Suite à une agression physique et raciste, l’influenceuse belge a lancé le mouvement Fifty Shades Of Racism. Un projet important qu’on soutient à 100%. Le but ? Libérer la parole, dénoncer toutes les nuances de racisme dans notre société et conscientiser. On l’a rencontrée, elle s’est confiée.
Peux-tu rappeler les faits ? « J’ai été invitée à un événement professionnel, c’était une soirée Ciroc au Calypso à Knokke, une boîte de nuit dont une partie des patrons organisent aussi le festival We Can Dance. Un ami a cassé une tasse, je me suis donc accroupie pour la ramasser et un des patrons est arrivé derrière moi en me hurlant dessus en néerlandais. Un peu plus tard, j’ai senti une femme qui me tirait violemment par le bras en me criant de partir. Elle n’a rien voulu entendre et la sécurité m’a jetée dehors. A ce moment-là, je me retrouve face à un homme qui me crie ‘Go away to Africa’ (retourne en Afrique). Je cherche du soutien autour de moi, je me dis que quelqu’un va sûrement réagir mais ce n’est pas le cas. A la place, je reçois des regards de haine. Je décide alors de prendre mon téléphone et de filmer pour avoir des preuves. On voit la patronne de l’établissement se jeter sur moi pour m’arracher mon smartphone, le patron me tape sur la main et on entend à nouveau ‘Go away to Africa’ ».
Et après ? « La première chose que j’entends, de la part d’un homme noir, c’est ‘ça ne sert à rien de parler ou de porter plainte, on n’obtient jamais justice en cas de racisme’. Le policier qui est venu sur les lieux m’a également dit que le commissariat était débordé et que je ne devrais pas aller porter plainte… J’ai tout de même décidé de le faire, et d’aller montrer mes blessures à l’hôpital, ce sont des preuves pour mon dossier. Des agressions racistes, j’en ai vécu toute ma vie mais là, c’était la fois de trop. Pendant tout l’été, j’ai donc collecté trente témoignages en vidéo de personnes portant le voile, de personnes asiatiques, afro-descendantes, belgo-belges… qui veulent prendre la parole contre le racisme. J’en posterai un tous les deux jours sur le compte Instagram Fifty Shades Of Racism. Le seul moyen de faire reculer le racisme, c’est de s’unir ensemble. Ca ne peut pas être un mouvement de victimes sinon on n’ira nulle part. »
Quel est le but du mouvement Fifty Shades Of Racism ? « L’objectif, c’est de libérer la parole des victimes d’agressions racistes et de conscientiser la population. Les agressions racistes sont parfois minimisées. Il y a plein de gens qui s’opposent au racisme mais qui en discutent en privé. Le problème, c’est que les racistes, eux, sont très organisés, ils se font entendre avec force. Il est temps d’unir nos voix pour protéger notre belle société. Je ne suis qu’une personne parmi tant d’autres. Si toutes les personnes qui ont déjà vécu une agression raciste utilisaient le hashtag #FiftyShadesOfRacism, on se rendrait compte de l’ampleur du problème. »
Comment peux-tu expliquer que personne ne soit intervenu lors de ton agression? « Ca été violent et très rapide. Lorsque j’ai été trainée dehors, j’ai cherché du soutien dans le regard de l’homme qui m’avait tirée par le bras et son regard de haine extrême m’a marquée. Mais par la suite, j’ai reçu beaucoup de soutien, des personnes que je ne connaissais pas m’ont proposé de témoigner. Mes agresseurs essaient de m’intimider pour que je reste dans le silence mais j’ai des preuves. »
Le Calypso a-t-il réagi depuis? « Ils ont envoyé un démenti, il a été publié dans le Flair. Ils expliquent qu’aucun membre du Calypso n’est impliqué dans cette agression raciste. Je vous invite à comparer une photo de la patronne du Calypso sur Google et la femme présente dans ma vidéo, on voit bien que c’est la même personne. »
Penses-tu qu’il y aura des répercussions sur le Calypso, un boycott ? « Ce qui m’a beaucoup choquée dans cet événement, c’est que j’étais invitée par Cîroc, la marque de Puff Daddy. La Calypso prend l’argent d’une personnalité publique noire mais traite les individus noirs différemment. Il faut conscientiser les gens. On ne peut pas dire ‘j’adore Beyonce’ ou ‘j’adore Kendrick Lamar’ et à côté de ça, chanter des chants nazis. S’il y a des répercussions, ce ne sera pas à cause de mon témoignage mais à cause de leurs actes. Je pense aussi que les organisateurs de We Can Dance devraient s’exprimer, si les gens ne sont pas d’accord avec ce qu’il s’est passé, il faut se manifester.» (NDLR: suite à l’agression dont Gaëlle a été victime, le MRAX a décidé d’appeler au boycott).
Comment abordes-tu le sujet du racisme avec tes enfants ? « Ca a été très difficile de ne pas communiquer à mes enfants mon désarroi et ma détresse après l’agression. Je pleurais beaucoup, ils n’ont pas arrêté de me demander ce qu’il se passait et je me suis dit qu’il ne fallait pas mentir. J’ai essayé de leur expliquer les choses simplement. Ma fille de cinq ans, qui est très claire de peau, a déjà eu des réflexions racistes. Ca venait d’un enfant de quatre ans seulement. C’est très difficile de leur expliquer comment réagir. Le seul enfant noir de leur école est d’ailleurs parti à cause du racisme, suite à la Saint-Nicolas. Moi aussi, petite, j’ai beaucoup souffert du Zwarte Piet et du fait que mes copines avaient peur de ma mère parce qu’elle était noire. Il est temps que ça change. »
As-tu l’impression que la parole se libère petit à petit dans notre société ? « Les réseaux sociaux apportent de la visibilité. On peut les utiliser pour défendre des causes, et non uniquement pour promouvoir des vêtements ou du make-up. Grâce à eux, on se rend compte du nombre de personnes qui disent ‘stop’, les voix positives s’accumulent et cela apporte de la force au propos. Mais ce n’est pas toujours évident de parler, je prends un risque en m’exprimant sur des problèmes de fond, en sortant de mon image de fille qui sourit constamment. C’est parfois compliqué de tout mélanger mais je pense que les marques qui voudront continuer à collaborer avec moi sont des marques qui ont envie de transmettre un message positif, contre le racisme. »
Pourquoi avoir choisi des témoignages en vidéo ? « Je trouvais que c’était important de voir les personnes qui s’expriment, de croiser leur regard, pour se mettre à leur place. C’est en allant à la rencontre de l’autre qu’on déconstruit les préjugés. Ce n’est pas évident parce que le témoignage n’est pas anonyme, il faut dépasser ses peurs et oser aborder des choses très personnelles face caméra. Parmi les trente témoignages que j’ai recueillis, je n’en ai déjà plus que vingt-neuf. Un jeune s’est rétracté, il a partagé avec nous un fait qui s’est déroulé dans le cadre de son travail et ses employeurs lui ont dit de faire attention. »
On a parfois l’impression que les personnes métisses sont épargnées par le racisme, qu’en penses-tu ? « C’est très important de ne pas faire de hiérarchisation. Toute ma vie, j’ai été confrontée au racisme. Lorsqu’on refusait un logement à ma mère noire, c’est aussi à moi qu’on le refusait. Je suis très fière de mes origines, le bagage de ma maman est également le mien. Il y a des métisses qui ont vécu des expériences pires que les miennes, et des personnes de couleur noire qui ont eu de la ‘chance’. Le but du mouvement Fifty Shades Of Racism, c’est de donner la parole à toutes les personnes. »
>> Si vous avez été victime d’une agression raciste, que vous avez envie de partager votre histoire ou simplement d’apporter votre soutien, envoyez votre témoignage à fiftyshadesofracism@gmail.com ou au compte Instagram Fifty Shades Of Racism. Plus d’infos sur le blog de Gaëlle Van Rosen.