“Hrach” est un terme arabe qui désigne de façon péjorative le cheveu crépu, frisé ou bouclé des Nord-africains. Pour détourner ce sens à l’impact culturel et sociologique immenses, Yassin Alami, prof d’histoire et Samia Saadani, doctorante en sciences sociales, ont lancé le mouvement “Hrach is beautiful”. Parce que le cheveu crépu, c’est beau, il faut le faire savoir.
Samia Saadani nous parle de la genèse du mouvement.
Hrach is beautiful, la révolution capillaire ?
Comment est né le mouvement ?
Je travaille sur la question des discriminations dans le cadre de mon doctorat, c’est donc un sujet qui m’est familier. Yassin et moi étions très actifs sur Twitter, un lieu de débat sur la question de l’antiracisme. Il avait twitté sur son expérience avec ses cheveux: il racontait qu’il allait retourner au Maroc, après 8 ans, et qu’il coupait son afro, car sa famille ne comprendrait pas. Il m’a taguée. J’avais déjà fait un tweet sur notre relation à l’Afrique en tant que Marocain et les dissonances cognitives liées, par exemple, à notre rapport à notre corps. Il s’est dit que j’avais des choses à dire et il ne s’est pas trompé. Avant de lancer le mouvement, j’avais commencé à assumer mes cheveux depuis quelques mois et je n’en avais jamais parlé avec ma propre soeur.
Et puis nous avons lancé un appel à témoins. On s’est retrouvés avec une centaine de témoignages, c’était suffisamment de matière pour en tirer quelque chose. Yassin a organisé un premier événement à Paris en compagnie d’Aline Tacite, une des fondatrices du mouvement “nappy” français (contraction de “natural” et “happy” – ndlr) et du salon Boucles d’Ebene. Le mouvement nappy s’adresse aux afro-descendants, elle nous a donné de précieux conseils.
En parlant de “nappy”, ce mouvement qui soutient également le retour aux cheveux naturels. Pourquoi vouloir se distinguer en créant un mouvement spécifique pour les Nord-africains ?
Ça fait très longtemps qu’on parle du cheveu naturel dans les communautés noire et afrodescendante, mais les Nord-africains ne se sont jamais sentis concernés. Et pourtant, nous le sommes. Comme c’est aussi transmis par nos familles, il y a un tabou. Le problème ne peut pas être pris de la même manière pour tout le monde. Il y a un métissage très fort avec des cheveux très crépus à très raides. Au sein de notre minorité, il y a des minorités. Dans la communauté nord-africaine, certaines femmes ne se sentent pas touchées, car elles ressemblent à des blanches. En partant de ce constat, réduire l’échelle nous semblait pertinent pour toucher plus de gens.
Comment expliquer cette stigmatisation du cheveu frisé ?
Dans l’histoire coloniale, le facteur spécifique, c’est l’orientalisme. Edward Saïd explique comment les récits de l’Occident sur l’Afrique du Nord ont créé un imaginaire arabe (du Maroc à l’Inde) qui a exotisé les colonisés et a créé un imaginaire arabe normatif auquel, en réalité, nous ne correspondons pas. Sans pour autant non plus correspondre aux critères euro-centrés.
Nos cheveux frisés sont aussi un rappel que l’on appartient à l’Afrique, c’est un aspect qui doit être assumé. Il y a une question de colorisme, de hiérarchisation des couleurs de peau. Au coté de l’orientalisme et des normes de beauté euro-centrées, il y a la négrophobie existante dans les communautés nord-africaines (ce qui rejoint le colorisme bien sûr, mais il est important pour nous que cette stigmatisation soit clairement nommée). Nous sommes Africains et nous sommes Arabes, c’est compliqué. Les Nord-africains sont issus d’un métissage très riche, il est donc normal d’y trouver des cheveux bouclés, frisés, crépus et raides. Les gens ont toujours eu la sensation d’avoir un défaut de fabrication, car être Nord-africain, c’est avoir un cheveu lisse, si on se fie au fantasme orientaliste.
Est-ce que la question du voile implique une sacralisation du cheveu dans la culture nord-africaine ?
Certaines femmes nord-africaines musulmanes voilées sont soupçonnées de porter le voile uniquement pour cacher leur cheveux ‘hrach’, c’est très dérangeant car d’une part on critique leur cheveux mais en plus on remet en cause leur engagement spirituel.
Quoi que l’on fasse en tant que femme, il y a cette pression d’avoir un cheveu lisse, mais le tabou n’est pas lié à la sacralité du cheveu que l’on cache ou pas, il est lié à cette norme de beauté. Les garçons sont d’ailleurs confrontés au même problème. Le cheveu hrach est considéré comme “négligé”.
Que propose le mouvement ?
Il faut se débarrasser des restes de la colonisation et remettre en question le fait qu’on essaie de rentrer dans des normes qui ne sont pas créées pour nous. Il est donc important d’avoir des représentants de la diversité de l’Afrique du Nord dans les médias, les films etc. Éviter les stéréotypes. Imaan Hammam, par exemple, est marocaine. Elle laisse ses cheveux naturels et décomplexe les filles !
On a été un peu dépassés par l’ampleur que prenait le mouvement. Notre objectif est de lancer le débat sur la problématique, appuyé par des témoignages. C’est un espace d’expression: pourquoi on en est arrivés à se détester ? À se cacher ? Ce sont aussi des ateliers pratiques: comment prendre soin de ses cheveux de manière naturelle ? Comment sortir du lissage et du défrisage ? Comment trouver les bons réflexes ?
Il y a encore du travail, mais les consciences s’éveillent.