Témoignage: « J’ai avorté et j’ai décidé de ne pas m’en vouloir »

Mis à jour le 16 février 2018 par Elisabeth Clauss
Témoignage: « J’ai avorté et j’ai décidé de ne pas m’en vouloir »

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A 35 ans, Tatiana avait une opinion libérale sur l’IVG, mais ne se sentait pas vraiment concernée. Jusqu’à ce test positif.

Après dix ans de mariage, nous avons décidé avec Alex, mon amoureux d’unif, d’avoir un enfant. Daphné s’est annoncée tout de suite. J’étais folle de joie, et j’ai vécu la première partie de ma grossesse dans une parfaite insouciance. Je sentais alex s’éloigner, mais je mettais ça sur le compte du bouleversement qui se préparait. Je n’ai même pas pensé qu’il pourrait me quitter.

C’est pourtant ce qu’il a fait, juste après l’échographie des cinq mois. Il avait rencontré « la femme de sa vie ». Cette histoire a à peine duré six mois, mais en réalité, il m’a rendu service. Au fond du désespoir abyssal dans lequel j’ai plongé, Thibaut m’a repêchée. Je le croisais tous les mois dans la salle d’attente de ma gynécologue, parce qu’il accompagnait sa sœur Elodie qui s’était elle aussi fait larguer au milieu de sa grossesse. Il m’a très vite témoigné la même compassion qu’à Elodie, et je pense que dans son empressement à occuper la place laissée vacante par Alex, il réparait chez moi ce qu’il ne pouvait réparer chez sa sœur. Bref, nous sommes tous les trois devenus très amis, très vite. Thibaut m’invitait à dîner, m’écoutait parler pendant des nuits entières, et je me disais que c’était avec lui que j’aurais dû faire un enfant.

Déjà, il avait dix ans de plus que moi, et il représentait la stabilité même. Elodie a eu son petit garçon deux mois avant moi. Les débuts ont été très durs pour elle. Voyant combien sa sœur ramait toute seule, trois semaines avant mon terme, Thibaut m’a proposé de venir vivre chez lui. J’ai accepté.Nous avions chacun notre chambre,et il me quittait chaque soir avec un baiser sur le front.

Quand Daphné est née, son père a été mis au courant, mais il était en séminaire à Bruges, et c’estThibaut qui m’a tenu la main pendant que je poussais. Ils se sont finalement retrouvés tous les deux dans ma chambre d’hôpital, autour du berceau. Mon ex-mari avait l’air très gêné, dans ses petits souliers, tandis que mon nouvel ami souriait aux anges en berçant mon bébé.

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Trois mois plus tard, Thibaut et moi sommes devenus amants. Plus ou moins à la même période, Alex est quasiment sorti du circuit. Daphné a aujourd’hui treize ans, et il ne la voit plus que pendant les vacances scolaires, et encore.

Thibaut et moi avons tout de suite démarré une vraie, belle histoire d’amour. De celles avec des turbulences, mais qui gardent le cap. J’allaitais ma fille, et je n’avais pas encore eu mon retour de couches. Je ne me suis pas méfiée.

Un an plus tard, j’ai commencé à ressentir des nausées matinales. Cette fois-ci, ce n’était pas, mais alors pas du tout une bonne nouvelle. De son côté, Thibaut était déjà papa d’une ado qui vivait avec nous une semaine sur deux, il était sorti des langes, et soulagé de l’être. S’il m’aidait avec Daphné, il n’a jamais feint d’être son père. Je crois d’ailleurs que c’est la clef de notre entente: nous sommes restés des amants, jamais parents ensemble. Les bagarres autour de l’éducation, nous les menions chacun avec nos ex, en dehors du nid. J’ai toujours été très maternelle, la fille qui fond devant les poussettes, qui calme le nourrisson qui hurle pendant que sa mère sort faire un tour. J’avais souhaité un bébé, de toutes mes forces, et je l’avais eu. Mais je ne voulais pas en avoir un avec Thibaut. Et lui non plus.

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Je suis retournée chez ma gynécologue. Elle a cru à un heureux événement, elle m’a montré en souriant un petit haricot sur l’écran de l’échographe. Je sortais d’une expérience assez traumatisante d’abandon enceinte, je démarrais une nouvelle vie, un nouvel amour, ma fille était à peine sevrée, je ne me sentais ni l’envie ni l’énergie de revivre tout ça. En accord avec Thibaut, j’ai décidé de ne pas poursuivre cette grossesse. Ma gynéco m’a tout de suite rassurée: elle n’allait pas me laisser tomber.

Je n’ai aucune conviction religieuse, et je ne crois pas que les fœtus aient une conscience
au moins jusqu’au moment où ils sont viables. C’était déjà mon avis avant de me retrouver face au choix de garder ou non un « enfant possible ». J’ai toujours considéré qu’une femme devait pouvoir décider d’avorter en toute sécurité, si elle portait un être qui n’avait pas de place dans la famille, et qui ne représentait pas un espoir mais juste un poids et une douleur pour ses parents. Évidemment, c’est moins facile quand il s’agit de soi. J’ai pris rendez-vous une première fois pour l’intervention, un jour où Thibaut devait être à l’étranger. Mais sur la route, j’ai fait demi-tour.

Il s’agissait de notre histoire commune, il fallait qu’on affronte cela ensemble. Une semaine plus tard, il m’a accompagnée à la clinique.

Quand j’ai ouvert les yeux en salle de réveil, ma gynéco est allée chercher Thibaut, qui avait enfilé une blouse blanche et un stéthoscope pour pouvoir entrer discrètement dans une chambre normalement interdite au public. Il a réussi à me faire sourire, alors que j’étais encore dans les vapes, et mal à l’aise. Ils me tenaient chacun une main. Ce médecin nous a dit par la suite qu’elle n’avait jamais vu une IVG se dérouler avec autant de tendresse et de complicité.

Quand j’ai pu me lever, Thibaut m’a emmenée boire un verre. Je faisais une tête terrible, je me sentais extrêmement déprimée, sans réussir à vraiment me raccrocher à une sensation en particulier. J’étais encore prisonnière de la croyance transmise par ma mère que toute grossesse, qu’elle se poursuive ou non, était une catastrophe. Je me sentais tenue d’afficher une mine dramatique, parce que j’avais baigné toute ma vie dans le poids de la culpabilité de circonstance véhiculée par la télé, par les éducatrices à l’école, par des siècles de maternité obligatoire.

Thibaut a trouvé les mots justes : « Tatiana, tout va bien. Tu es en bonne santé, nous sommes soudés, on a le droit d’être heureux des enfants qu’on a eus, et de ceux qu’on n’a pas eus. » À ce moment- là, j’ai su que j’allais tourner la page en douceur, sans m’en vouloir. Thibaut ne ressentait aucun regret ; j’en ai eus, un peu, parce que j’adore les enfants. Mais je savais que me mettre à pouponner avec Thibaut aurait compromis notre relation, à coup sûr. Ce qui n’empêche pas qu’il est un excellent beau- père pour Daphné. Un jour, elle devait avoir 7 ans, elle a dit:« C’est mon deuxième papa, mais il vient en premier. »