Et si toutes les substances, du cannabis au crack, étaient légales ? Passer de la répression à la régulation, c’est la proposition de la Liaison antiprohibitionniste en Belgique. Interview avec sa coordinatrice, Sarah Fautré.
Pourquoi légaliser ?
« L’histoire a bien montré que la prohibition n’est pas efficace et que les conséquences, économiques, sociales ou sanitaires, sont désastreuses. La guerre contre la drogue, c’est dangereux pour les usagers et contre-productif pour démanteler les trafics. La criminalisation augmente constamment le nombre de détenus dans des prisons déjà surchargées. Plusieurs études ont en plus montré que l’enfermement carcéral augmente l’usage de drogues et permet même parfois une meilleure coordination du trafic. »
Concrètement, ça fonctionnerait comment ?
« Toutes les drogues seraient légalisées de manière contrôlée. Il n’est donc pas question qu’elles soient vendues dans n’importe quel magasin. À chaque catégorie de produits son modus operandi. Le cannabis par exemple serait vendu librement aux personnes de plus de 16 ans, en comptoir spécifique, et toute publicité serait interdite. La vente des drogues “ festives ” serait quant à elle confiée à des asbl, contrôlées par l’État et compétentes en matière de réduction des risques. Les Belges seraient informés de la composition et des effets des produits. Et pour pouvoir consommer, il faudrait effectuer un bilan de santé avec un médecin. Les opiacés, eux, seraient vendus dans des dispensaires qui disposent d’une salle de consommation. Le produit ne proviendrait pas du deal mais d’une filière de fabrication contrôlée. Et ici aussi, un bilan de santé serait exigé, la délivrance serait pratiquée par un médecin. »
Les avantages et les risques d’une régulation ?
« Tant que la drogue sera illégale, elle restera dans l’économie parallèle : les produits ne seront jamais sûrs, la violence et la guerre des gangs seront toujours à l’ordre du jour. Ici, il y aurait un suivi de la qualité des produits mis sur le marché. Le fait qu’ils soient interdits, et donc jamais purs, amène des problèmes sanitaires. L’héroïne par exemple est souvent coupée avec d’autres produits très nocifs comme le fentanyl qui provoque des overdoses. Les expériences de salle de consommation à moindre risque prouvent que les usagers préfèrent être encadrés, avoir des structures de soin et des envi- ronnements hygiéniques. Autre avantage de la légalisation : la possibilité de financer des campagnes de sensibilisation et des structures d’accompagnement (comme c’est le cas avec les accises sur le tabac et l’alcool). Le but n’est évidemment pas de banaliser l’usage de drogues. Il n’est pas question de promou- voir ces produits ni de nier leur dangerosité mais d’en parler sans tabous. »
L’avis de Christophe Thoreau, directeur de l’asbl Trempoline :
« Je suis d’accord avec l’idée d’une décriminalisation de l’usage de drogue. Mettre des toxicomanes derrière les barreaux, ça ne règle pas le problème. D’ailleurs ça n’a pas de sens, c’est très facile de se procurer des produits en prison. En revanche, je ne suis pas en faveur d’une légalisation. Comment s’assurer que toutes les personnes, notamment les plus jeunes et les plus défavorisés, aient accès à une information objective sur les usages et dangers des drogues ? C’est compliqué d’en parler sans diaboli- ser ni banaliser. Tout le monde ne naît pas dans une famille éduquée, où l’on peut échanger librement. J’ai l’impression que ce sont les personnes qui ont déjà le moins de chance dans la vie qui vont en payer le prix. »
Les propositions de régulation ont été rédigées par le Centre d’action laïque. Le document se trouve en intégralité sur le web.