Avoir des problèmes pour concevoir naturellement, ça concerne un couple sur six en Belgique. Et à l’heure où les femmes font des enfants de plus en plus tard, la procréation médicalement assistée (PMA) n’a plus rien de rare. Bienvenue dans un monde où les cigognes portent des blouses blanches et gèlent le temps...
« C’est simple : vous prenez la seringue et vous réglez le dosage. Vous pincez la peau de votre ventre et vous vous piquez à cet endroit-là, tous les soirs entre 18 et 20 h. » « Toute l’aiguille doit rentrer ? » « Oui, mais c’est tout petit. » Mardi matin, dans une salle de consultation d’Erasme, une infirmière explique à un couple comment réaliser des injections pour stimuler les ovaires, première étape de la fécondation in vitro (la FIV, pour les intimes). Devant elle, une série d’aiguilles, trois grosses boîtes de médicaments et deux paires d’yeux inquiets. Les amoureux se tiennent la main, notent consciencieusement les instructions et posent plein de questions. C’est technique, il ne faut pas se louper. Dans les mois qui vont suivre, ils vont faire l’expérience d’un plan à trois. Pas celui auquel vous pensez, mais un autre, beaucoup moins fun. Elle, lui et le gynéco. Bienvenue dans la procréation médicalement assistée. Un univers à part entière dans lequel pénètre beaucoup plus de monde que l’on croit...
En avril dernier, le hashtag #TalkAboutTrying a même été lancé pour briser les tabous sur la difficulté de tomber enceinte. « On estime qu’un couple sur six vient consulter pour des problèmes de fertilité. Les causes ne sont pas toujours connues, on parle beaucoup de la pollution, des pesticides, des perturbateurs endocriniens, mais on oublie souvent l’alcool et le tabac. Fumer divise pourtant par deux les chances de grossesse », explique le Dr Imbert, chef du service de PMA du Chirec. « À l’époque où les médecins étaient majoritairement des hommes, la fertilité était un domaine assez machiste, on mettait tout sur le dos des femmes. Aujourd’hui, on recherche toujours le problème des deux côtés. » Chez nous, le premier « bébé éprouvette » est né il y a 35 ans, en juin 1983. Et la Belgique a toujours été pionnière en la matière. Réputé pour l’expérimentation et le développement des techniques de PMA, notre petit pays se distingue aussi par sa largeur d’esprit. À l’heure où la France marche sur des œufs pour décider si la procréation médicalement assistée sera ouverte aux femmes seules et aux couples gay, la Belgique a déjà tranché. Et depuis longtemps, puisque ça fait onze ans que le Parlement a accouché d’une loi bien foutue. Elle parle, pour désigner les concerné(e)s, d’« auteur d’un projet parental » et utilise des termes suffisamment larges pour y inclure tout le monde.
Mais en pratiquement 40 ans, quels ont été les changements ? Les techniques de PMA se sont évidemment affinées et les demandes de célibataires ou de couples homos ont augmenté. Ce qui frappe aussi, c’est l’âge des patients. Pas de scoop, juste un constat : les femmes font leurs enfants de plus en plus tard. À Bruxelles, elles ont en moyenne 29 ans lorsqu’elles mettent au monde leur premier bébé. Et même si ce serait pratique, ce n’est pas parce que l’espérance de vie a bondi et que la société a évolué que la fin de la fertilité s’est décalée. « À 20 ans, on a environ 34 % de chances de concevoir à chaque cycle. Ça tombe à 17% à 30 ans et à 12% à 35 ans», indique le Dr Catherine Houba, gynécologue du service PMA de Saint-Pierre. « Sans contraception, les femmes ont en moyenne huit enfants au cours de leur vie, ce qui n’est pas énorme. On le sait grâce à des études réalisées chez les mormons. Si vous voulez être sûre à 90 % d’en avoir deux sans recours à la PMA, il faudrait théoriquement “ s’y mettre ” à 27 ans. »
« La contraception permet d’éviter facilement une grossesse non désirée mais le problème, c’est qu’on a parfois tendance à penser inconsciemment que ça fonctionne dans l’autre sens. Ce n’est évidemment pas parce qu’on arrête la pilule en novembre qu’on va tomber enceinte en décembre. L’espèce humaine est peu fertile et on ne comprend pas encore tout », ajoute Anne Delbaere, cheffe de la clinique de fertilité à Erasme. « Je pense que la plupart des femmes savent que la fertilité diminue fortement après 35 ans, mais elles croient que le PMA va tout régler. C’est faux. Par cycle, le taux d’échec d’une fécondation in vitro est de 75 % ! Même les étudiants en médecine surestiment toujours le succès d’une FIV. Beaucoup de patientes nous parlent de stars qui ont accouché après 40 ans. Mais ce qu’on ne dit jamais, c’est qu’elles ont bénéficié d’un don d’ovocytes. Et dans ce cas, c’est l’âge de la donneuse qui compte. »
Objectif prévention
Pour éviter qu’Eva Longoria, Uma Thurman ou Monica Bellucci ne donnent de faux espoirs aux femmes, les médecins misent sur la prévention. En janvier dernier, la clinique Saint-Vincent à Liège et l’hôpital Saint-Pierre ont même lancé ensemble un programme inédit, le Fertil-Plan. Il est ouvert aux hommes et aux femmes de tous âges, seuls ou en couple. On y vient pour faire un bilan, poser des questions, réaliser des examens pour évaluer sa fertilité et savoir s’il ne faut pas trop traîner... Le but ? Anticiper d’éventuelles difficultés et éviter les déceptions. L’idée, ce n’est pas de presser les gens à faire des bébés, ni de culpabiliser ceux qui ont décidé d’attendre, mais simplement d’informer. « On est sans cesse confronté à des personnes qui arrivent trop tard. Si vous ne voulez pas d’enfants, pas de soucis. Si vous voulez postposer leur arrivée, c’est votre choix, mais il faut qu’il soit pris en toute connaissance de cause », explique Catherine Houba. Le Fertil-Plan est inspiré du Danemark, un pays où les femmes font en moyenne leur premier enfant après 30 ans. Face à son taux de natalité, l’un des plus bas d’Europe, l’État a lancé un projet national pour prévenir l’infertilité liée à l’âge. Parce que personne n’espère devoir passer par la PMA.
Celles qui ont dû y recourir parlent souvent d’un « parcours du combattant ». Et ce sont de vraies guerrières. Il faut gérer la culpabilité, les échecs répétés, le manque de contrôle, les agendas serrés, le sexe planifié... Marceline décrit d’ailleurs ses « années PMA » comme les plus dures de sa vie. « Lorsqu’on a appris qu’on ne pouvait pas procréer naturellement avec mon mari, ça a été très difficile. Tous les contes de fées terminent par “ Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ”, je suis programmée depuis toute petite. Au début, on se sent très seule et coupable, on se dit que si l’autre n’était pas avec nous, il pourrait devenir papa. J’avais vraiment du mal à regarder les femmes enceintes dans la rue ou à me réjouir de la grossesse de mes copines », confie-t-elle. « Il faut aussi avoir un patron ultra compréhensif, parce qu’on ne décide pas toujours des rendez-vous médicaux, et gérer la réaction maladroite des proches. J’ai souvent entendu “ Tu ne tombes pas enceinte parce que tu y penses trop ”. Du coup, je culpabilisais mais toute femme qui passe par la PMA est à un moment obnubilée par ça ! » Aujourd’hui maman à 31 ans, Marceline décrit aussi l’impact de la procréation médicalement assistée sur son mariage. Et il faut être sacrément badass pour ne pas s’éloigner. Son histoire a d'ailleurs donné naissance à Tic Tac Boom, une plate-forme de référence qu'elle a créée pour toutes les personnes qui passent par cette épreuve. (voir encadré en partie 6 de l'article).
C’est quitte ou double pour le couple
C’est le premier cas de figure qui s’est produit pour Vanessa et Marco. Les love birds ont le sourire jusqu’aux oreilles dans leur chambre d’hôpital du CHR de Namur. Ils viennent d’accueillir leurs premiers enfants, de faux jumeaux, grâce à la PMA. Leur cas est extrêmement rare, l’un des deux embryons a été créé naturellement et l’autre par FIV. Il a été implanté dans les heures qui ont suivi la relation sexuelle. Surprise ! Si aujourd’hui, tout roule pour le couple de trentenaires, ils avouent que le chemin n’a pas été facile. « Concevoir un enfant, c’est un acte censé être complètement naturel. Alors passer par une équipe médicale, c’était compliqué pour moi. J’avais peur de ressentir que ce n’étaient pas des “ vrais ” bébés, mais ça n’a pas duré », raconte Vanessa. « Et puis me piquer moi-même, c’était impossible ! Les injections ont agi sur ma sensibilité, j’étais vraiment de mauvaise humeur, Marco a dû me supporter. » « Ce n’était pas évident mais les médecins nous avaient préparés. Et on venait de se marier, c’était trop tard pour faire marche arrière », ajoute le jeune papa en riant.
Pour aider les personnes qui craquent, une équipe de psys est toujours présente dans les centres de PMA. Certains patients sont suivis en cours de route s’ils en éprouvent le besoin, d’autres sont obligés de passer par un entretien avant de voir leur projet accepté. On appelle ça les « demandes particulières ». Lorsqu’une personne extérieure entre en jeu (un don de sperme ou d’ovocytes par exemple), une entrevue est généralement exigée. Mais chaque hôpital fixe ses règles, le Chirec est l’un des seuls centres bruxellois à ne pas demander à deux femmes de passer devant un psychologue. Ici, on considère qu’un couple gay est un couple comme un autre. « Chez nous, elles sont suivies dès le départ mais on insiste sur le fait que ce qui est particulier, ce n’est pas le couple de femmes, mais de passer par un don, de faire un bébé avec le matériel génétique d’un tiers. On ne juge pas, on est simplement là pour accompagner les personnes dans ce parcours et offrir un espace d’écoute », insiste Sarah Colman, psychologue au centre de procréation médicalement assistée de Saint-Pierre.
Si toutes les demandes sont écoutées, tous les projets ne sont pas acceptés. Et c’est en équipe que ça se décide. Le mardi après-midi à Erasme, les membres du service se réunissent pour discuter des patients en PMA. Une dizaine de médecins en blouse blanche et de psys participent à la réu’, des noms et des chiffres fusent : âge, BMI, taux d’hormones produites par les follicules, nombre d’ovocytes prélevés, nombre d’inséminations... Le but ? Adapter les traitements et débattre ensemble des cas qui posent ques- tion. Le sujet du jour : faut-il permettre à une femme de 43 ans de tenter la FIV alors que ses chances de réussite tournent autour des 5 % ? « L’accompagnement est indispensable, il faut la préparer à accepter l’échec mais si sa santé n’est pas en danger, c’est violent de lui refuser d’essayer. Ça me rendrait dingue que les médecins ne me laissent pas le choix », lance la boss, Anne Delbaere. « On essaie d’être ouverts et de ne pas abuser de notre pouvoir médical mais on refuse certains cas lorsqu’on se retrouve dans des contextes d’extrême précarité, sociale ou intellectuelle. Certaines femmes viennent nous voir en expliquant que leur conjoint est en prison pour vingt ans, que tous leurs enfants ont été placés placés ou qu’elles font un bébé pour ne pas se sentir seules... »
Cryoquoi?
Les demandes de cryoconservation passent, elles aussi, systématiquement par un psy. Le principe ? Congeler ses ovocytes pour mettre l’horloge biologique sur pause. Certaines femmes le font pour des raisons médicales, d’autres pour des raisons sociétales. On appelle ça le « social freezing ». Alors que cette pratique est toujours interdite en France, elle existe depuis une dizaine d’années chez nous mais ne s’est vraiment développée que depuis cinq ans. Et les femmes sont encore très peu au courant. « Ce sont deux copines, l’une allemande, l’autre anglaise, qui m’ont fait découvrir cette technique. Si elles ne m’en avaient pas parlé, je ne l’aurais jamais fait. C’était il y a cinq ans et j’ai été assez choquée de la méconnaissance du sujet en Belgique. Lorsque je disais que j’avais congelé mes ovocytes, on n’arrêtait pas de me demander si c’était légal. Oui, je ne l’ai pas fait toute seule dans ma cuisine ! », raconte Laure. « Je travaille dans l’humanitaire et je suis partie plusieurs années à l’étranger dans des zones de conflits. J’ai toujurs voulu être mère mais ma situation n’était pas assez stable. En deux ans, j’ai vécu deux ruptures très douloureuses, je ne m’y attendais pas du tout. J’ai eu besoin de faire quelque chose pour moi, d’avoir l’impression que je contrôlais encore ma vie et qu’elle ne dépendait pas des choix des autres. J’avais 33 ans à l’époque. Je voulais des enfants mais je ne m’imaginais pas en faire toute seule. J’ai donc décidé de m’acheter du temps. »
Et geler le temps demande pas mal d’argent. Pour prélever assez d’ovocytes, on estime généralement qu’il faut réaliser l’opération deux fois. Coût total estimé ? Entre 4 000 et 5 000 €... « Si ça se trouve, je paie cette somme pour rien : je ne déciderai peut-être jamais d’utiliser ces œufs ou j’aurai un enfant naturellement. Mais en attendant, ça me déstresse. Même si ce n’est pas une assurance bébé, c’est une petite sécurité supplémentaire. J’ai 34 ans et pourtant, j’ai envie de vivre le plus possible comme une étudiante. Je vis en coloc’, je voyage beaucoup, je fais la fête, j’ai envie de profiter de l’existence à 100 % avant d’avoir un enfant », explique Léa. « C’est ma mère, gynécologue, qui m’a parlé de la congélation d’ovocytes. Les filles ne savent pas assez que ça existe, aucune de mes copines n’était au courant. »
Léa démonte l’un des plus gros clichés sur le social freezing : celles qui y ont recours seraient toutes des businesswomen obsédées par leur carrière. C’est faux, même si les statistiques laissent croire le contraire. Forcément, vu le prix de la cryoconservation, celles qui peuvent se le permettre ont souvent des postes à haute responsabilité et le salaire qui va avec. « On rencontre des femmes issues de tous les milieux sociaux dans la cryoconservation. La plupart du temps, ce n’est évidemment pas un but en soi. Elles imaginaient leur vie autrement, elles ne se sont pas dit : “ Je n’aurai pas d’enfant avant 40 ans. ” La réalité, c’est qu’elles n’ont souvent pas eu de chance, elles ont vécu des ruptures au mauvais moment. La congélation d’ovocytes leur permet de prendre le temps, de rechercher un compagnon et non directement un père pour leurs futurs enfants », explique Maud Hartman, psychologue dans le service PMA de Saint-Pierre. « Se lancer dans cette démarche, c’est très confrontant. Ça amène beaucoup d’émotions et de questions. “ Pourquoi j’en suis arrivée là ? ” mais aussi “ Que faire avec les ovocytes si je ne les utilise pas ? ” En Belgique, il existe trois possibilités : les détruire, les donner à la science ou à un autre couple. »
Au CHU de Saint-Pierre, on préfère d’ailleurs parler d’« AGE Banking » plutôt que de « préservation de confort ». « Les termes sont plus justes », ajoute la collègue de Maud, Sarah Colman. « Personne ne se dit : “ Cool, demain on va me prélever mes ovocytes ! ” Ça prend du temps, c’est un investissement émotionnel, il n’y a aucune garantie et il peut y avoir des complications... Heureusement que ça existe mais les femmes ne le font pas par plaisir ou par caprice. Même si la cryoconservation était systématiquement remboursée, je pense que personne ne prendrait cette décision à la légère. » La question avait été soulevée en 2014. À l’époque, Apple et Facebook venaient de proposer à leurs employées de sponsoriser leur congélation d’ovocytes. L’argument avancé ? L’initiative encourage l’égalité hommes-femmes... On a envie d’ajouter : tant que ce n’est pas un moyen de pression et que des mesures sont également prises pour réduire l’inégalité au travail.
« Rembourser la préservation ovocytaire, pourquoi pas, mais en parallèle, il faut aussi proposer des avantages aux femmes qui travaillent et qui veulent avoir des enfants tôt. Prévoir des crèches, des systèmes de garde, offrir des congés de paternité plus longs... », énonce le Dr Anne Delbaere. « Les employées n’osent pas toujours annoncer leur grossesse et pour faire un enfant jeune aujourd’hui, il faut être courageux. Ça ne devrait pas être le cas. » Qu’elles soient mères à 20, 30 ou 40 ans, en couple ou en solo, naturellement, grâce à une FIV ou à un œuf congelé, le désir d’enfant est toujours puissant. Et la vraie égalité, c’est ça : informer les femmes et tout mettre en place pour leur permettre de faire librement leurs choix, quels qu’ils soient. Un enfant si je veux, quand je veux et comme je veux.
TIC TAC BOOM, LA BIBLE PMA
Tic Tac Boom, c’est un tout nouveau site belge entièrement dédié à la procréation médicalement assistée. Un petit guide pratique, une « arme pour les combattants PMA » comme l’explique sa créatrice, Marceline Van Cutsem.
« Quand j’ai appris que je ne pouvais pas avoir d’enfants naturellement, je me suis sentie très seule, je ne savais pas vers qui me tourner. J’ai cherché une plateforme belge qui regroupait toute l’information à ce sujet mais je n’ai pas trouvé. Alors j’ai décidé de la créer. Le but, c’est vraiment d’aider les personnes à gérer cette situation le mieux possible.
On y retrouve une liste des centres PMA et des thérapeutes en Belgique, des témoignages, une rubrique dédiée aux médecines douces comme l’acupuncture ou l’hypnose, une section conférences et livres... Je les ai tous lus moi-même et j’ai rencontré tous les médecins en personne. Il y a aussi une page “activités” pour aider les couples à se retrouver et à penser à autre chose. Quand on attend les résultats d’une FIV, dix jours paraissent trente ans ! J’ai essayé de créer un site très simple, tout est déjà tellement compliqué quand on passe par la PMA. » www.tictacboom.be
Témoignage: Amélie, 25 ans
« Je vais congeler mes ovocytes après un cancer. »
« Mon cas est un peu particulier. Si j’ai entamé une procédure de cryoconservation, c’est parce que j’ai eu une leucémie à 17 ans. Lors de mon dernier bilan, on a vu que j’avais très peu d’ovocytes et que j’allais probablement être ménopausée avant 40 ans. Sur le moment, ça m’a fait un choc. On se sent atteinte dans sa féminité et on se remet en question : il y a plein de nanas de 16 ans qui tombent enceintes sans le vouloir et moi je n’en suis même pas capable !
Avant de commencer les injections, je me suis demandé si je voulais vraiment des enfants. La Terre est déjà très peuplée, on peut très bien vivre heureux sans. Mais ma gynéco m’a dit que s’il y avait une chance que j’en veuille un, un jour, j’allais regretter de ne pas être passée par la congélation. Je suis sûre qu’elle a raison. On peut aussi se demander pourquoi je m’inflige tout ça : les piqûres, l’opération... Si je voulais, je pourrais faire un bébé maintenant, je suis au pic de ma fertilité. Le problème, c’est que je ne me sens pas prête, ce ne serait pas juste pour l’enfant. Je suis artiste, ma situation n’est pas du tout stable et je fais partie de cette génération pour qui l’adolescence se prolonge jusqu’à 25 ans. Ma maladie m’a volé trois ans de ma vie, j’ai envie d’en profiter un maximum. Quand j’ai un rhume, je regarde encore des Disney (rires)... Je serais un bébé qui a un bébé !
Forcément, passer par la cryoconservation, ça pose plein de questions. Qu’est-ce que je vais faire des ovocytes restants si je ne les utilise pas par exemple. Et même si je suis avec mon mec depuis quatre ans, c’est bizarre de parler de ça avec lui. Est-ce que s’il vient avec moi à la clinique, ça veut dire qu’il sera potentiellement le père de ces futurs enfants ? C’est assez lourd. À notre âge, on a plutôt envie de penser à nos prochaines vacances que de se poser ce genre de questions. J’aurais évidemment voulu que les choses se passent différemment. On s’imagine qu’on va tomber enceinte comme dans les contes de fées et c’est très difficile pour moi d’être privée de cette spontanéité. Ici, il faut signer des pages et des pages de consentement, j’ai limite l’impression d’être chez le notaire.
Tout est millimétré, planifié. C’est très précis, il faut prendre tel médicament tel jour, arrêter sa pilule autant de temps... Et faire attention évidemment à ne pas tomber enceinte pendant cette période. Je ne sais pas si mon dossier serait accepté si j’avortais avant d’entamer une procédure de cryoconservation. J’ai tout bien noté, j’ai mis plein de rappels sur mon téléphone et j’ai acheté un grand calendrier. Je me fais même parfois des petites répétitions ! On ne peut pas faire ça à la légère, surtout que ça coûte très cher. La cryoconservation est remboursée pour les malades du cancer depuis mars 2017 mais il faut le faire dans les deux mois après avoir reçu le diagnostic. C’était donc trop tard pour moi. Mes parents m’aident beaucoup et j’ai mis aussi un peu de côté. Au début, j’étais en colère, ma maladie me poursuivait, mais aujourd’hui je me dis que j’ai de la chance que cette technique existe. »
Et légalement?
> En Belgique, une femme peut bénéficier d’un remboursement pour la FIV si elle est âgée de moins de 43 ans et si elle n’a pas engagé plus de six cycles de PMA. Pour un transfert d’embryon, sans remboursement, la limite d’âge est de 47 ans. En 2014, d’après le site Belrap, 33 790 cycles de PMA ont été entrepris chez nous, ce qui a abouti à 5 774 naissances. La procréation médicalement assistée est un ensemble de techniques médicales encadrées permettant la procréation en dehors du processus naturel. La FIV, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle font donc partie de la PMA.
> La loi prévoit que le don de sperme est volontaire (pas de rétribution financière) et anonyme mais le don non anonyme est également autorisé s’il y a un accord direct (un homme qui accepterait de donner à son frère par exemple). La Belgique manque de donneurs et c’est principalement au Danemark que les médecins vont les chercher. Les centres de PMA ont aussi le droit de sélectionner les embryons pour que l’enfant à naître ressemble aux parents demandeurs.
> Le don d’ovocytes doit être gratuit, il peut être anonyme ou dirigé (une femme peut recevoir les ovocytes de sa sœur par exemple). Les centres réalisent souvent des dons croisés : une femme peut recevoir les ovocytes d’une inconnue parce que sa sœur a donné ses ovocytes à un autre couple. Pour trouver plus facilement des donneuses, beaucoup de femmes se rendent en Espagne où s’opère un vrai tourisme médical. Ici, certains centres pratiquent même des soldes et des opérations spéciales : « Un bébé garanti dans les 24 mois ou remboursé »...
> La gestation pour autrui (GPA) est tolérée mais elle ne bénéficie pas d’une législation spécifique. En Belgique le phénomène est très rare, on parle de 10 cas par an. Les causes ? Des demandes rejetées, des complications médicales, psychologiques et juridiques... La mère porteuse est en effet la mère légale de l’enfant à la naissance, jusqu’à l’adoption par les parents d’intention.