Cellulite, duvet ou tétons apparents, après des années de diktats aussi absurdes que contraignants, les femmes semblent bien décidées à bousculer les normes pour mieux se réapproprier leur physique. Sur Instagram, elles n’hésitent plus à se montrer telles qu’elles sont et en profitent pour transformer ce qui était alors considéré comme des défauts, en atouts canon.
Un nouveau paradigme qui n’a pas échappé aux marques de lingerie, toujours plus nombreuses à arrêter de photoshopper l’épiderme de leurs mannequins et à proposer des modèles plus confortables. Entre réelle conscientisation et stratégie marketing, et si cet objet du désir, directement issu de l’imaginaire masculin devenait finalement un symbole d’émancipation ?
Oubliés le Bikini Body, l’injonction à la minceur et à la peau subtilement hâlée. Alors que le féminisme est plus que jamais en pleine effervescence et bouleverse des croyances pourtant bien établies dans nos sociétés, certaines audacieuses vont plus loin et réinvestissent leur propre corps. Comme des modèles d’acceptation de soi, elles détricotent des années de standards et de mythes à coups de hashtags inclusifs et de photos à la mise en scène réaliste. Qu’elles laissent apparaître leurs poils ou qu’elles assument leurs vergetures, l’idée est avant tout de redéfinir les codes de la beauté aujourd’hui. Et plutôt que d’y aller en douceur, pourquoi ne pas s’attaquer directement à l’ultime métaphore de l’oppression des femmes et de la sexualisation de leur image ?
1. Entre la lolita ingénue et l’androgyne asexuelle, cette nouvelle génération de filles cool n'hésite plus
Par essence sexiste, au même titre que le porno, la lingerie a longtemps été attachée au seul regard de l’homme. Qui n’a jamais acheté une parure dans l’unique but de plaire ou de séduire ? Si l’idée en soi ne pose aucun problème, toutes les contraintes qu’elle soulève sont, elles, plus dérangeantes. Matières désagréables, mais furieusement sexy ou formes confortables, mais souvent inesthétiques, en matière de sous-vêtements, perdues quelque part entre la Lolita ingénue et l’androgyne asexuelle, il semble que les femmes n’aient guère d’options. « Je suis une grande consommatrice, mais aussi une grande frustrée, car je n’ai pas de seins. J’ai grandi dans les années 80, naturellement maigre avant que ça ne soit tendance. J’ai galéré pendant des années pour trouver des soutiens-gorge à ma taille », explique Anne-Lise, 52 ans, cadre dans la fonction publique.
Sans forcément brûler notre soutien-gorge, pourquoi ne pas opter pour une version adaptée à nos formes, capables de nous sublimer sans nous étouffer ? « Hors de question de me comprimer toute une journée pour faire plaisir aux personnes autour de moi, gênées par un téton qui pointe sous un chemisier ». Gaëlle, parisienne de 23 ans, fraîchement diplômée d’un Master en communication, est catégorique. Bien plus qu’un simple mouvement né sur les réseaux sociaux, le body positivisme est devenu une philosophie de vie qu’elle s’efforce d’adapter au quotidien : « Depuis toutes petites, on nous rabâche que l’on doit se faire jolies pour plaire aux garçons… Pour moi ce n’est clairement pas une fin en soi. En revanche, se sentir bien dans ses baskets et dans sa vie : oui ». Lassées des standards corporels oppressants, elles sont nombreuses revendiquer à l’instar de Gaëlle, le droit de faire ce qu’elles veulent de leurs seins.
Trop longtemps tabous, nos « défauts » trouveraient aujourd’hui leur place – légitime – sur les photos léchées, évidemment non retouchées, qui ornent nos feed Instagram. Au point d’en finir avec le sempiternel « 90 – 60 – 90 » ? Peut-être pas si vite. Si les initiatives sont nombreuses et bienvenues, elles peinent à s’extraire du réseau social. Et le peu de marques existantes, engagées en faveur de modèles corporels plus divers, sont sujet à la méfiance des consommatrices, pas dupes de la récupération marketing et du marché inédit que peut offrir le mouvement. « On verra dans cinq ans si la tendance réside encore dans le body positivisme et si les mannequins ont toujours l’apparence de « meufs normales ». Peut-être, alors, je commencerai à croire en la sincérité des annonceurs », commente Gaëlle. Même avis pour Nina, 22 ans, qui travaille dans le cinéma à Bruxelles : « En tant que jeune ancrée dans une société occidentale et consommatrice lambda de presse féminine, je trouve que la lingerie body positive reste super marketée. Si je ne doute pas de l’envie derrière le message bienveillant, nous sommes dans un tel système, qu’il faut bien céder certaines valeurs si l’on veut avoir un peu de visibilité ».
2. Sous la jupe des filles, le marketing ?
Si elles sont si méfiantes, c’est aussi parce qu’elles sont conscientisées. Cette nouvelle génération de filles cool, à l’aise avec leur corps a bien compris tout l’enjeu pour les marques de lingerie de communiquer sur cet aspect bienveillant, même si dans la pratique les choses évoluent plutôt lentement. Dès lors, pas question pour elles de renoncer à leur confort pour se soumettre à des standards archaïques, dont elles savent qu’ils sont de toute façon, inatteignables. « Tout le monde semble totalement obnubilé par les représentations du corps qu’on nous donne à voir. Ils ont juste oublié que toutes ces images étaient retouchées, que ce n’était pas une représentation de la réalité. Tout ça fausse complètement le jugement », explique Solène, 25 ans, étudiante en design à Anvers.
Pour Pascal Monfort, directeur du cabinet de tendances REC, ces « nouveaux adultes en construction » vont faire basculer ce phénomène encore confidentiel vers quelque chose de plus répandu. « Cette génération, beaucoup plus ouverte et plus agile avec le marketing, a tout compris. Elles savent que la fille de la pub Aubade n’existe pas et à quoi elle ressemble une fois démaquillée ». À la recherche de transparence, elles délaissent les marques mainstream, pas forcément très habiles avec ces nouvelles revendications, pour des labels indépendants fondés sur les mêmes valeurs et engagements. « Quand les marques, et surtout celles qui s’adressent aux jeunes filles, communiquent de façon très décomplexée et surtout pas rabat-joie, ça fonctionne. Mais lorsque les propos sont revendicateurs, premier degré et vendus comme les seuls arguments, on peut considérer que c’est loupé ».
Pourtant catégorisées mass-market, certaines marques ont bien compris l’intérêt de toucher cette nouvelle cible, ultra-disruptive et qui s’assume. Particulièrement vigilante lorsqu’il s’agit de ne pas tomber dans la surenchère, Asos communique finalement très peu sur le body positivisme, alors même que le site ne photoshope plus ses modèles lingerie depuis déjà quelque temps. Une stratégie subtile qui n’est cependant pas passée inaperçue auprès des consommatrices, ravies de constater que la boutique en ligne en avait fini avec le standard unique de la taille 34. « Asos est cité en permanence pour le type d’égéries qu’ils utilisent et le message décomplexé lié aux rondeurs, toujours ponctué d’une touche d’humour, qu’ils envoient », ajoute Pascal Monfort. Et elle n’est plus la seule. De la même manière, Weekday, l’une des petites dernières du groupe H&M, a lancé cet été une campagne intitulée « My Body My Image ». « Nous voulons engager la femme à prendre le contrôle et à réfléchir sur la façon dont le corps féminin est représenté dans les médias » explique Nadine Schmidt, Head of Marketing de la marque. Photos à l’esthétique très Instagram, silhouettes variées et carnations différentes, on se plaît à s’identifier à ces filles, dont le potentiel sexyness n’est pas directement corrélé à leur tour de cuisse.
De bonnes intentions qui ne sont évidemment pas anodines, à l’image du féminisme, devenu le prétexte idéal pour booster les ventes de t-shirts blancs floqués de punchline édulcorées. Le risque du body positivisme appliqué aux petites culottes serait d’être réduit au seul statut de tendance éphémère estampillée 2018 ?
3. De l’uniformité à la singularité, ces labels qui célèbrent le corps
Sous la dentelle bleu layette, les fesses sont striées de marques blanches. La taille, elle, est soulignée par l’élastique d’une culotte taille haute. Quant au soutien-gorge, sa transparence laisse volontairement entrevoir les tétons. A mille lieux du célèbre « Regardez-moi dans les yeux… J’ai dit dans les yeux » que lançait Eva Herzigova à l’aube des 90’s dans cette publicité Wonderbra qui émoustilla par mal d’esprits masculins, le label néo-zélandais Lonely a laissé tomber les push-ups contraignants et le brushing artificiel depuis longtemps. Sa marque de fabrique ? Un univers cohérent qui zappe le marketing conventionnel et des modèles dédiés au confort capables de nous renvoyer une image positive de nous-mêmes. Avec ses hashtags #LonelyLingerie et #LonelyGirlsProject, la griffe fédère une communauté de filles qui ont refusé de choisir entre la maman et la prostituée, conscientes de la nécessité de s’extraire de la tyrannie du plaire à tout prix.
View this post on Instagram3 is the magic number ♡ Ayesha, Riya & Naomi in Lulu, Lulu & Dahlia.
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Même constat pour La Fille d’O, marque de lingerie belge créée en 2003 par Murielle Scherre. Dans sa boutique aux lignes épurées, située à Gand, les photographies de ses copines accrochées sur les murs immaculés, surplombent ses créations. Couleurs nude, tulle noir et sangles côtoient des formes aux découpes parfois inattendues, mais toujours respectueuses de la singularité de chaque courbe. « Beaucoup de marques de sous-vêtements vendent un même type de produit censé convenir à toutes, comme si nous étions identiques. Tandis que moi, j’essaie de rendre chaque femme unique en montrant tout ce qui nous singularise, tout ce qu’on avait tendance à cacher ». Soutiens-gorge qui s’adaptent à chaque tour de dos, culottes doublées de coton pour plus de confort ou épaulières élargies pour apporter un soutien supplémentaire, chaque pièce a été pensée pour célébrer les corps de ses clientes : « Il y a beaucoup d’amour dans le regard que je porte sur les femmes. Je vois encore trop de filles qui, une fois en cabine, sont mal à l’aise et complexées. Aimer son corps est un droit offert à chacune, ça ne devrait plus être considéré comme une tendance ».
4. Le pouvoir sous-estimé de la culotte fendue
Longtemps assimilée à un fantasme exclusivement masculin, la lingerie dite « érotique » évolue. Conçue par des femmes pour les femmes, elle révèle tout son potentiel self-confidence et s’inscrit de fait dans une perspective body positive. « J’en ai définitivement fini avec la lingerie qui blesse, mais tellement belle que je l’achetais quand même en pensant que l’effet sur l’homme de ma vie serait garanti, pour que le moment venu, je me retrouve zébrée de marques rouges ! S’il m’aime, il me prend comme je suis. Ce qui ne m’empêche pas d’essayer d’être toujours jolie, mais avec de la cellulite et quelques vergetures parce qu’il n’est pas parfait non plus et que j’accepte sa surcharge pondérale ! (Rires) » précise Anne-Lise, 52 ans. D’autant plus que, loin de l’imaginaire collectif hérité de la culture porno, au sein duquel le string serait l’ultime accessoire capable d’émoustiller n’importe quel homme, ces derniers préféreraient finalement l’éternelle culotte Petit Bateau. Colin, artiste de 45 ans de Gand préfère un pyjama Mickey qu’un tanga en dentelle, mais confesse-« on ne doit pas être très nombreux dans ce game (rires) ». Pourtant, même constat du côté Nicolas, 25 ans, étudiant en journalisme à Bruxelles : « Je n’ai pas vraiment de préférence, mais j’avoue qu’une bonne vieille culotte reste quand même sexy. Quant au soutien-gorge, il arrive que ma copine soit parfois gênée. Donc peut-être qu’effectivement les beaux soutifs ne sont pas ultra confort. Mais je n’y connais pas grand-chose, j’ai déjà du mal à les enlever (rires) ».
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La lingerie ne serait donc qu’une affaire de femme ? Accents bandage, culotte largement échancrée sur le pubis et autres soutiens gorges laissant apparaître les seins, avec sa collection Take Nothing/Leave Nothing Behind, La Fille d’O fait rimer acceptation de soi avec réappropriation de sa sexualité. « Je vois parfois des femmes qui optent pour des choses pratiques, qu’elles vont porter tous les jours simplement parce qu’elles pensent que le reste n’est pas fait pour elles. Mais déjà, je sens leur regard se porter sur une pièce plus sexy et la fois suivante, elles vont demander à l’essayer. À ce moment-là, quelque chose s’est mis en place dans leur esprit, comme si elles se disaient « finalement, peut-être que ça fait partie de mon identité ou de ce que je veux », constate la créatrice. Davantage un leitmotiv à appliquer au quotidien qu’un simple hashtag soulignant une photo dans l’espoir de glaner quelques likes, et si le pouvoir d’empowerment que représente une simple culotte fendue ou un string un peu audacieux était trop souvent sous-estimé ? Le simple fait d’oser la nouveauté et de sortir de sa zone de confort apparaît pourtant déjà comme une façon de se réapproprier son image. « Souvent nous avons mille possibilités qui s’offrent à nous et nous choisissions de nous limiter à ce que nous connaissons parce que nous pensons que le problème se situe au niveau de notre corps », explique-t-elle, « mais finalement, c’est la lingerie qui n’est pas adaptée à nos fesses. Lorsque l’on trouve ce qui nous convient, c’est un nouveau monde qui s’offre à nous. J’adore voir la façon dont les clientes évoluent parmi toutes les possibilités qui s’offrent à elles ».
Parce qu’il arrive que nos seins tombent et que l’élastique de notre culotte dévoile un bourrelet, il était temps que les marques comprennent que le corps féminin n’est pas fait de plastique et s’adaptent enfin à cette réalité, pourtant plutôt évidente. À la fois sur le plan commercial en proposant une offre réellement diversifiée de sous-vêtements qui ne nous fasse pas sentir instantanément trop grosse ou pas assez, qui ne nous comprime pas ou ne nous blesse pas à chaque essayage. Mais aussi sur la représentation proposée des femmes, grâce à des campagnes non retouchées, réalistes, dans lesquelles il est désormais possible de se reconnaître. Parce qu’aimer le reflet que nous renvoie le miroir d’une cabine d’essayage peut encore être compliqué, la lingerie body positive, engagée ou juste marketée, a au moins le mérite de nous aider à déculpabiliser et, enfin, nous aimer.
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