C’était il y a 50 ans. Mai 68. La guerre du Vietnam. Les Black Panthers. César Chávez. Le Mouvement de Libération des Femmes. Le Printemps de Prague. Une époque d’intense contestation populaire, cristallisée pour la postérité dans un vaste mouvement graphique… Auquel le MIMA rend hommage avec “Get Up, Stand Up !”. La désobéissance civile, comme si vous y étiez.
“Pécher par le silence, alors qu’il nous faut protester, transforme les hommes en lâches. La race humaine s’est élevée par la protestation. (…) Les rares qui osent doivent parler et parler encore, pour rectifier les erreurs du grand nombre” (Ella Wheeler Wilcox, 1914) C’est sur ces mots que s’ouvre “Protest !”, le livre du journaliste Michaël Lellouche à la base de cette exposition, et dont il est le curateur. Plus de 400 affiches (et objets) y sont présentées, toutes issues de sa collection personnelle, toutes produites entre 1968 et 1973. Six années d’une incroyable agitation, autant politique que sociale, et dont l’impact n’a rien perdu de son actu… Même si le medium, aujourd’hui, ne s’imprime plus à l’envi dans des ateliers d’imprimerie, mais se ventile en digital, sous forme de hashtags et de posts Instagram. Loin de faire croire à un temps révolu, “Get Up Stand Up !” se veut montrer l’exemple aux jeunes générations. Ces affiches “ne nous parlent pas seulement du passé ; elles nous parlent depuis le passé”, écrit Lellouche. En ces temps de violence exponentielle, “Get Up, Stand Up !” fait donc oeuvre d’utilité publique. Le temps passe, mais la lutte continue. Mais revenons en arrière.
Mai 1968. De Gaulle est vieux (77 ans), les jeunes s’ennuient, les autres consomment. Raoul Vaneigem, Lessinois situ, dénonce l’ordre social dominant dans son fameux “Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations” (paru en 67). La “société du spectacle” est vilipendée, tout comme le “rêve américain”, qui ne fait plus rêver. Le monde bouillonne. Il ne tardera pas à basculer dans une fièvre contestataire généralisée, qui va durer plus de cinq ans. Ce sont ces années-là que l’expo documente, à travers des centaines d’affiches cette fois-ci exposées, entre les murs du MIMA (pour “Millennium Iconoclast Museum of Art”) de Molenbeek. Des affiches pensées à l’époque par des étudiants, des activistes, des déçus du pouvoir qui s’inspirent des idées de Gandhi, de Thoreau et/ou de Martin Luther King. Des adeptes de la désobéissance civile, pas du terrorisme ou de la propagande d’État. Des gens du peuple, qui s’emparent de la rue et de ses façades pour dénoncer la répression, celle des CRS à Paris, de Nixon à Washington, de tout ce qui va à l’encontre du respect des droits civiques, des minorités, en un mot : de notre sacro-sainte liberté.
Très vite, la résistance s’organise, sous forme de grèves, et d’ateliers populaires. Celui de l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, est le premier à prendre le maquis face au muselage en règle. Vous voulez nous faire taire ? Un homme, Guy de Rougemont, détient la solution (qu’il vole à Warhol) : c’est la sérigraphie. Grâce à cette technique d’impression et de reproduction, il est possible de tirer des affiches en nombre presque illimité. Ses contraintes techniques obligent les étudiants, les grévistes de tous bords, à fabriquer du visuel sans fioritures : le trait doit être épais, la couleur en aplat, le texte court et lisible. Du jamais vu à cette époque – sur le fond comme sur la forme. Du révolutionnaire. “Avec ces affiches, les jeunes ont désormais la possibilité d’exprimer leurs idées, leurs espoirs, leurs révoltes, sous une forme spontanée et immédiate”, écrit Michaël Lellouche. Pendant 45 jours l’Atelier populaire produira plus de 400 modèles d’affiches et en imprimera 300.000 exemplaires. Certaines d’entre elles rentreront dans l’Histoire (“La chienlit, c’est lui !”, “Sois jeune et tais-toi”, “La beauté est dans la rue”, “Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes“,…)… Et préfigurent Twitter et les réseaux sociaux, par leur dynamique d’instantanéité.
Mai 1970. Aux États-Unis, ce sont les fusillades de Kent State (le 4) qui déclenchent le mouvement : 4 étudiants sont tués par la garde nationale. Ils manifestaient contre l’invasion du Cambodge décidée par Nixon. Dans les jours qui suivent, un atelier populaire, inspiré de celui de Paris, se met en branle : les affiches sont imprimées sur des listings informatiques, s’amusent à détourner (plus qu’en France) les pubs, le cinéma, la BD… Comme si “la contre-culture s’appuyait sur la culture dominante pour la faire chuter”. Les femmes elles aussi se fédèrent pour protester contre le modèle patriarcal. Les minorités, des Young Lords aux Black Panthers, ne sont pas en reste. La prise de conscience écologique s’intensifie. Au même moment à Londres, un “Poster Workshop” se met en place pour lui aussi défendre les causes sociales du moment. Le monde bouge. Plus rien ne sera comme avant. Aujourd’hui le street art (Banksy, l'”Obey” de Shepard Fairey, JR,…), Anonymous, #TimesUp ou Occupy Wall Street ont pris le relai sur la scène publique. L’héritage est donc là : il faut lui faire honneur. “Ne pas laisser notre existence aux mains des gouvernants, ne pas en être spectateur mais acteur“. Message reçu.
Où ? MIMA, Quai du Hainaut 39-41, 1080 Molenbeek
Quand ? Jusqu’au 30 septembre
Plus d’infos ? MIMA
Le livre : “Protest ! Les affiches qui ont changé le monde 1968-1973” de Michaël Lellouche (Éditions du Chêne)