« Votre plus long voyage sera celui de consommateur à être humain ». La déclaration est hashtaguée #therevolutionbeginswithyou par Bruno Pieters, et partout dans la mode, la prise de tête vire à la prise de conscience.
La deuxième industrie la plus polluante au monde commence progressivement à retourner sa veste. Au mois d'avril, lors du 33ème Festival International de Mode, de Photographie et d'Accessoires à Hyères, prestigieuse rencontre de jeunes designers avec les grands groupes et cadors de l'industrie, les collections étaient plus engagées encore que les années précédentes. Et le palmarès des lauréats de cette édition était tout aussi édifiant : la collection « Fish or Fight » signée BOTTER, Grand Prix Première Vision (et qui pourra notamment développer une collection commerciale avec Petit Bateau), toute jeune marque menée par Rushemy Botter (Académie d'Anvers) et Lisi Herrebrugh, interpelle les consommateurs à propos du lessivage des océans, et invite à cultiver une croissance humainement durable.
La nouvelle génération portée par des idéaux
Rushemy Botter a interprété avec humour les questionnements sociologiques et écologique d'une jeunesse caribéenne qui cherche son chemin pour s'intégrer. Le propos de BOTTER ? « Créer une collection honnête, parce que la mode perd un peu de son sens ». Au Festival, les professionnels chevronnés, qui en voient d'autres, prophétisaient unanimement et à table lors de conversations informelles : « c'est le prochain Virgil Abloh ». On le lui a répété. Il a éclaté d'un beau rire heureux : « Amazing ! Mais pour l'instant, nous souhaitons surtout grandir de façon organique, sans nous précipiter. Nous voulons être créatifs, mais nous souhaitons que nos collections puissent aussi se vendre. Notre objectif n'est pas de construire une marque « hype », mais un label stable et solide. Pérenne ». Une réflexion lucide et rationnelle, qui dénote dans la folie de l'hyperproduction. Avec la même démarche de « création responsable », Jina Jung, a réalisé en collaboration avec Le Coq Sportif, dans la section « accessoires », une collection de sac "Conshoesness" à partir de baskets démontées et recyclées.
Défendant une autre philosophie, celle de la valorisation de tous les corps, à une époque où la mode est pointée du doigt pour ne mettre en avant que des profils « lisses » même si les choses évoluent (les mannequins issus de la diversité restent cependant des exceptions sur les défilés), « Big Again », la collection d'Ester Manas (La Cambre) a affiné, le mot est choisi, la notion politiquement correcte du corps. Elle y a exploré des territoires de mode encore niches : la peau, l'excès de peau, et le droit à une appétissante différence, célébrant « l’excès du corps » pour en faire un bijou : « toutes les femmes peuvent être sexy, si elles sont prêtes à oser, et qu’on leur en donne les moyens stylistiques ». Selon la jeune femme, dont la collection a été acclamée par le public et la presse généraliste par la suite, ce qui mérite d'être souligné, « quand l’homme a besoin d’une armure, il enfile un costume. J’ai réfléchi à la façon dont les femmes, rondes en particulier, pouvaient se sentir sûres d’elles sans se cacher, comme c’est souvent le cas ».
Ester a donc éclaté les lignes sans les exagérer, elle est parti sur l’idée d’une cow-girl sexy, qui s’assume et quasi s’exhibe, créant un dialogue entre la peau et le cuir. Jusque dans les peintures volcaniques craquelées qui évoquent les vergetures, elle a démasqué une hypocrisie latente autour des courbes pleines. « J'ai choisi pour défiler des filles magnifiques, fières de qui elles sont. J'aimerais que mon rêve devienne une pensée logique et normale pour tout le monde. » Légitimer la différence, une œuvre de longue haleine, soutenue aussi par Kate Richard, Flora Fixy et Julia Dessirier, qui ont remporté le Prix de l'accessoire Swarovski avec H(Earring), des bijoux précieux ergonomiques pour porter haut un dispositif auditif, plutôt que de le cacher. Les jeunes femmes ont ainsi intégré le (très) utile à (l'extrêmement) esthétique. Une réflexion nécessaire et altruiste, qui sort du bois une situation cantonnée au médical, pour y lier une architecture de beauté, sculptée en or blanc ou jaune, ergonomique, minimaliste et moderne.
Des marques influentes s'impliquent
Plus largement distribué, Tommy Hilfiger a lancé au printemps dernier une collection de vêtements conçus pour les personnes handicapées, semblables à des pièces « normales », mais conçues avec des astuces pour pouvoir les enfiler ou les ôter sans aide, quand le corps ne se prête pas aux mêmes mouvements que celui des personnes valides. Ouvertures cachées, tirettes à une main, scratchs, boutons magnétiques à la place des coutures, tout est pensé pour pouvoir s'habiller facilement, sans sacrifier à la tendance.
Bruno Pieters, créateur anversois, a de son côté choisi de rompre avec le système de production habituel de la mode, pour lancer Honest By, une marque totalement transparente, éthique, pratique et esthétique.
Le plus « Honestement » possible. Ses étiquettes indiquent toute la filière de fabrication, du cultivateur de coton bio aux spécificités de chaque pièce de vêtement : « organic », ou carrément « vegan ». Pourtant, au départ, son cursus aurait pu être classique : diplômé de l'académie d'Anvers, après un passage chez Maison Martin Margiela et Christian Lacroix, il a été directeur artistique de la ligne « Hugo » de Hugo Boss, mais après des années à oeuvrer dans la mode « traditionnelle », il a eu l'impression d'avoir fait le tour de son métier : « je me reconnaissais plus dans l'industrie. » Il a pris deux années sabbatiques, est parti se ressourcer à Dehli. Là, une affiche a changé le fil de sa création : « be the change you want to see in the world ». « Avant, je n'étais pas prêt à l'entendre. Mais à ce moment de ma vie, le message est passé (...) Je pense qu'il y a plusieurs façons de créer un business. Il ne faut pas toujours exploiter d'autres gens ou notre propre environnement pour faire du bénéfice. Ou peut faire en sorte que notre rêve ne devienne pas le cauchemar d'un autre être humain, ou d'un autre être tout court. Cela n'était pas facile il y a 7 ans, quand j'ai démarré Honest By. Les gens était encore dans leurs période Sex and the City, où ils ne réfléchissaient pas aux conséquences de leurs achats. Ces consommateurs-là existent encore mais je vois de plus en plus de gens qui sont capable d'évoluer. Pas seulement des jeunes, au contraire : cette prise de conscience n'a pas d'âge. »
Selon Bruno Pieters, la conscientisation virale qui se répand dans le prêt-à-porter, qu'il est temps de se rendre utile, et pas seulement rentable, n'est pas forcément générale, mais de plus en plus de marques réalisent que la transparence, la durabilité, la production éthique, et le respect des animaux, ne sont plus seulement des sujets tendances. « Des problèmes comme ceux que l'on voit dans l'industrie de la mode ne se régleront pas tout seuls. Ce sont des questionnements réels, que beaucoup de clients n'éludent plus. Je pense que pendant de nombreuse années, des entreprises cherchaient uniquement à faire du profit en ciblant une clientèle dont la majorité est issue des nouvelles économies : la Russie, la Chine… Mais en Europe, beaucoup de gens veulent plus qu'une « belle robe d'une grande marque ». Ils demandent que l'histoire derrière cette robe soit aussi jolie que la robe. Ils veulent être assurés que la production de cette robe n'implique pas de coûts désastreux pour l'environnement, que la fabrication a été réalisée dans des conditions humaines, et que le « Made in France » signifie effectivement « Made in France et non pas Made in Romania. »
Et en amont, tout dépend de celui qui met la main au porte-feuille : « ce que le client veut, le client l'obtient. » C'est donc à chacun de nous d'appuyer sur l'accélérateur de changement. Pour lui, un vêtement vegan par exemple, « c'est une pièce pour laquelle le créateur a décidé de foutre la paix aux animaux. Je pense que c'est une idée logique quand on pense a toutes les alternatives qui existent. Non seulement elles sont plus durables et plus innovantes, mais elles sont aussi meilleures pour la planète. Pour moi, les animaux ne sont pas des chaussures, ce ne sont pas des sacs à main. Ils méritent mieux que ça. » Glenn Martens, directeur artistique de Y/Project, maison qui gagne du terrain dans les marques bankables, collabore aussi avec Bruno Pieters. Il choisit ses matériaux respectueux des animaux, n'utilise déjà plus que de la fourrure synthétique, et se dirige vers des collections sans cuir animal.
A Paris, un nouveau concept store, Aujourdhui/Demain, propose des alternatives branchées et exclusivement vegan en matière de cosmétiques, food, déco et mode. Si une frange encore minoritaire de la mode prend ses responsabilités dans les processus de production, c'est aux consommateurs de donner l'impulsion pour les marques prennent le pli. L'industrie a besoin de faire du profit, quelles que soient les raisons de son engagement éthique, selon l'expression anglo-saxone : « if you can fake it, you can make it* ». Ca vaut pour chacun de nous.
* "Si tu peux faire semblant, tu peux le faire vraiment".