Des féministes qui protestent topless, oui, mais encore ? Le mouvement de filles aux couronnes de fleurs dans les cheveux est plus complexe qu’il n’y paraît. Décryptage.
Lors de certains events spectaculaires, on en parle beaucoup. Et puis plus du tout. Les Femen refont aujourd’hui tristement l’actualité avec le suicide de l’une des co-fondatrices du mouvement, Oksana Chatchko. La jeune Ukrainienne de 31 ans a été retrouvée morte dans son appartement à Paris, ce n’était apparemment pas sa première tentative. En guise de lettre d’adieu, elle a laissé un mot dénonçant l’hypocrisie de la société et des hommes. Si le terme « Femen » implique illico dans notre esprit des filles seins nus se battant contre des flics, on connaît rarement l’histoire du mouvement… On fait le point.
L’origine des Femen ?
Elles ont fêté leurs dix ans cette année. En 2008, elles sont trois : Anna Houtsol, Oksana Chatchko et Sacha Chevtchenko. Aujourd’hui, on estime qu’elles sont environ 300. Le mouvement nait en Ukraine avec l’arrivée de l’économie de marché dans l’Europe de l’Est. Les étrangers fortunés débarquent dans le pays, les poches remplies de dollars, et l’industrie du sexe est alors en plein boom... C’est ce système qu’elles dénoncent mais les Femen luttent aussi contre le patriarcat, la religion, la corruption et l’injustice sociale au sens large. Si elles enchaînent les actions, elles se font surtout connaître du grand public en 2012. Leur but ? Dénoncer le tourisme sexuel lors de l’Euro de football en Pologne et en Ukraine. Quelques années après le lancement des Femen, Inna Shevchenko rejoint le mouvement. Aujourd'hui réfugiée en France, c’est elle qui prend le lead et des rivalités entre les filles émergent. Oksana et Sacha quittent le clan…
Pourquoi montrer ses boobs ?
Protester seins nus, c’est un peu la marque de fabrique des Femen. Et pourtant, les filles militaient bien plus couvertes à leurs débuts. C’est en 2010 que l’idée apparaît et Inna Shevchenko était, au départ, résolument contre. Militer topless, c’est évidemment pratique pour attirer l’attention des médias mais il n’y a pas que ça. Pour les Femen, se mettre nue est un message en soi, bien plus efficace qu’un discours contre le patriarcat. Une façon de montrer que les seins ne sont pas que des objets sexuels, mais aussi des armes politiques, et de se réapproprier leur corps. Elles en font ce qu’elles veulent, et ce ne sont pas aux hommes de leur demander de le couvrir. Leur mode opératoire, surgir dans la foule et imposer leur nudité, est d’ailleurs souvent considéré comme masculin.
Leurs actions ?
Elles sont nombreuses, et souvent spectaculaires. Celles qui ont le plus marqué les esprits ? Une mise en scène d’avortement dans une église parisienne, une apparition dans la cathédrale Notre-Dame pour fêter le départ du pape Benoît XVI (où elles ont sonné les cloches seins nus devant des touristes médusés) ou encore la destruction d’une croix catholique érigée à Kiev. Les Femen ont aussi l’habitude de se mobiliser contre des personnalités : Marine Le Pen, Dominique Strauss-Kahn, Bill Cosby, Berlusconi… Les filles prennent des risques : en 2011, alors qu’elles manifestent à Minsk devant le siège du KGB, elles sont kidnappées et torturées avant d’être relâchées dans une forêt. Un centre d’entraînement physique a d’ailleurs été créé à Paris. Les Femen se préparent à courser la police, sauter d’un immeuble…
Les critiques ?
Ce qu’on reproche aux Femen, c’est souvent de privilégier la forme plutôt que le fond. D’oublier le message derrière le show et de ne pas proposer de solutions aux problèmes qu’elles dénoncent. Qu’on soit d’accord avec leurs idées et leur façon d’opérer, ou non, elles ont au moins le mérite d’attirer l’attention du grand public sur des sujets essentiels. « Avec elles, les questions féministes sont revenues dans l'espace public » explique Bibia Pavard, historienne spécialisée en histoire des femmes, à Franceinfo. "Elles ont remis les femmes dans la rue à l'époque où le féminisme est plutôt un débat intellectuel et elles ont participé à un renouveau de l'activisme féminin ».