Maryse Delcord est une véritable croqueuse de livres. Libraire, organisatrice d'événements autour du livre, correctrice en maison d'édition, son univers s'est construit autour de son amour de la littérature. Elle nous dévoile sa liste des dix livres qu'il faut avoir lus pour se bâtir une culture littéraire. Une liste subjective, bien sûr et totalement passionnée. Bonne lecture !
1. La légende de Tristan et Iseult
Ce « conte d’amour et de mort », qui nous parvient en fragments du cœur du XIIe siècle – car à l’époque, la littérature profane n’est pas écrite, mais chantée par des trouvères et des troubadours dans les cours aristocratiques – a enchanté la fin du Moyen-Âge pour devenir un véritable mythe. Iseult la Blonde, promise au Roi Marc, et le chevalier Tristan, vassal de ce dernier, boivent par erreur un philtre magique dont les effets sont irréversibles. C’est alors un amour passionnel interdit, incontrôlable et destructeur qui embrase le cœur et le corps des amants. Bien sûr, puisque la règle féodale – hyper codée à cette époque – est rompue, Tristan et Iseult ne peuvent connaître qu’une fin tragique. Pourtant, dans cette histoire certainement apparue et richement cultivée dans la cour de la fiévreuse Aliénor d’Aquitaine, la puissance de l’amour est telle que rien ne peut l’éteindre !
2. Les Essais de Michel de Montaigne (1580-1595)
Première grande figure de l’intellectuel engagé, Montaigne est, selon moi, l’écrivain à l’origine d’une nouvelle ère littéraire et philosophique. Dans les Essais (et je vous conseille d’y opérer un choix, car l’œuvre est gigantesque et parfois difficile d’accès), Montaigne laisse courir sa plume au gré de ses réflexions sur le monde qui l’entoure. Par exemple, il s’interroge sur la justice, l’éducation, la cruauté des hommes, mais aussi l’amitié très célèbre qui le lie à Étienne de la Boétie. Si le XVIe siècle marque l’apogée de la Renaissance (les sciences, les arts, la philosophie, la pensée humaniste connaissent un essor explosif), il est aussi le siècle brutal et atrocement violent des grands conflits religieux. Les Essais de Montaigne font donc encore écho à notre vie actuelle.
3. Les Fables de Jean de La Fontaine (1668-1694)
D’abord pure littérature de salon, inspirée subtilement des fabulistes antiques, les Fables plus tardives de Jean de La Fontaine (je pense notamment aux Animaux malades de la Peste) sont d’une justesse toujours si nette que je m’y plonge régulièrement. Le recueil de Fables fort bien composées et toujours porteuses d’une moralité à visée sociale, politique ou philosophique, se picore et repicore inlassablement.
4. Le journal d’un fou de Nicolas Gogol (1835)
Je n’y ai absolument jamais mis les pieds, mais, à travers sa littérature et sa musique, la Russie me fascine. Cette nouvelle de Nicolas Gogol est géniale par l’intelligence de la progression narrative et elle participe à cette sidération. Écrite à la première personne, elle est présentée comme le journal intime d’un petit fonctionnaire gratte-papier pétersbourgeois, qui, au début, raconte un quotidien calme, borné et dénué d’intérêt. Mais au fil des pages, notre personnage va peu à peu se dévoiler, déroulant ainsi un récit de plus en plus aliéné et oppressant. Un texte dingue et épatant de modernité !
5. Madame Bovary de Gustave Flaubert (1857)
Ce roman est incontournable, car je pense que nous avons toutes du Emma Bovary en nous. Personnage moderne par excellence, elle est cette femme éternellement insatisfaite de la vie qu’elle mène et qu’elle pense médiocre. Passionnée, crédule et tentée par ce que les livres (les différents médias pour nous) lui imposent comme modèle idéal, elle est toujours en recherche de plus de fougue, de plus de piquant, de plus de vibrant. Et elle en mourra.
6. L’œuvre d’Émile Zola (1886)
Je ne pouvais pas établir cette liste sans citer l’un des romans qui constituent la gigantesque fresque des Rougon-Macquart (l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire). Et c’est sur L’œuvre, inspirée par la vie de Cézanne et qui nous plonge au cœur du milieu artistique parisien de la fin du XIXe siècle, que j’ai arrêté mon choix, car je me souviens à quel point j’avais été éblouie par les descriptions impressionnistes de Paris que Zola parvenait à dérouler par les mots.
7. Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (1932)
Par la voix de son narrateur, Bardamu, Céline a transposé et stylisé sa propre expérience de vie, dévoilant ici la « nuit » de l’humanité qui semble en permanence se débattre de manière absurde, de la boucherie des tranchées de 14-18 aux banlieues violentes de l’entre-deux-guerres en passant par l’Afrique colonisée et l’Amérique victorieuse. Le constat imposé par Céline dès les premières pages est rude. Les personnages qui portent leur âcre vécu à bout de bras marquent durablement le lecteur de ce texte dont l’écriture est d’une liberté parfaitement novatrice.
8. Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry (1943)
Sous ses apparences de conte pour enfants (ce qu’il est aussi !), ce texte poétique, philosophique et illustré de manière inoubliable avec les aquarelles de l’écrivain, est un trésor à lire et relire. Car le Petit Prince, c’est l’enfant en chacun de nous qui reste perplexe et dérouté par l’absurdité du monde des adultes…
9. 1984 de George Orwell (1949)
À l’aube de 2019, Big-Brother is watching you, et c’est pour ça que la lecture de ce roman visionnaire est obligatoire ! Roman d’anticipation inspiré à Orwell au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dont l’issue a vu la chute d’un totalitarisme (le nazisme), mais la naissance d’autres (le stalinisme et le maccarthysme), il dépeint un état policier, une société de la surveillance permanente, des libertés toujours réduites et de l’uniformisation forcée des hommes.
Et the last…
Je pensais pourtant aussi vous parler de La Peste de Camus, Sur la route de Kerouac, La Plaisanterie de Kundera, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee et plein d’autres écrivains contemporains qui n’ont pas eu de place dans cette liste de livres qu'il faut avoir lus, comme Delphine de Vigan ou Jean-Baptiste Del Amo, mais mon dernier choix sera un Belge, contemporain, vivant, talentueux et fort sympathique, d’une grande sensibilité. Un écrivain primé par le Rossel.
10. Robinson de Laurent Demoulin (2016)
Dans ce roman, qui m’a durablement bouleversée, l’écrivain tente éperdument de rejoindre les rives de l’île où se trouve son fils, Robinson, 10 ans, lourdement autiste. C’est une fresque poétique, triviale, mais sublime, parfois drôle, mais – et c’est incontournable – toujours tragique. C’est l’évocation d’une relation de dépendance, mais d’un amour fou entre un père et son garçon. Rien que d’écrire ces lignes, mes yeux s’inondent.
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