Céline Cuvelier est artiste. Son projet ? Proposer des ateliers de peinture dans une prison pour femmes en Belgique. Impressionnant et ultra intéressant. Interview.
Ton parcours ? « J’ai 29 ans et j’ai commencé par un bachelier en psycho à l’ULB avant de me rendre compte que ce n’était pas pour moi. Je suis partie aux Beaux-Arts faire de la peinture et j’ai vraiment accroché, j’y suis restée cinq ans. Pendant mes études, j’habitais en face de la prison pour femmes de Forest. Je les côtoyais au quotidien, j’avais vue sur leurs cellules depuis mon salon. Ça a été le déclic, il fallait que je bosse là-dessus. J’avais envie de savoir ce qu’il se passait derrière ces murs et mon travail a toujours été porté sur des questions sociales, politiques. »
Et après ? « Il y a pratiquement quatre ans, j’ai monté un atelier de peinture à l’intérieur de la prison. Ça se passe tous les jeudis, ça dure deux heures et les femmes sont libres de s’inscrire. Elles doivent choisir entre venir ici ou sortir dans le préau. Certaines arrivent avec des demandes spécifiques (dessiner un portrait par exemple, je prends même parfois la pose), d’autres n’ont pas d’idée. Je propose alors des choses mais j’essaie de ne pas trop imposer. Ça doit rester un moment de liberté, d’évasion et de détente. La peinture est un moyen de communication, ça permet de discuter de plein de choses. Elles me parlent de leurs conditions de vie, elles me posent beaucoup de questions sur moi… Il y a un lien qui s’est créé. Ça me permet aussi de repenser le système carcéral, la société dans laquelle on vit. Je me demande quelle aurait été ma réaction si j’avais été à leur place. Et souvent, je me dis que j’aurais fait la même chose qu’elles. »
Leur retour ? « Elles sont super positives, très reconnaissantes. Beaucoup de femmes arrivent en disant qu’elles n’ont jamais fait de peinture et qu’elles sont nulles mais elles se prennent vite au jeu. Elles emportent le matériel en cellule pour continuer leurs œuvres pendant la semaine et me montrer leur progression. Elles sont d’ailleurs souvent étonnées de ce qu’elles arrivent à produire et ça leur permet de reprendre confiance en elles. Leurs travaux sont accrochés dans la salle de visites et on organise aussi des expos. Les détenues trouvent ça génial qu’on s’intéresse à elles à l’extérieur. Lors des vernissages, plusieurs publics se mélangent : celui du monde de l’art, les familles des femmes en prison, les travailleurs sociaux… Ça permet des rencontres intéressantes et des discussions inhabituelles pour ce genre d’event. »
Le rapport avec la série Orange is the new black ? « Malheureusement, leurs conditions de vie ne sont pas très loin de la série, même si c’est déjà mieux que chez les hommes. C’est parfois pire que ce qu’on peut imaginer. L’hygiène, la nourriture ou encore l’accessibilité aux soins posent question. Les femmes ont souvent l’impression qu’on les oublie, qu’on pense que ce n’est pas grave puisque ça concerne des détenues. Malgré ça, elles trouvent la force d’en rire. C’est une leçon de vie. »
Une bonne surprise ? « J’ai rencontré des femmes formidables, intelligentes, douces… Des filles d’une force et d’une sensibilité incroyable. On est loin du cliché de la détenue en colère et vulgaire. Il y a évidemment de la violence en prison mais j’ai observé beaucoup de bienveillance, de solidarité. Récemment, ils ont décidé de rénover toutes les douches en même temps dans la prison. Ils en ont installé une provisoire dans la salle de sport mais elles n’ont donc plus d’endroit pour s’entraîner. Et c’est évidemment très important pour elles, c’est un exutoire. Du coup, plutôt que de réaliser des exercices seules en cellule, elles ont planifié des séances communes de fitness pour s’entraider, se donner des conseils… »
Une reconnaissance ? « J’ai remporté la bourse Vocatio qui récompense des jeunes de moins de trente ans qui ont des projets à vocation sociale. C’est une belle reconnaissance du travail fourni. J’ai reçu dix mille euros pour produire mon travail plastique et continuer mes activités sans me préoccuper de l’aspect financier. A côté des ateliers en prison, j’en organise aussi avec des migrants ou des personnes en difficulté psychique. »