Draguer sans heurter, flirter sans importuner, séduire sans déranger. Après la libération de la parole sur le harcèlement, comment les hommes et les femmes vont-ils s’y prendre pour se charmer ?
Des millions de témoignages à travers le monde, des plaintes, des poursuites en justice, une parole qui se libère, des tabous qui se brisent et des consciences qui s’éveillent, c’est ça #metoo. Le choc fut brutal pour certains, inattendu pour d’autres et espéré par beaucoup. 12 mois après le début du mouvement, comment les hommes et les femmes se séduisent-ils ? Décryptage avec Laura Merla, professeure de sociologie à l’UCL à la tête de nombreuses recherches sur le genre et la masculinité.
Décryptage
Un an après le mouvement #metoo, quel bilan pouvons-nous tirer ?
Un an, c’est extrêmement court pour évaluer les conséquences d’un événement d’un point de vue sociologique. Mais on peut distinguer plusieurs phases dans ce phénomène. En premier, on a surtout pu remarquer un étonnement et une prise de conscience qui se sont traduits sur les réseaux sociaux et dans les médias. Il y a toute une série d’hommes qui ne se rendaient pas compte que les femmes se faisaient harceler parfois quotidiennement dans la rue ou au boulot. Certains hommes se sont donc aussi interrogés sur leurs propres comportements par rapport aux femmes de leur entourage. Ensuite, il y a une seconde phase de « backlash »* (réaction conservatrice à un changement social et politique progressiste) avec un mouvement anti-#metoo dans lequel des femmes et des hommes défendaient « le droit d’importuner ». Ils s’opposaient à un certain puritanisme et disaient que l’on ne devait pas se lancer dans une chasse aux sorcières au risque de mettre fin aux jeux de séduction. Maintenant, nous sommes dans une zone de flou et de réflexion. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il y a une perte de repères du côté masculin.
Ça signifie que les hommes ne savent plus comment se comporter ?
Oui, en partie. On remarque qu’il y a une perte de modèles. La manière dont les rapports de genre ont évolué a été principalement impulsée par des femmes qui, au cours du 20e siècle, se sont érigées contre les inégalités auxquelles elles étaient confrontées. On a donc réinventé différentes manières d’être femme. En revanche, les hommes ont un peu suivi ce mouvement de remise en question de la masculinité, mais sans y prendre part. Ils n’ont donc pas vraiment de modèles alternatifs qui émergent et dont les jeunes pourraient s’emparer. On a beaucoup dénoncé les mauvais comportements, mais aujourd’hui, il faut en créer de nouveaux qui sortent des rapports de domination et cela doit se faire dans un dialogue entre hommes et femmes. Il serait mal venu que les femmes décident unilatéralement de la manière dont les hommes doivent agir et inversement.
La drague a-t-elle changé depuis #metoo ?
C’est compliqué. Il faut savoir que depuis leur tendre enfance, on apprend aux petites filles à être parfaites. On leur dit qu’elles ne doivent se lancer dans une aventure que si elles sont certaines de réussir. Les garçons, en revanche, on les éduque avec une culture de prise de risques. Ils doivent aller à la conquête des choses, ne pas se démonter quand ils essuient un refus, ils doivent continuer, rebondir, ne rien lâcher… Et s’ils ne parviennent pas à atteindre leur but, ils rejettent alors la faute sur un élément externe. Ces comportements se retrouvent ensuite dans la manière de séduire. On a toujours cet imaginaire du chasseur qui doit conquérir sa proie. On invoque aussi souvent des raisons biologiques en disant que les hommes répondent à des pulsions, mais c’est faux. Ces agissements sont fondamentalement culturels et sociaux. Si on éduque les hommes différemment et qu’on leur montre des modèles positifs, alors il n’y a pas de raison de ne pas voir de changement à l’avenir.
Les femmes doivent-elles changer ?
C’est très compliqué parce que les femmes apprennent également dès leur plus jeune âge que leur beauté se mesure à la quantité de compliments qu’elles reçoivent en se promenant dans la rue. Elles intériorisent le fait d’évaluer leur propre pouvoir de séduction au travers de pratiques qui s’apparentent à du harcèlement. Culturellement, on s’appuie donc sur des pratiques invasives qui nourrissent l’ego à petites doses, mais qui peuvent prendre un caractère répétitif gênant, voire handicapant. Si on n’a pas envie d’encourager le retour à certaines pratiques, il faut donc faire le deuil de certaines habitudes sans faire disparaître la drague.
La nouvelle génération est-elle plus sensibilisée à #metoo ?
Ce qui est ironique, c’est que ce sont les pratiques d’un homme d’une soixantaine d’années qui sont à l’origine de ce mouvement et qui, aujourd’hui, influencent principalement les plus jeunes car ils sont dans une période de leur vie où ils se questionnent justement sur la manière de séduire et sur les stratégies de drague à adopter. Les hommes d’âge mûr sont plus installés dans leur vie et dans leurs habitudes, ce qui rend le changement plus compliqué.
Quel sera l’avenir du mouvement #metoo ?
Si on s’éloigne de la Belgique et qu’on regarde au niveau occidental, on remarque que ce mouvement a mis sur le devant de la scène la question de l’égalité homme-femme à une époque où l’on remet de plus en plus en question les théories sur le genre ainsi qu’une série de droits pour lesquels les femmes se sont battues, comme le droit à l’avortement. On est donc dans un moment de crise où deux visions différentes des relations hommes-femmes s’affrontent et on ne sait pas encore laquelle va prendre le pas sur l’autre dans les années à venir. Ce qui est certain, c’est que notre génération a tendance à croire que nous sommes arrivés à un certain niveau d’égalité, mais on se rend compte que nos droits peuvent très vite être déconstruits.
Les mecs témoignent
Entre les craintes, le trop-plein et les examens de conscience, les mecs nous racontent comment ça drague aujourd’hui.
Thibaut, 47 ans
« #Metoo, je ne l’avais pas vu venir, mais je le comprends. Quand des hommes dépassent les limites, il ne faut pas les laisser faire. En revanche, je ne m’attendais pas à ce que les réactions des femmes soient si violentes. Je ne me rendais pas compte qu’une remarque pouvait parfois être perçue comme trop intrusive ou même agressive. Désormais, je fais très attention à la manière dont j’aborde une femme. Quand je ne la connais pas, j’essaie de récolter un maximum d’informations sur elle avant d’aller lui parler. J’ai vraiment changé la manière dont j’approche la gent féminine par rapport à il y a cinq ou dix ans. Je n’avais aucun mal à dire à une femme qu’elle avait une jolie robe, de beaux yeux, qu’elle était habillée sexy ou même lui faire une petite vanne. Aujourd’hui, je n’oserais plus. Je ne veux pas que les choses puissent être mal interprétées, surtout dans le cadre de mon travail. D’un autre côté, je pense qu’une partie des femmes se sont senties pousser des ailes depuis ces mouvements et réagissent trop radicalement. On sent qu’elles cherchent toujours le prince charmant qui va les flatter, mais à un moment donné, elles ont tout de même ce besoin de jouer au général de l’état-major et de rappeler qu’elles existent. C’est un peu dommage car je pense que ça tue les jeux de séduction. Un jour, j’ai offert un bouquet de fleurs à ma banquière juste parce que je la trouvais jolie et très sympathique. Il n’y avait rien de plus à y voir qu’un peu de flatterie, mais je ne le ferai plus. »
Tom, 32 ans
« Tous ces mouvements #metoo, #balancetonporc… ça me saoule un peu. Je ne dis pas que je tolère le harcèlement de rue. Les mecs qui agissent comme cela sont des crétins et c’est normal de les rembarrer. Mais est-ce qu’inonder les réseaux sociaux avec ces histoires est vraiment nécessaire ? J’ai l’impression que maintenant, on ne peut plus faire un pas sans être perçu comme un agresseur en soirée. Personnellement, je n’ai pas changé mon comportement pour autant. Quand une fille me plaît, je l’aborde et je lui fais savoir. J’ai même tendance à la taquiner un peu en disant : “Je t’offre un verre, mais ne me balance pas sur Facebook s’il te plaît !” Si ça ne la fait pas rire, c’est qu’elle est trop coincée ou extrémiste et j’abandonne directement. Je n’épargne pas non plus mes collègues féminines. Quand elles se plaignent un peu trop des mecs lourds qu’elles ont croisés en soirée la veille, je n’hésite pas à leur dire qu’elles râlent mais qu’elles ne font rien de leur côté. Qu’elles se mettent à draguer si elles ne sont pas contentes. »
Maxime, 25 ans
« Moi, je ne drague plus. Enfin, je ne draguais déjà pas beaucoup avant #metoo, mais maintenant c’est encore pire. Je sais que mon comportement n’est pas le problème parce que je pense avoir toujours été respectueux et qu’aucune femme ne s’est jamais plainte de moi. Mais désormais, j’ai plus de craintes par rapport à la manière dont les filles vont réagir. J’ai l’impression qu’elles vont plus facilement s’énerver, se braquer ou même m’envoyer balader. C’est comme si elles mettaient un point d’honneur à dégager toute personne qui ose poser ne serait-ce qu’un pied dans leur champ de vision. Par exemple, si je voyais une fille magnifique à la bibliothèque avant, j’aurais eu un peu la trouille, mais je serais allé lui parler, peut-être juste pour lui dire bonjour ou pour lui proposer de boire un verre une fois qu’elle aurait eu fini de bosser. Je n’oserais plus l’accoster maintenant de peur de la déranger et ce, même si je ne recroiserai peut-être plus jamais cette fille et que je passe à côté de la possibilité qu’elle me dise qu’elle aussi aimerait m’accompagner pour une pause café. »
Matteo, 22 ans
« Avant #metoo, il suffit d’être déjà allé en ville ou d’écouter sa mère, sa sœur, sa copine et même horriblement de faire sa propre introspection pour savoir que les mecs ne se comportent pas correctement avec les filles. Moi aussi j’ai eu cette attitude de requin que je ne supporte plus de voir en soirée aujourd’hui. Je suis déjà sorti dans l’unique but de “choper”. Je rentrais dans un bar en évaluant toutes les filles potentielles que je pouvais avoir. J’ai même déjà volé des baisers en pensant que c’était le bon moment et que la fille était sans doute aussi partante. Mais j’ai tenu un stand à Esperanzah pour conscientiser les gens sur le harcèlement et des histoires de gamines de 16 ans que les mecs embrassent furtivement et qui n’osent même pas les repousser pour ne pas les blesser, j’en ai entendu des dizaines ! Souvent, quand les gens pensent au harcèlement, ils pensent aux jeunes des quartiers qui lâchent des “mademoiselle”, mais #metoo a montré que cela touchait toutes les classes sociales. Quand on voit ce que vivent certaines, en tant que mecs, on devrait juste se dire qu’on ne voudrait jamais infliger ça à une fille.
Ma définition de la drague n’a jamais changé, mais désormais j’ai une attitude bienveillante et intelligible. Quand une fille me plaît, qu’on discute bien, je l’invite à fumer une clope ou à s’écarter un peu de la foule et je veille à ce qu’on soit tous les deux sur la même longueur d’onde. C’est plus verbal et direct et si ça ne la branche pas, tant pis, ce n’est pas grave. Il faut assumer le rejet et surtout ne pas planter cette fille pour en chercher une autre qui dira oui. Il y a beaucoup de mecs trop fragiles dans leur ego et qui ont l’impression qu’un refus va remettre en question toute leur “alphattitude”. Je ne veux plus de ce jeu de séduction là et je ne supporte plus de le voir non plus. Les gens qui soutiennent #metoo ne sont pas des célibataires coincés, mais des gens en couple, qui s’amusent, qui ont des plans culs, qui draguent… Ce n’est pas la fin de la drague, mais la fin du harcèlement et le début d’une séduction plus réciproque. Il y aura peut-être plus de mecs qui finiront la soirée bredouille chez eux, mais les filles, elles, ne rentreront sans doute pas seules plus souvent. Au contraire ! »
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