Des histoires vibrantes, des récits de vie touchants mais aussi des situations difficiles et des épreuves à surmonter. Qu’ils soient parents ou enfants, ils ont formé une famille grâce à l'adoption. Portraits croisés.
Couple homo, tribu recomposée, un père célibataire... 5 témoignages et fragments de vie qui vont changer votre regard sur l'adoption
Alexandra, 42 ans, galeriste et son fils Maxence, 8 ans et futur sportif professionnel (selon lui)
À peine la porte de sa maison ouverte, Maxence déboule dans les escaliers pour rejoindre sa chambre à l’étage. Quelques secondes plus tard, on entend résonner grosse caisse, charleston et cymbales dans toutes les pièces. « Ah oui, il adore jouer de la batterie », nous prévient Alexandra, sa maman.
Du haut de ses 8 ans, ce petit se définit comme étant « moitié de ses racines et moitié belge. » « À 17 ans, je me souviens que je voulais déjà deux enfants et en adopter un, commence Alexandra. Je me suis vite rendu compte que j’avais des problèmes physiologiques. Après quatre fausses couches et quatre souffrances, j’ai dit stop. »
Au bout de trois ans de procédure, le couple devient enfin parents de Maxence , âgé alors de 13 mois. « Nous sommes restés sept semaines en Éthiopie et quand on l’a vu, il ressemblait plutôt à un bébé de 7 mois. Il avait des carences, la salmonelle et un retard psychomoteur. C’est seulement en Belgique qu’il a commencé à prendre des forces. »
Très vite Alexandra a donc voulu se lancer dans une seconde procédure d’adoption, mais a retardé un peu sa décision. En cause, le manque d’attachement de Maxence. « Il allait dans les bras de tout le monde et serait parti avec le premier venu pour peu qu’il soit sympa avec lui. Heureusement, vers 2 ans, il a commencé à s’attacher, à dire papa et maman. D’ailleurs maintenant, il ne s’arrête plus ! »
Au bout de sept ans, Maxence, Alexandra et son mari devraient donc accueillir un nouvel enfant. « Oui, il nous rejoint en octobre, dans cinq mois » crie le petit depuis le fond du jardin. Cette fois-ci, le petit frère a 3 ans et demi et vient des Philippines. Une nouvelle aventure qui inquiète parfois les deux comparses « C’est vrai que ça va être différent. Il est plus âgé, il parle une autre langue… Et puis, au bout de sept ans, on n’y croyait plus trop. Ça roulait bien entre nous trois à la maison, on avait nos petites habitudes. J’espère qu’il s’intégrera dans notre cocon. Mais j’imagine que c’est identique pour une femme enceinte : on ne peut pas prévoir comment l’arrivée d’un enfant va chambouler notre vie. » Maxence confirme : « Pour moi, c’était étrange de perdre mes racines parce que je ne savais pas dans quel pays j’allais me retrouver. Je me demande ce que lui va penser… Ça va même être bizarre pour moi, maman, papa… enfin pour nous quatre. »
Mais sa mère n’a pas d’inquiétude du côté de l’accueil que lui réservera Maxence. « Pour lui, on pourrait être dix ou vingt à la maison. D’ailleurs, il dit toujours qu’il va faire plein d’enfants plus tard ! Nous heureusement qu’on avait l’adoption, sinon on aurait fini comme deux vieux cons ! »
Sinan, 24 ans, étudiant en psychologie
Ce n’est qu’à une quinzaine de minutes du grouillement de la capitale et pourtant, on se croirait déjà en pleine campagne. Le cadre est verdoyant, presque enchanteur. Au sein de cette atmosphère légère, Sinan, 24 ans, nous accueille dans sa maison. « J’ai toujours vécu ici. » Une belle et grande bâtisse de caractère.
À l’intérieur, un imposant piano sur lequel il s’est exercé de nombreuses heures, mais aussi des montagnes de livres et des œuvres d’art dans toutes les pièces. L’ambiance est à la culture et au raffinement. Un intérieur qui représente finalement bien celui d’une mère archéologue et d’un père architecte. Très vite, l’étudiant en psychologie commence à livrer son histoire.
« Ma mère a d’abord eu recours à une fécondation in vitro peu concluante et c’est alors que mes parents se sont tournés vers l’adoption. Je suis arrivé le premier vers l’âge de 10 mois. Ensuite, ma sœur nous a rejoints quand j’avais 3 ans. Nous sommes tous les deux vietnamiens et même si nous ne venons pas de la même région, nous sentons que nous avons les mêmes origines. »
Son adoption, Sinan en parle avec beaucoup de détachement. « Ça fait partie de moi. Quand vous grandissez dans une famille blanche de confession juive, que vous fréquentez une école primaire à Uccle où tout le monde est blanc et au sein de laquelle vous représentez la seule différence, c’est difficile à cacher », lâche-t-il avec un sourire franc. Cette différence extérieure est peut-être même le seul élément qui raccroche Sinan à ses origines. « Je me sens à moitié vietnamien physiquement, mais mentalement je suis belge. Je ne suis pas du tout proche de leur façon de penser ou de vivre. »
D’ailleurs, lui qui est né cinq ou sixième enfant d’une fratrie et a été abandonné à l’orphelinat faute de pouvoir subvenir à ses besoins, n’a jamais cherché à renouer avec sa famille. « Vers 7 ou 8 ans, je me posais beaucoup de questions. Mais je n’ai jamais cherché à retrouver mes parents biologiques. Je n’ai aucune rancœur envers eux, au contraire. C’est peut-être un petit merci que je leur adresserais. Je me suis dit qu’au final, ils m’ont donné une chance de m’en sortir en me confiant à l’orphelinat. De temps en temps, je me questionne aussi sur ce que je serais devenu si je n’avais pas été adopté. Serais-je dans les rizières sous un soleil de plomb ? Vivrais-je avec mes frères et sœurs ? »
Des interrogations légitimes, mais qui n’ont jamais déstabilisé le jeune Sinan. « Au final, je sais que ma vie est ici. J’ai eu de la chance de venir en Belgique et d’avoir des parents aimants et compréhensifs. J’ai eu une enfance calme et heureuse. Loin de souffrir de l’abandon ou de traumas que vivent certains adoptés. Moi j’ai trouvé ma place ! »
Juan, 30 ans, vendeur
Sur les murs, des dizaines de photos de famille. Sur les meubles, des bibelots colorés, souvenirs de nombreux voyages en Colombie. Dans l’entrée, un immense ara au plumage chamarré. Tout dans la maison d’enfance de Juan rappelle son pays d’origine, la Colombie.
Au sein d’une fratrie composée de trois frères et deux sœurs, tous adoptés et venant de ce même pays d’Amérique Latine, il se situe à l’équilibre, au beau milieu, lui qui est le seul à venir de Pereira. « Heureusement que ce n’était pas le premier que nous adoptions, sinon il n’aurait jamais eu de frères ou de sœurs », déclare sa maman avec humour. Arrivé à un an et demi, Juan aurait pleuré continuellement durant ses trois premiers jours en Belgique. Il n’en a aucun souvenir. En revanche, il a toujours su qu’il était adopté. « Je ne sais pas quand mes parents m’en ont parlé pour la première fois, mais je l’ai toujours senti au fond de moi. Je savais que je n’étais pas vraiment belge. J’ai été abandonné à la naissance à l’hôpital par ma mère biologique. D’après mon dossier, elle avait deux autres garçons, mais pas les moyens de m’élever. J’ai donc grandi auprès d’une mère de substitution avant que mes parents ne viennent me chercher. »
Mais s’il en est parti, la Colombie, elle, ne l’a jamais quitté. « Je me sens 100 % colombien. Mes frères et sœurs sont colombiens. On baigne dans la culture de nos racines et, avec mes parents, on repartait tous les deux à quatre ans sur place. » Ces derniers ont créé Los Niños de Colombia, un organisme d’adoption agréé par la Communauté française et qui organisait fréquemment des voyages initiatiques pour les enfants et parents qui souhaitaient en apprendre plus sur le pays ou la famille d’origine.
C’est d’ailleurs ainsi qu’à l’âge de 8 ans, Juan rencontrera pour la première fois celle qui s’est occupée de lui pendant ses premiers mois. « Je ne me rendais pas vraiment compte de qui elle était. J’étais très jeune. Ce n’est que lorsque je l’ai revue à l’âge de 12 ans que j’ai compris. J’ai tout de suite éclaté en sanglots, mais j’étais content de pouvoir la revoir et lui dire merci. »
Même si son enfance a été des plus douces, Juan a traversé quelques difficultés en grandissant. « Mes parents ont toujours tout fait pour que je m’épanouisse, mais ils ne peuvent pas prévenir tous les problèmes. On a eu des coups durs. Être un enfant adopté dans un petit village paumé en Belgique ce n’est pas toujours facile à cause du manque d’ouverture d’esprit. On avait pas mal de problèmes avec certains jeunes qui étaient racistes. Ils s’amusaient à nous insulter, à traîner devant chez nous à vélo pour nous intimider… Ce n’était pas une époque très réjouissante. »
Une période qui rime également avec des premières histoires d’amour pas toujours très simples « J’avais peur de l’abandon, que ce soit amicalement ou amoureusement, et je créais donc moi-même la rupture. C’était un moyen de défense. Quand j’étais trop heureux, j’avais la trouille que tout s’arrête du jour au lendemain. » Juan a travaillé dur pour limiter ce mécanisme inhérent à son vécu. « Désormais, je me sens un peu plus en paix. Je suis bien en couple et j’ai une petite fille qui m’a permis de recréer ce lien du sang qui m’avait manqué. Bientôt je l’emmènerai en voyage en Colombie pour lui montrer ses origines à elle aussi. Depuis tout petit, j’espère même retourner y vivre un jour. »
Pierre, 39 ans et Julien 40 ans
«C’est l’histoire d’un projet de vie qui rencontre un autre projet de vie et qui, ensemble, coïncident et ne font qu’un. » Voilà comment Pierre et Julien définissent la famille qu’ils ont créée grâce à l’adoption de deux petits garçons, qui plus est, deux frères.
Pourtant, le couple n’a pas eu le désir de paternité en même temps. Le premier étant déjà papa d’un garçon à l’époque. « Mon désir à moi était déjà assouvi, mais j’étais à l’écoute de cette demande et je la comprenais. On a tout de même laissé passer quelques années et puis c’est moi qui suis revenu à la charge. À ce moment, Julien était toujours partant, mais il ne voulait pas se lancer dans une procédure avant d’être certain que cela puisse aboutir. En 2011, on a appris qu’un couple d’amis homosexuels avait réussi à adopter un petit garçon. Le soir même, nous entamions les démarches. »
En l’espace de quelques mois ils sont devenus d’heureux papas. « Les petits étaient préparés. Ils avaient reçu une photo de nous (avec laquelle ils dormaient), connaissaient nos prénoms et nous attendaient. Ils se sont très vite attachés. Ils étaient en demande d’affection et je pense que notre projet a fonctionné notamment car ils avaient une image de la mère très abîmée. S’ils avaient été accueillis dans un couple hétéro, la maman en aurait vraiment bavé, car ils rejetaient cette figure parentale ».
En effet, si l’histoire des enfants n’est pas drôle, elle n’a pourtant rien de tragique. C’est le récit classique d’une jeune femme célibataire qui tombe enceinte et qui se retrouve très vite submergée. Rapidement, les petits sont donc placés à l’adoption. « On leur explique qu’elle a essayé d’être une maman et qu’elle n’a pas réussi. »
Mais ce n’est pas toujours simple de faire comprendre ça à des enfants. « La première année, on a vraiment dégusté. Pour l’un c’était des colères, des pleurs, de la violence envers lui-même. L’autre, c’était l’inverse, il avait une carapace et gardait tout à l’intérieur. On a dû énormément travailler sur la gestion des émotions. L’air de rien, c’est fou comme la confiance peut être si vite abîmée chez un enfant, aussi jeune soit-il. »
Aujourd’hui, grâce à des parents patients et compréhensifs, à une équipe pédagogique à l’écoute et à leur grand frère protecteur, ils ont tout pour évoluer dans un cadre aimant et rassurant. « Pour le moment, tout roule. Mais on ne sait pas de quoi demain sera fait. À l’adolescence, les choses risquent de changer. Nous ne sommes pas inquiets de la relation qu’on entretient avec eux, ni de ce qu’ils pensent de nous ou encore de ce qu’ils savent de leur histoire. On a plus de craintes par rapport à la manière dont les autres enfants vont interagir avec eux. Dans tous les cas, nous serons présents. »
Luc, 50 ans, styliste en lingerie féminine
«Je suis un homme homo, célibataire, et pourtant, au bout de neuf mois, j’ai accueilli un petit garçon dans ma vie. Je suis une Immaculée Conception et je n’ai même pas eu mal », plaisante Luc.
Pour devenir papa, ce dernier a eu recours à l’accueil, un processus qui permet aux parents de prendre en charge un enfant en urgence ou sur du court, long ou plus ou moins long terme. « De mon côté, c’est comme une adoption. J’ai le petit Joshua depuis cinq ans déjà et notre belle aventure n’est pas près de se terminer, qu’importe qu’il ne porte pas mon nom. Quand je l’ai vu pour la première fois à la pouponnière, il avait 3 ans et ne parlait pas. Il était dépressif et autiste institutionnel, cela veut dire qu’il ne s’intégrait pas dans un groupe. Là-bas, on m’a présenté comme « Papa Luc » et le petit a demandé à m’appeler papa. J’ai répondu que j’étais d’accord si lui acceptait que je l’appelle Jo. C’est comme ça que notre histoire a commencé. »
Un récit de vie loin d’être de tout repos. À la naissance du petit Jo, les médecins ont décelé des troubles psychologiques chez sa mère. En plus d’être quasiment SDF, cette dernière était également incapable de s’occuper seule de son enfant. Toujours sous surveillance quand elle venait lui rendre visite, elle a laissé Joshua.
Deux ans et demi plus tard, elle a eu un autre enfant, qui lui, a été placé au Service d’Aide à la Jeunesse, une institution qui favorise les contacts avec les parents biologiques. Dès lors, la mère de Jo venait le voir quelques fois par semaine avec son demi-frère et repartait toujours sans lui. « Il ne pouvait pas comprendre pourquoi on l’abandonnait à chaque fois. Aujourd’hui encore il me dit souvent qu’il est méchant et que c’est un mauvais petit garçon. »
En rejet total de sa mère, cette dernière a perdu le droit de lui rendre visite. « Grâce à cette décision, ça va faire deux ans que nous vivons à la montagne, en France. Nous sommes partis, car Jo avait trop de retard à l’école. En Belgique on voulait le placer dans l’enseignement spécialisé. » Aujourd’hui, le blondinet a 8 ans. Il est en deuxième primaire et a rattrapé son retard grâce à sa petite école de village. Coupant notre conversation téléphonique, le petit viendra plusieurs fois rappeler à son papa qu’il « l’aime du fond de son coeur ». « Ça, il me le répète jour et nuit ! », nous explique Luc.
Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi. « Au début, il faisait des colères monumentales. Il ne réagit pas comme n’importe quel enfant. Avant il cassait ses jouets, car c’était trop beau pour lui. Quand je l’ai emmené au ski, il était très heureux et puis un soir, il m’a dit que j’avais fait cela pour qu’il se casse une jambe ou encore que je le mets à la piscine pour qu’il attrape un rhume. Et c’est tout le temps comme ça. Si je suis cinq minutes en retard, il pense directement que je l’ai abandonné… Ces enfants ont tellement une mauvaise image d’eux qu’ils se refusent à connaître un peu de joie ou de bonheur. Pour eux ce n’est pas normal. »
Luc qualifie même son fils d’énigme, ne sachant pas vraiment ce qu’il aime, car le petit manifeste rarement de l’enthousiasme. « Il ne va pas sauter de joie comme les enfants de son âge. En revanche, si ça ne lui plaît pas, on le sait tout de suite ! » Ainsi, le petit fait de la danse classique, du dessin (car il dit que ça lui permet de rêver), il a fait de la trompette…
Pour cet enfant, Luc a complètement réorienté sa vie : « J’ai réalisé des choses que je n’aurais jamais faites pour moi, comme partir m’isoler au fin fond de la montagne. Je n’ai pas rencontré de berger, mais de toute manière j’aurais peur que Jo s’attache, que ça se casse et que cela finisse en un nouvel abandon… Ma plus grande crainte c’est qu’il m’arrive quelque chose, car je suis son seul référent. Maintenant, je regarde toujours la route avant de traverser pour lui. Mais j’ai tellement gagné ! J’ai une famille, j’ai mûri, j’ai aussi acquis beaucoup d’humilité. Accepter un enfant tel qu’il est c’est arrêter de faire des plans sur la comète, c’est l’écouter et respecter son rythme de vie. C’est compliqué, mais c’est une entreprise qui en vaut la peine ! »
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