On a rencontré Clara Luciani. La révélation française de l’année, catégorie pop-rock élégante et racée. Elle vient au Brussels Summer Festival et aux Solidarités, ici, en août. Allez la voir.

“Sainte-Victoire”, son premier album sorti au printemps, tourne en boucle sur nos platines. C’est qu’il se dégage de ce disque une émotion à fleur de peau qui nous rappelle combien l’amour, le premier, peut rendre fou et faire le plus grand bien comme le mal : un vrai bouleversement. De ce vertige Clara n’a gardé que l’essence, qui sonne tel l’élixir quand notre soi vacille. C’est un disque de rupture, et donc de guérison. On peut aussi l’écouter sans penser à tout ça, parce qu’il est juste très bon. Et on lui souhaite tout l’amour du monde.

Ça va l’amour ? 

Ça va ! (rires) 

Tu t’es remise de tes chagrins ? 

Oui. Complètement. Je prends la chose avec beaucoup plus de légèreté désormais, et c’est beaucoup mieux comme ça !

Parce que c’était ça la base de l’album, non ? 

L’EP en tout cas (“Monstre d’amour”, un 4 titres sorti en avril 2017, ndlr)… L’album un petit peu moins déjà. Il y a forcément quelques traces mais c’est plus “Je m’en remets”… Alors que l’EP c’était vraiment “Ah la la je suis en train de mourir !” (rires) L’album c’est la guérison quoi.

Ton ex tu crois qu’il est fier d’être en fin de compte à l’origine de ce disque ? 

Ben je serais hyper curieuse de savoir comment il vit ça, mais en fait à chaque fois que j’essaie de lui parler il répond pas ! En gros je lui ai envoyé l’album, et dans l’EP je l’avais mis dans les remerciements : “Merci à celui qui a eu la bonne idée de me briser le coeur”… D’ailleurs ça me fait trop rire parce qu’il y a eu une campagne d’affichage dans le métro parisien, du coup je suppose qu’il a vu ma gueule chaque matin en allant travailler ! (rires) Mais je n’ai pas eu de nouvelles, donc je sais pas… En tout cas ça me fait rire maintenant ! Ça lui apprendra, quoi.

Du coup c’est pas un peu bizarre de défendre un album qui parle d’une rupture qui est consommée ? 

Oui mais les chagrins d’amour et les déceptions amoureuses j’en aurai tellement dans ma vie qu’en fait ce sera jamais démodé comme sujet ! Je passe mon temps à tomber amoureuse et à être déçue… C’est la vie quoi ! J’ai 25 ans… Ce sera toujours d’actualité. Peut-être pas avec cette violence-là, mais je sais que c’est un événement qui va se reproduire dans tous les cas.

Ou pas ! Tu pourrais trouver l’amour, le vrai. Pour toujours. 

Ouais pas sûr ! (rires) J’y crois pas trop…

Ce n’est pas possible selon toi ? 

C’est extrêmement rare, tu en conviendras. Mais là depuis cette histoire, je mets la musique au centre de ma vie. Et ça change tout en fait. Finalement je suis capable d’en rire parce qu’aujourd’hui je ne cherche plus quelqu’un pour être “complète” : j’ai la musique pour ça. Le seul truc que j’ai envie de réussir désormais, c’est ma carrière musicale. Faire de la musique que j’aime, avec les gens que j’aime. Ça a pris toute la place.

C’est quelque chose que t’as toujours voulu faire ? 

Oui, je crois. Il y a eu un moment où j’osais pas trop me l’admettre, parce que c’est un peu dangereux comme parcours… Même pour les parents : c’est toujours plus rassurant d’étudier et de passer des diplômes que de leur dire “Je m’en vais à Paris jouer de la guitare !”. C’est un peu compliqué… Mais sans me l’avouer oui c’est toujours ce que j’ai voulu faire… Je voulais être écrivain aussi à un moment donné, mais j’ai vite compris que j’avais pas la persévérance, ni le talent pour ça ! Là c’est cool parce que ça me permet quand même d’écrire, mais sans le schéma du livre, qui est plus contraignant.

J’ai lu que tu aimais Annie Ernaux (sans aucun doute l’un.e des écrivains les plus important.e.s de la littérature française contemporaine, ndlr). 

Oui, c’est l’un.e de mes écrivains préféré.e.s.

Ce sens de l’écriture, cette “écriture de soi”, cette réflexion sur la mémoire, sur l’Histoire et l’histoire, c’est quelque chose qui te parle ? 

J’aime les mots justes. J’écris en même temps que je compose la musique. Même dans la vie de tous les jours, les mots ont beaucoup d’importance… Et dans le cas d’Annie Ernaux, c’est plus une question de propos que de style. Je pense à “La Femme gelée” ou à “Mémoire de fille”, dont le propos s’avère très féminin. Ça m’a sans doute influencé dans les sujets que j’aborde dans l’album. J’ai toujours eu une espèce de famille de femmes écrivains que j’adore : George Sand, Colette, Virginia Woolf,… Des femmes comme ça.

Et en musique ? 

PJ Harvey. Patti Smith. Nico. Françoise Hardy.

Ah oui Nico ça se tient ! T’as aussi une voix très grave. 

Oui bien sûr. Moi j’aime bien les voix droites. J’aime pas les vibes, les fioritures : je trouve que ça vieillit mal. Que c’est pas super intéressant… Et du coup chez ces femmes-là il y a quelque chose de très droit, de très direct dans la voix. Moi ce que j’ai toujours voulu faire, ce sont des chansons directes – que ce soit dans les paroles, dans la musique ou dans la voix. Je veux que ce soit des flèches, quoi !

Tu évoques la féminité, notamment dans “Drôle d’époque”, dont les paroles sont très fortes. L’album a forcément été écrit avant #metoo… 

Oui, complètement. Et d’ailleurs j’ai peur de l’effet presque tendance du truc. J’ai peur qu’à force de mettre le truc en avant on perde un peu le poids des mots, du combat – qu’on désacralise le truc et qu’au final ça devienne juste un hashtag… Alors que c’est un combat immense et qu’il y a encore tellement de choses à faire ! Mais c’est très bien que ce soit au coeur de l’actu.

Tu ne te sens pas en phase avec notre époque ? 

C’est pas une question de phase, en fait. C’est plutôt une chose dans laquelle je réalise l’impossibilité d’être tout ce qu’on attend que je sois. Je trouve qu’on attend des femmes beaucoup de choses contradictoires. Il y a une phrase qui résume bien tout ça dans la chanson, c’est “Tantôt mère nourricière / Tantôt putain vulgaire”, et j’ai l’impression que c’est ça : on demande en permanence à la femme d’être une chose et son contraire, et à la fois si possible de ne jamais vieillir… Toutes ces choses qui sont complètement irréalisables et qui pèsent beaucoup sur les épaules des femmes. Moi je trouve qu’il y a une vraie pression sociétale sur les femmes et cette chanson ça veut dire : “Foutez-moi la paix laissez-moi être ce que je suis c’est déjà beaucoup et je fais ce que je peux et c’est déjà très bien”.

Revenons à ta carrière. C’est La Femme qui t’a mis le pied à l’étrier ? 

Carrément. Le premier concert que je fais de toute ma vie, c’est avec eux. À Londres. J’ai 19 ans. Et c’est un déclic incroyable. Je les avais rencontrés à Cannes, au festival Pantiero (en 2011, ndlr)… J’ai beaucoup changé depuis ! Même au niveau des cordes vocales : je reconnais même pas ma voix (nous non plus : écoutez donc “La Femme” et “It’s Time To Wake Up” (ci-dessus), les deux singles du premier album de La Femme sur lesquels elle chante, ndlr). Sans mauvais jeu de mots, j’ai trouvé ma voix il n’y a pas si longtemps que ça ! J’ai mis du temps à savoir comment l’utiliser, comment j’avais envie de chanter, ce que j’avais envie de dire,… Toutes ces collaborations-là (elle a aussi chanté chez/avec Raphaël, Benjamin Biolay, Nouvelle Vague, Calogero, Nekfeu,…), c’était un vrai parcours initiatique en fait !

Y a-t-il des antécédents musicaux dans la famille Luciani ? 

Mon père joue pas mal de guitare… Y a toujours eu des instruments à la maison, j’ai toujours un peu joué. À 11 ans je vends tous mes jouets dans un vide-grenier et j’achète ma première guitare électrique ! Et je commence à faire des chansons…

Tes parents sont contents que ta persévérance porte enfin ses fruits ? 

Ouais ! Ils achètent tous les magazines, ils écoutent les émissions radio où je suis invitée,… Ils sont contents qu’il y ait un aboutissement. Du concret. Je viens d’un milieu très simple, et du coup ils se sont faits beaucoup de soucis. Ils ont eu peur que je ne réussisse pas à en faire mon métier et que je me retrouve sur le carreau. c’est une vraie prise de risques de faire de la musique. Quand tu n’as pas derrière toi une famille qui peut t’aider financièrement, c’est hyper périlleux… Ca a été très stressant pour moi pendant des années. J’ai fait plein de petits boulots à Paris… C’est assez récent le fait que j’arrive à en vivre. Donc oui ils sont assez rassurés de ce côté-là !

Les chansons d’amour c’est important selon toi ? Nécessaire ? 

Oui c’est hyper important. Je reçois plein de messages de gens qui me disent : “Je suis en pleine rupture et j’écoute ton album et ça me fait trop du bien”. Et ça c’est ma plus grande victoire. De me dire que non seulement moi ça m’a guéri, mais qu’en plus ça peut aider d’autres personnes. En fait quand on vit un chagrin d’amour on a l’impression qu’on est la première personne à qui ça arrive, pour ensuite réaliser à quel point c’est universel et à quel point on a tous traversé des tristesses comme ça qui sont hyper intenses. Moi je suis hyper heureuse de pouvoir aider certaines personnes avec un album dont le message est positif : tu vois quand je chante “On ne meurt pas d’amour” (l’une des chansons de l’album, ndlr), hé bien c’est un truc que j’aurais aimé qu’on me dise en fait. Parce que j’ai vraiment cru que j’allais mourir ! C’est pour ça que je le répète 1000x dans la chanson. Comme un mantra. Pour se rappeler qu’en fait ça va aller. Même si on a l’impression que c’est insurmontable.

C’est quand même un sentiment lié à la jeunesse… On peut penser ça quand on a 20-25 ans, mais pas après. 

Oui c’est sûr. Je suis d’accord. Là mainant j’écrirais plus le même EP. J’écrirais davantage ça (l’album donc, ndlr). Parce que j’ai plus la même façon d’aimer. Tout simplement. Je pense que le premier amour c’est comme une comète : ça arrive une fois dans une vie. Et c’est gigantesque. J’ai l’impression que soit on cherche toute notre vie à revivre ça, soit c’est l’inverse. Ça devient une référence cette relation, en fait. Je crois. C’est encore un peu frais pour en parler !

La “Sainte-Victoire” (le titre de l’album, ndlr), c’est cette victoire-là ? 

Oui. Et c’est aussi la victoire de sortir un album. Parce que c’était pas gagné. J’ai vraiment fait des milliards de jobs à la con avant ça. J’ai galéré, quoi… Et y a des jours où j’ai vraiment eu envie de baisser les bras… Je suis pas fière de beaucoup de choses dans ma vie, mais je suis hyper fière de ne pas avoir abandonné et je suis hyper fière que cet album existe.

Un disque : “Sainte-Victoire” (Initial/Universal)

En concert au BSF à Bruxelles le 15 août, aux Solidarités à Namur le 26 août, au Reflektor à Liège le 14 novembre (complet), à la Maison de la Culture de Tournai le 14 novembre et au Botanique à Bruxelles le 12 décembre