De son éducation en Suède aux valeurs qu’elle transmet aujourd’hui à ses fils, Cécilia Bönström s’est confiée, sans langue de bois, sur sa vision du féminisme, son rôle de mère et son ascension dans la mode. Rencontre.
C’est dans la boutique phare de Zadig & Voltaire située sur l’Avenue Louise à Bruxelles que nous avons rencontré Cécilia Bönström. Dans ce lieu épuré où les vêtements côtoient les oeuvres d’art (ne manquez pas de jeter un oeil à la sculpture “Tunnel of Love” de l’artiste américain Dan Graham si vous êtes de passage), la directrice artistique de la marque française nous a parlé de son enfance en Suède et de son parcours atypique dans la mode.
Parlez nous de vous, d’où venez-vous ?
Je suis suédoise, j’y ai vécu une enfance très classique, bourgeoise et heureuse. Je pourrais parler pendant des heures de la Suède comme un exemple de pédagogie et de confiance en soi. C’est un pays qui ne met jamais la pression, qui te félicite pour qui tu es et encourage à aimer les autres. La concurrence et la comparaison n’existent pas, même à l’école la mentalité est plutôt “avances à ton propre rythme, bravo pour ce que tu fais”.
C’est ce qui a fait que dans ma vie je ne me suis jamais comparée à qui que ce soit et je ne me suis jamais sentie en compétition, ni pendant ma carrière de mannequin, ni aujourd’hui dans mon métier. Je cherche au quotidien à m’améliorer, mais je fais cela uniquement vis-à-vis de moi-même et non pas pour écraser quelqu’un. Et cela rend la vie beaucoup plus facile (rires) !
“Je ne me suis jamais sentie en compétition”
Vous êtes ensuite arrivée à Paris…
Je suis arrivée comme mannequin à Paris à l’âge de 19 ans après le baccalauréat. Ma carrière a duré pendant quinze ans. C’est selon moi la meilleure école de la vie dans le sens où l’on apprend à être indépendante, on voyage énormément et il faut sans cesse s’adapter et échanger avec de nouvelles personnes chaque semaine. C’est une véritable école sur les relations humaines et c’est ce qui fait ma force aujourd’hui puisque je n’ai jamais suivi de formation d’école de mode.
Qu’est-ce qui vous a poussée un jour à vous présenter spontanément chez Zadig & Voltaire ?
Lorsque j’ai eu l’idée d’aller frapper à la porte de Zadig & Voltaire en 2003, j’étais une mannequin épanouie qui adorait habiller ses amies et partager sa vision de la mode. J’allais par exemple à Milan pour m’acheter un sac à main Prada, car à l’époque on ne trouvait pas la marque à Paris, et je faisais découvrir mes coups de coeur à mon entourage.
Un jour j’ai découvert Zadig & Voltaire et cela a été un choc pour moi. C’était un vent de nouveauté de par l’esthétisme des magasins – entièrement blanc, le système de self-service – le positionnement de prix et la gamme de couleur fraîche et à la fois moderne. En tant que Suédoise, cette approche de la mode me rassurait et j’ai vraiment eu envie de travailler pour eux. Je me suis présentée à Thierry Gillier, le fondateur de la marque, qui m’a demandé de faire une présentation devant son équipe pour partager mes idées. Je suis arrivée avec un sac rempli de caracos et un panneau de tendance sous le bras, j’avais énormément d’idées et une vision très précise de ce que je voulais faire pour Zadig & Voltaire. Cela leur a plu et j’ai tout de suite été engagée comme assistante ! Trois ans plus tard j’ai été nommée au poste de directrice artistique.
Le nom de la marque n’a d’ailleurs pas été choisi au hasard : Voltaire était un philosophe français révolutionnaire et anticonformiste. Et je pense que cela reflète la personnalité de Thierry Gillier qui a toujours eu une approche très anticonformiste de la mode, notamment lorsqu’il m’a demandé de rejoindre son équipe alors que je n’avais aucun diplôme pour prouver mes capacités.
Zadig & Voltaire c’est l’équilibre entre le chic et le nonchalant
Au départ Zadig & Voltaire était connue pour ses motifs de tête de mort très présents. Le style a évolué vers un côté plus casual chic depuis votre arrivée en 2006 à la tête de la marque. Est-ce que vous avez cherché à vous affranchir de ce style ?
J’avoue avec honnêteté qu’à mes débuts j’étais tellement concentrée à honorer cet héritage que je suis restée très proche de ce style. Avec la jeunesse et la naïveté, j’ai parfois fait des erreurs et essayé de nouvelles choses qui n’ont pas fonctionné. J’ai toujours voulu travailler avec l’héritage de la marque. Par exemple, j’ai détourné la tête de mort emblématique en broderie, j’ai joué avec les couleurs, je travaillais sur les techniques et les matières… J’évoluais chaque saison prudemment. Mais à un moment nous avons été beaucoup copié et il a fallu se renouveler. J’ai remarqué que mon style vestimentaire inspirait beaucoup de femmes dans mon entourage et j’ai décidé d’incorporer mon propre style dans la marque: mes blazers d’homme, mes caracos, mes chapeaux… Zadig & Voltaire m’a toujours laissé carte blanche pour que je puisse m’exprimer. Je pense que la force d’un directeur artistique c’est de prendre en compte l’historique et l’ADN d’une marque et d’y ajouter sa touche personnelle. Aujourd’hui c’est l’équilibre de chic et de nonchalant qui fait que c’est une pièce Zadig & Voltaire.
Présenter un défilé, c’est comme se mettre à nu
Qu’est-ce qui caractérise votre style vestimentaire ?
J’aime jouer avec les codes masculin/féminin. Des bottes militaires, les pulls de mon mec, des jeans noirs… Je ne m’habille pas, j’enfile les vêtements. Tout est une question d‘équilibre. J’aime mes cheveux longs, j’adore la lingerie mais je me sens protégée dans un manteau oversized ou en bottes plates.
Qu’est-ce que vous préférez dans votre métier ?
Ma passion c’est de créer une collection. C’est un processus de développement qui dure en tout cinq mois. J’adore créer un moodboard avec différentes inspirations, des photos que je prends de personnes dans la rue, etc et échanger avec mes stylistes. Mais la partie que j’aime plus que tout, c’est de sourcer les matières. Je le fais moi-même parce que j’adore rencontrer les fournisseurs, toucher les matières et surtout trouver des pépites. C’est une obsession qui dure environ cinq semaines et j’aime vraiment cette étape !
Aujourd’hui quelles sont vos ambitions pour la marque ?
Toujours faire mieux ! Et être perçue comme la marque lifestyle dans le monde entier. Malgré nos 400 boutiques et notre présence dans 320 points de vente à travers 35 pays, il y a toujours des personnes dans certains coins des Etats-Unis qui ne connaissent pas la marque. L’objectif est donc de se développer aux Etats-Unis et en Asie. C’est un travail d’équipe global à faire avec les services marketing, distribution et communication qui ne repose pas uniquement sur mes épaules. En tant que directrice artistique, mon prochain objectif est de présenter un sublime défilé à New York en février prochain. Présenter un défilé c’est comme se mettre à nu, je veux donc que le message de ma collection soit clair.
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Justement, qu’est-ce que veut dire pour vous le message “Girls can do anything” ?
C’est quelque chose d’extrêmement évident pour moi car j’ai été élevée avec cette pensée. Zadig & Voltaire est une maison de mode qui fait rêver et c’est un message positif qui est arrivé à un moment donné. J’avais simplement envie de le rappeler aux jeunes filles partout dans le monde. Ce n’est absolument pas une revendication, c’est une confirmation de ce que l’on sait déjà. Aujourd’hui, les filles peuvent faire faire ce qu’elles veulent, décider d’avoir des enfants ou non, être astronaute ou policière et même devenir directrice artistique sans avoir fait d’école de mode !
“Girls can do anything”, ce n’est pas une revendication mais une confirmation
Est-ce que vous n’avez pas quelque part “profité” de cette tendance du “girl power” ?
Non, c’est vraiment parti d’une conviction personnelle. Ce t-shirt est arrivé par hasard dans un contexte où on prônait le féminisme. C’est vrai que j’ai été invitée par la suite à des panels de discussions entre femmes où l’on partage des témoignages, j’ai été happée dans un certain mouvement de “girl power”. Mais lors de chaque événement j’ai toujours insisté sur le fait que c’était un équilibre et que l’idée n’était pas de dire qu’on est plus fortes que le sexe opposé.
Vous considérez-vous comme féministe ?
Non, mon parcours personnel fait que je ne peux pas être féministe. J’ai été élevée en Suède dans une famille de frères et soeurs où on ne faisait pas de différence. Nous avons toujours été mis en valeur à la maison comme à l’école. J’ai ensuite été mannequin, un métier où les filles sont mieux payées que les hommes. Chez Zadig & Voltaire, j’ai été engagée par un homme dans une entreprise composée majoritairement de femmes et nous sommes toutes très respectées. Je suis fière d’être une femme et je sais que nous avons un pouvoir que les hommes n’ont pas, mais je n’ai pas le besoin de le crier sur tous les toits. Utilisons ce pouvoir de manière subtile.
Mon parcours personnel fait que je ne peux pas être féministe
Vous avez reçu une éducation très égalitaire en Suède. Maintenant que vous vivez à Paris, comment élevez-vous vos enfants ?
J’ai trois fils, je les pousse à croire en eux et à être généreux envers les autres. Je leur apprend à respecter la femme, à ne pas la critiquer, à l’écouter… C’est un travail de tous les jours. Quand on pense que tous les hommes sur terre ont été élevés par une mère, je me dis que nous les femmes nous avons raté quelque chose à un moment ! Les mères doivent être fortes mais sans écraser l’autre et transmettre des valeurs à leurs fils. C’est une mission très importante pour moi de les éduquer pour qu’ils deviennent des garçons respectueux vis à vis des filles. Les hommes suédois le sont: ils font des enfants, ils travaillent, ils repassent leurs chemises, donnent le biberon et ils sont quand même sexy et sportifs (rires) ! Ils n’ont pas de problème d’infériorité ou de machisme. S’ils veulent prendre 6 mois de congé paternité ça ne les rend pas pantouflard pour autant.
Pour terminer, c’est quoi selon vous être “rock” aujourd’hui ?
C’est être libre d’être qui tu es.
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