoir de problèmes à régler. Mais sans faire de grosses généralités, beaucoup de toxicomanes qui passent par Transit ont des parcours similai- res : ils ont connu une adolescence difficile, des ruptures familiales, des traumatismes, des violences ou des agressions sexuelles… Dans ces cas-là, le produit se transforme en pansement apaisant. Et c’est sur la plaie qu’il faut avant tout travailler. 

« Ça ne sert à rien de se focaliser sur la drogue, il faut considérer l’ensemble de la situation de la personne. Prendre de l’héro, ça peut être une tentative de traitement, une façon d’atténuer la douleur. Comme avec tout médicament, il y a des effets secondaires et ça peut mal tourner. Mais il y a des tas de gens qui ont une consommation régulée, pour qui le produit fait partie de leur vie sans que l’équilibre ne soit rompu », affirme le Dr Marc De Vos, directeur médical d’Enaden, un centre spécialisé dans le traitement, le suivi et la réinsertion des personnes dépendantes. Assise à côté de lui, la coordinatrice de l’unité consultation Nadine Page ajoute rapidement: « Il faut sortir de cette causalité linéaire “ Une mère dépendante est forcément négligente ”. C’est parfois le cas évidemment mais c’est loin d’être automatique. Ça dépend de beaucoup de facteurs, de son rapport avec la drogue ou de la fonction que le produit vient remplir. »