Anthea Missy
Ton parcours ? « J’ai commencé à faire du graff en 2014. J’avais terminé mes études de marketing, je bossais en tant qu’assistante de chef de produit mais je m’ennuyais. Et puis je suis partie à Londres, un week-end à Shoreditch, ça a été le déclic. Il y avait beaucoup d’art urbain là-bas, une vraie énergie se dégageait des murs et j’ai eu envie de me lancer. Je n’y connaissais absolument rien, j’ai acheté trois bombes et j’ai essayé de faire des petits graffs. C’était instinctif. Aujourd’hui, je réalise aussi des œuvres dans un cadre spécifique, des fresques qu’on me commande et pour lesquelles j’ai reçu une autorisation.»
La différence entre graff et street art ? « Je considère que je fais partie des deux mouvements. Le graffiti, c’est une philosophie de vie née dans les années 70 aux States. C’est lié à la culture hip- hop, au concept de la territorialité, tu appartiens à un crew, une meute. Le but, c’est d’écrire ton nom avec ton propre style pour qu’on te reconnaisse. Les sensations de challenge et d’interdit sont aussi importantes. Les graffeurs vont chercher à se compliquer la tâche, ils prennent des risques en dessinant sur un train, un pont très haut… À partir du moment où ton graff demande une certaine préparation, qu’il devient plus technique, plus stylisé et que tu introduis des personnages, pour moi, c’est du street art. L’aspect esthétique et le message prennent le pas sur l’action sauvage, spontanée. Le point commun, c’est l’envie de s’exprimer. Le graff est souvent vu comme une activité de bad boys alors que le street art est considéré comme chic mais la frontière entre les deux s’amenuise. »
Le street art, une forme d’engagement ? « Oui, l’art est devenu un outil pour moi. Ça doit être beau mais c’est encore mieux si le message est engagé. C’est important que mon travail soit lié à des causes et à des communautés, qu’il y ait un partage. Il y a quelques mois, j’ai été contactée par la maison Arc-en-Ciel de Bruxelles pour réaliser une fresque d’Ihsane Jarfi. Ce jeune homosexuel d’origine marocaine a été assassiné en 2012 à Liège. C’est le premier crime en Belgique pour lequel la circonstance aggravante d’homophobie a été reconnue. Je suis fière de transmettre un message de tolérance et de réaliser une œuvre contre les discriminations. Mon but, ce n’est pas de faire la morale ni d’imposer une philosophie mais d’attirer l’attention des gens sur des sujets qui le méritent. »
Ton expérience en tant que femme ? « Les filles sont moins représentées dans le street art donc forcément, ça étonne. On m’a déjà dit que je devrais me lancer dans le mannequinat plutôt que de peindre et le fait que je dessine en talons hauts interpelle. Quand les mecs me font une réflexion à ce sujet, je propose de leur prêter mes chaussures et d’essayer avant de parler… (rires) On peut très bien être féminine et graffer. L’art, c’est l’une des seules disciplines où il n’y a pas de règles et c’est ça qui est cool. Lorsque j’ai réalisé la fresque d’Ihsane Jarfi, un ami m’accompagnait. Les gens qui passaient dans la rue pensaient systématiquement que c’était lui l’auteur et le félicitaient pour l’œuvre. Ils n’arrivaient pas à croire qu’une femme ait fait ça toute seule. Mais c’est justement l’occasion de discuter avec eux. C’est le principe de l’art urbain et la différence avec un musée : il y a une interaction, un échange qui se crée. »
L’apport des filles ? «On pourrait dire qu’elles amènent plus de douceur dans leur travail, plus de poésie mais il y a des mecs très sensibles aussi. Les codes liés aux genres s’apprennent en grandissant et dépendent d’une culture à l’autre. Au Japon, les hommes portent beaucoup de rose par exemple. Si une fresque est telle qu’elle est, ce n’est pas parce que l’auteur est une femme mais parce qu’il s’agit d’un être humain unique, avec sa propre identité et son propre regard. » www.antheamissy.com