Généreuse, respectée, vénérée, la créatrice la plus earth friendly de la planète est aussi un puits de connaissances éthiques et stylistiques. Moment partagé.
Son défilé Automne-Hiver terminé, Stella McCartney se rend au grand dîner des créateurs, organisé le 5 mars dernier à l’Élysée par le couple présidentiel français, Brigitte et Emmanuel Macron. C’est là que nous la rencontrons.
« Une soirée étonnamment merveilleuse ! », confie Stella. « Je n’ai pas pour habitude de rencontrer mes homologues. Au début, le ton était plutôt sérieux. Mais je crois avoir réussi à pimenter l’ambiance. En fin de soirée, je buvais de la tequila avec Monsieur Macron. »
Bonne vivante, amie généreuse et créatrice respectée, Stella McCartney est à l’aube d’une nouvelle aventure. En effet, la Britannique vient d’acquérir les 50 % de parts du groupe Kering pour devenir l’unique propriétaire de sa marque éponyme. « Les graines plantées au sein du groupe Kering ont germé sur le plan environnemental, explique-t-elle. Ils ont redoublé d’efforts et se sont montrés plus ouverts en la matière. » Écologiste dans l’âme, l’engagement de Stella McCartney est intimement lié à son héritage familial. La détermination qu’elle déploie à révolutionner le monde de la mode n’est que la partie visible de l’iceberg.
Vous avez fait défiler hommes et femmes ensemble lors de votre dernier show à Paris. C’est une première. Dans quelle atmosphère cette rencontre inattendue s’est-elle déroulée ?
Le mélange étonnamment facile des deux genres sur le podium a marqué un aboutissement à la fois pour mon équipe et pour moi-même. Nous avons lancé notre ligne homme il y a deux saisons. Cette fois, les deux collections se sont complétées en toute harmonie. Le moment était opportun et l’expérience tout aussi naturelle. Lors des essayages, les hommes souhaitaient passer les tenues des femmes, et vice versa. On entendait des
« Je veux cette veste » ou « Donne-moi cette chemise ». Nous prônons un mélange de masculinité et de féminité. Mon héritage rime avec personnalisation. J’ai lancé cette marque avec la veste boyfriend. L’heure est venue de l’adapter à l’homme. Et si vous voulez une confidence, je m’achète souvent des costumes pour homme !
Votre mère était l’une des premières femmes à porter des costumes pour homme, à se rendre dans Savile Row, célèbre rue au cœur de Londres, chez Tommy Nutter... Cette approche a-t-elle modelé votre vision de la féminité ?
Oui, énormément ! Les dressings rocambolesques de mes parents m’ont beaucoup influencée. Ils constituent la base de tout ce que j’entreprends. Je me souviens des vêtements originaux de mon père sur scène. Lorsque je les ai retrouvés, j’ai cru qu’il s’agissait de ceux de ma mère. Sur les clichés des seventies, les tenues de mon père étaient à la fois douces et féminines. Je tenais absolument à récréer ce style et permettre aux hommes de s’exprimer. C’est ma manière de réunir les deux camps sans devoir choisir l’un
ou l’autre.
Depuis le lancement de votre marque, vous vous placez en première ligne des considérations éthiques. Pensez-vous que le monde de la mode se rallie à votre cause ?
Les résistances s’estompent. Autrefois, mes convictions étaient non conventionnelles et souvent tournées en dérision. Mais j’y suis toujours restée fidèle. Je refuse de faire des compromis en la matière. La jeunesse d’aujourd’hui exige une transparence totale et un certain niveau d’engagement. Je pense incarner cette vision dans l’univers de la mode. Soucieuse des animaux et de l’environnement, je suis probablement la seule personne à valoriser cette prise de conscience depuis le début. Mais cette approche est en train de devenir moins insolite. Les maisons de mode se réveillent. Elles se demandent si elles ne pourraient pas concevoir et créer “ mieux ”, tout en se montrant plus responsables et transparentes. C’est une bonne chose, bien entendu. »
Une révolution qui prend du temps... Pourquoi ?
J’y ai consacré toute ma vie ! Malheureuse-ment, il ne nous reste que peu de temps. Mais j’ai espoir que nous allons dans la bonne direction. Tout ce que je peux faire, c’est continuer sur cette voie avec mes clients. Je ne fais qu’adopter un comportement qui me permet de dormir la nuit. Je ne veux pas avoir quelque chose à me reprocher. L’industrie évolue lentement, car ses acteurs gagnent beaucoup d’argent avec des articles et des accessoires en cuir véritable. Leur business repose sur la mort d’animaux. C’est de cette manière qu’ils font leur beurre depuis de très, très nombreuses années. Les dirigeants d’entreprises doivent générer des bénéfices. Ces sociétés sont des machines. Elles ne remettent pas ce système en question. La nouvelle génération, je l’espère, sera plus exigeante à tous les niveaux. Je ressens cette évolution. Les clients les plus anciens viennent me voir pour me féliciter sur un modèle de chaussures par exemple, ce qui est super. Mais les plus jeunes me remercient du fond du cœur pour le combat que je mène dans l’industrie de la mode. Ils évoquent ma vision de la durabilité et du bien-être animal, mais aussi mon approche responsable de l’entreprise. Cela me donne bon espoir pour l’avenir !
Le défi technique de ne pas utiliser de cuir, de fourrure, de peau ni de plumes est-il toujours aussi exaltant ?
J’adore collaborer avec des architectes ou des techniciens de San Francisco et partir à la découverte des technologies de demain. C’est fascinant ! Je respecte profondément l’héritage inestimable de l’industrie de la mode, mais celle-ci utilise à peine une dizaine de matières et dilapide ainsi les ressources. Elle se complaît dans l’oisiveté. Nous devons repenser l’intégralité de nos processus en termes de consommation d’eau, d’énergie et de plastique. Il n’est pas nécessaire d’utiliser autant d’eau ni de tuer autant d’animaux. Nous devons prendre soin de notre planète. C’est dans cette optique que nous avons présenté hier une paire de sneakers révolutionnaires. Il s’agit d’un véritable joyau d’innovation dont le développement a duré près de deux ans. Nous n’avons utilisé aucune colle, ni animale ni chimique. Une approche réellement novatrice et originale !
Que ressentez-vous lorsque vous entendez que de nombreux créateurs décident de renoncer à la fourrure et ce, presque dix ans après vous ?
L’abattage des animaux est ridicule, barbare et totalement inutile ! J’ai créé un modèle commercial sain et développé ma marque sans avoir recours à de telles pratiques. Nos matières ressemblent à s’y méprendre à du suède ou du cuir. Le périple est long et pénible, mais il est réalisable. Il est possible de conjuguer éthique, créativité, passion et qualité, tout en adoptant un modèle commercial basé sur le bien-être animal. Je suis la seule personne au monde à ce niveau qui prouve que nous pouvons y arriver. Je suis profondément fière du combat que je mène avec mon équipe. J’ai bon espoir quand je vois d’autres acteurs s’engager sur cette voie. Mais la route est encore longue. L’industrie de la fourrure est aussi obscure que puissante.
Pensez-vous que la responsabilité collective puisse remplacer l’individualisme ?
Beaucoup de gens veulent des vêtements tendance dans les plus brefs délais. La fast fashion n’existe pas sans raison. Ce système n’est pourtant pas le bon. Ces personnes doivent se montrer bienveillantes envers ceux et celles qui fabriquent leurs vêtements. Les entreprises doivent améliorer leurs processus, certes, mais les clients doivent -également y mettre du leur.
Pouvons-nous faire une brève parenthèse pour parler de la méditation transcendantale ? Vous avez déclaré que la MT était le meilleur investissement de votre vie. Pourquoi ?
J’ai quatre enfants et je travaille à plein temps. Je suis entourée d’humains ou d’animaux toute la journée ! La pratique de la méditation transcendantale m’offre un moment unique de souffler et de me retrouver. Je l’ai découverte grâce à Bob Roth (voir l’ouvrage « Strength in Illness » de Bob Roth. Une partie des bénéfices est reversée à la lutte contre les violences faites aux femmes, NDLR). Elle m’a permis de surmonter une période particulièrement difficile, à la suite du décès de ma mère. Depuis lors, je vois la MT comme un outil que je peux emporter partout, comme un secret que je garde au fond de ma poche. En général, je la pratique le matin, pour vaincre mes appréhensions de début de journée. Bob l’a également enseignée à mes enfants. Par ailleurs, j’ai instauré un programme de méditation transcendantale pour mon équipe.
Vous soutenez depuis longtemps les initiatives qui visent à mettre fin aux violences faites aux femmes, à l’instar de la campagne du Ruban Blanc. Quel sentiment les témoignages de femmes à travers le monde de ces derniers mois vous ont-ils inspiré ?
Je suis terriblement triste et horrifiée par ce qui se passe dans le monde, d’une part en tant que femme et d’autre part en tant que mère de deux jeunes filles. Mais j’y vois aussi un élan d’espoir incroyable, une source d’inspiration et de motivation fédératrice, qui nous donne un sentiment de pouvoir et une liberté d’expression. Et ce n’est qu’un début. Ce mouvement ne s’arrêtera pas là. Je suis convaincue que de nombreuses femmes n’ont pas encore pris la parole. De plus, j’estime que le sujet touche aussi les hommes : nous devons les impliquer et non les persécuter. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai fait défiler hommes et femmes sur le même podium cette saison.
Vous avez toujours voulu célébrer la force des femmes. Vous participez activement à la lutte contre le cancer du sein. Vous accompagnez les femmes dans toutes les phases de leur vie. Vous considérez-vous comme une féministe ?
Je ne fais pas partie de ceux et celles qui aiment appartenir à une catégorie, mais je suppose que je suis féministe. Et fière de l’être d’ailleurs. Cependant, je souhaite voir disparaître ce terme. Si je suis devenue -styliste, c’est pour découvrir qui sont les femmes, ce qu’elles ressentent et ce qui leur permet de se sentir mieux. Enfiler un vêtement s’inscrit comme un moment quotidien riche en émotions. Participer au mieux-être des femmes me procure un sentiment incroyablement noble.
Seriez-vous tentée par une carrière plus politique ?
L’industrie de la mode doit se montrer davantage responsable sur le plan humain et environnemental. Je n’ai pas fini de clamer haut et fort ce que je pense.