Dans son nouvel atelier de Saint-Nicolas, Christophe Coppens renoue avec ses racines et creuse encore un peu plus sa réflexion et sa profondeur en tant qu’artiste.
L’ascenseur fait penser au gigantisme d’une métropole comme New York. Sa taille démesurée et la peur de rester coincé accélèrent les battements du cœur. En revanche, il est parfait pour transporter des œuvres d’art. Et soyons honnête : c’est exactement ce dont Christophe Coppens a besoin aujourd’hui. « Trois collectionneurs viennent de quitter l’atelier », dit-il non sans fierté. « Mon travail les a impressionnés. Et ça me fait un bien fou. »
Christophe Coppens loue un atelier à Saint-Nicolas depuis cinq mois. Il souhaite désormais y passer une bonne semaine par mois pour resserrer les liens avec sa famille et ses amis, mais surtout pour approfondir son œuvre créative. « Si je veux que mon travail continue à évoluer, je dois pousser plus loin mon introspection pour découvrir qui je suis. Et le meilleur endroit pour le faire, c’est là où tout a commencé. Ici, à Saint-Nicolas. »
Doit-on encore présenter Christophe Coppens au public belge ? Durant plus de vingt ans, ce touche-à-tout a surtout mis sa créativité au service de la confection d’accessoires et de chapeaux. Mais son palmarès est bien plus fourni que cela vous a peut-être échappé : il a habillé Roisin Murphy pour plusieurs concerts et fabriqué des accessoires de haute couture qui se retrouvent aujourd’hui chez des collectionneurs ayant su dès le début apprécier ses concepts délirants. Il y a sept ans, il a brusquement déposé le bilan. Même si son entreprise n’était pas au plus mal, il est difficile d’augmenter le chiffre d’affaires avec des produits qui sont plus simples. Et cela a provoqué des frustrations. Peu de temps après, on a appris qu’il séjournait à Silver Lake, un quartier branché de Los Angeles, et qu’il préparait une première exposition dans son garage. Une exposition de ses œuvres en tant qu’artiste à part entière, son rêve depuis des années. Loin des tendances et des strass à la mode, loin aussi du marché de l’offre et de la demande. Son compagnon espagnol, Javier Barcala, venait de décrocher une bourse Fulbright pour faire des études de cinéma à Pasadena. Ses œuvres n’ont pas tardé à se vendre. La lumière de la Californie lui a réussi. « Partir pour LA m’a semblé tout naturel », raconte Christophe. « Cela m’a aidé à faire mon deuil. Imaginez un instant que je sois resté à Bruxelles, j’aurais été confronté chaque jour à tous ces fantômes du passé. »
« Je devais partir de Bruxelles, loin de tous ces fantômes du passé. »
Christophe Coppens a emménagé aux États-Unis, mais pas pour se reposer sur ses lauriers. Il s’est mis à l’œuvre et n’a pas tardé à prendre le chemin des musées. « Everything is Local », qui présentait le fruit du travail réalisé à LA à la demande du mécène Han Nefkens, a été exposé au Musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam. Son « Little Shop of Mountains » a pris la direction du Japon, tout comme « Early Paintings », qui est aussi passé par New York. La ville de Knokke a pour sa part accueilli « Works on Paper ». Grâce à son travail, Christophe Coppens a réussi petit à petit à vaincre ses démons. Son passé fait de hauts et de bas. D’attractions et de répulsions. De victoires et d’échecs. Pour recommencer encore et toujours. Car il n’est pas non plus resté à Los Angeles. Il a mis le cap sur Barcelone, puis sur Madrid pour finalement se retirer dans une maison à environ une demi-heure de route de la capitale espagnole. Aujourd’hui, il se partage entre ici – son atelier à Saint-Nicolas – et là-bas. Le meilleur de deux mondes, semble-t-il.
« Après toutes ces allées et venues, je me suis forcé à me fixer pour réfléchir à tête reposée. J’ai 48 ans. Le temps a filé. Je m’interroge sur le sens de mon travail. Je me demande comment j’en suis arrivé là. Et surtout qui je suis. J’avais envie de refaire quelque chose en Belgique. C’est difficile à expliquer : d’un côté, il y a cette envie irrésistible de partir ; de l’autre, cette attirance constante pour la Belgique. »
Christophe Coppens ne nous racontera pas d’histoires fascinantes sur Saint-Nicolas. Il y est né et y a passé les 18 premières années de sa vie. Pratiquement chaque soir, il se rendait à l’académie pour suivre des cours de diction, de déclamation, d’art dramatique, d’histoire de l’art ou de théâtre. Une grande partie de ses professeurs de secondaire fermaient les yeux sur ses mauvaises notes parce qu’ils avaient l’intime conviction que ce Coppens était fait pour autre chose. Il a ensuite pris ses quartiers à Bruxelles, où il a d’abord suivi une formation de metteur en scène au HRITCS et s’est ensuite essayé au Conservatoire de Bruxelles. Entre-temps, il a mis en scène des pièces de théâtre tout en travaillant chaque samedi comme apprenti chez une modiste à Melsele. Sa fascination pour les chapeaux l’a conduit à ouvrir son propre show-room à Bruxelles en 1990. Il est devenu modiste, mais pas au sens conventionnel. Pour reprendre ses mots de l’époque : « Quand j’étais metteur en scène, on trouvait mes pièces trop axées sur la mode. Et quand je me suis lancé dans la mode, on trouvait mon travail trop théâtral. »
Un dilemme auquel Christophe Coppens n’a plus à faire face aujourd’hui. Un simple regard dans son atelier suffit pour comprendre qu’on est dans l’antre d’un véritable artiste. Les murs exhibent des peintures inachevées. Le sol est jonché d’un nombre encore plus impressionnant de toiles et de dessins, sans oublier quelques œuvres que nous ne sommes pas autorisés à voir « car elles sont ratées ». Des socles mettent en valeur quelques-uns des masques qui ont récemment été présentés, y compris à LA, dans le cadre de l’exposition « 50 Masks Made in America ». Et contre le mur s’alignent une énorme collection de peintures ainsi que ces objets typiques de l’univers de Christophe Coppens : des poupées anciennes, parfois cassées mais toujours 100 % kitsch. Sur le plan de travail qui sert pour l’instant uniquement à faire du café noir trône déjà une authentique crèche. Une véritable découverte façon Coppens.
Encore une question : la mode lui manque-t-elle ? La réponse est non. Ou alors juste un peu. « Ce sont surtout mes collaborateurs qui me manquent. L’aspect positif, c’est qu’en plus d’être artiste, je m’occupe encore d’opéra et de théâtre, ce qui me permet de passer d’un travail en solitaire à un travail d’équipe. J’ai eu l’occasion de mettre en scène deux opéras pour le Théâtre de la Monnaie, une expérience que je vais réitérer à partir de 2021. Autrement dit, j’ai une année devant moi pour me consacrer pleinement à mes peintures et mes sculptures. Un vrai privilège. Enfin, dans un monde idéal. J’espère pouvoir m’adonner à temps plein à mon art et recevoir de temps à autre la visite d’un collectionneur qui m’achète une œuvre. Car la réalité de la vie, c’est aussi un loyer à payer. (Il réfléchit.) C’est l’étape de la création qui m’a toujours apporté la plus grande satisfaction. Qu’il s’agisse de chapeaux ou d’autre chose. Peu importe. Créer est une nécessité. C’est comme respirer. C’est un besoin vital. Et pour la première fois, je crée ce que je veux créer. Dans la forme la plus pure. Mais je ne peux le faire qu’en continuant à chercher, à fouiller au fond de moi, dans les moindres recoins. »