C’est du jamais vu ! La Chambre des députés du Rwanda est l’assemblée la plus féminine du monde (64%). Le Pays des collines a-t-il inventé un nouveau régime martiarcal ?
Elles se sont réveillées, il y a tout juste vingt ans, dans un pays à feu et à sang.
Eté 1994. Le génocide des Tutsis vient de balayer le Rwanda, faisant 800 000 morts. Beaucoup d’hommes ont été tués, blessés ou arrêtés. Un tiers des ménages sont désormais dirigés par une femme ou par une fille. Les Rwandaises n’ont pas le choix. Il faut continuer à vivre. Reconstruire un pays. Réconcilier les ennemis. Réinventer une société démocratique. La tâche est immense. Vue d’Europe, elle semble impossible.
Deux décennies plus tard, même la Belgique, qui accueille la plus grande diaspora rwandaise du monde (plus de 30 000 individus), a du mal à imaginer que son ancienne colonie ne soit plus ce chaos de terre battue des années 90. Robert Masozera, ambassadeur du Rwanda à Bruxelles : « Les événements de 1994 ont tellement frappé les mémoires que beaucoup ont encore cette image du pays d’il y a vingt ans. Or le Rwanda s’est beaucoup développé. »
De fait. Le pays fait aujourd’hui figure de modèle africain, en termes de développement socio-économique et humain : croissance de 7,7 % du PIB en 2012 (- 0,1 % en Belgique à la même période), diminution du taux de mortalité infantile (enfants de moins de un an) à 5 %, réduction du taux de fécondité (passé de 6 % à 4,6 %)...
Mais les chiffres les plus spectaculaires concernent le taux de participation des femmes à la vie politique : 64% à la Chambre, 38 % au Sénat, 47 % au gouvernement. Elles sont aussi près de 40 % dans les sphères judiciaires et dans les administrations locales. À titre de comparaison, les autres pays qui se distinguent par un taux important de femmes parlementaires se situent loin derrière : 50 % pour Andorre, 49 % pour Cuba, 42 % pour les pays nordiques et « seulement » 38 % pour la Belgique (en 17e position). La moyenne mondiale tourne autour de 20 % et la moyenne européenne est de 25 % selon l’Union interparlementaire (ipu.org).
Comment un pays africain, de culture patriarcale, arrive-t-il à faire mieux que les pays nordiques ?
Donatille Mukabalisa, présidente de la Chambre, et Alphonsine Mukarugema, présidente du Forum des femmes parlementaires, de passage à Bruxelles pour recevoir le « Women in Parliament Award », avancent un argument simple et évident : « Il y a une réelle volonté politique, depuis le plus haut niveau de l’État, et cela se traduit par des politiques et des programmes de mobilisation des femmes. »
En clair : le Rwanda a adopté une nouvelle Constitution en 2003, dans laquelle il a réservé une place de choix aux questions liées au genre, imposant des quotas en politique et un système de « gender mainstreaming » (analyse de toutes les décisions en termes d’égalité hommes-femmes). Ces dispositions ont permis de réelles avancées pour les femmes, comme la réforme de l’héritage, qui place les filles sur le même pied que leurs frères, ou le droit à la propriété foncière. Y a-t-il aussi des quotas pour les hommes, comme c’est le cas chez nous ? Les deux élues éclatent de rire : « Non, ce n’est pas prévu. »
Mais les sourires des femmes parlementaires cachent aussi des fissures démocratiques. Le grand problème du Rwanda de Paul Kagamé, c’est le peu de place que laisse le FPR, le parti du président, à une réelle opposition. Or le Parlement doit non seulement respecter un quota de minimum 30 % de femmes, comme dans beaucoup de pays, mais certains sièges sont également attribués par nomination : deux pour des élus de la jeunesse, un pour un représentant des handicapés et vingt-quatre pour des femmes. Ces députées, officiellement non partisanes, sont réputées favorables... au FPR. Un journaliste rwandais soulève le risque de manipulation de ces élues devant la présidente de la Chambre. Réponse de la bergère au berger : « Manipulation ou pas, la présence des femmes au parlement est un signe de victoire démocratique. » On s’en réjouit.
Céline Gautier